Une page de mon journal:
Que faire en ce temps de confinement alors que le printemps frappe à toutes les portes ? Un grand ménage de printemps. Dire que je m’y emploie serait me faire beaucoup d’honneur mais j’époussette là où la femme de ménage qui ne vient plus depuis trois semaines n’a jamais le temps d’aller. Me voilà grimpée sur mon escabeau, chiffon en main en train de caresser la couverture de mes livres les plus précieux, ceux, que brocante après brocante, j’ai chiné un peu partout en France.
Je ne vais pas vite, doux euphémisme, car je feuillette au fur et à mesure. J’ai oublié certains titres et leur contenu qui au fil des pages me revient en mémoire. Voici une belle édition XIXème des fables de La Fontaine. Est-ce le hasard ou le fruit d’une recherche que je ne m’étais pas encore avouée ? Le livre s’ouvre sur « Les animaux malades de la peste ». Il ne pouvait y avoir de trouvaille plus appropriée aux circonstances. Si la censure existait encore, voici un texte que le covid 19 se serait empressé de faire passer à la trappe.
« Un mal qui répand la terreur
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre
La Peste (Le covid19) (puisqu’il faut l’appeler par son nom)
Capable d’enrichir en un jour l’Acheron
Faisaient aux animaux la guerre.
Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés ».
Que cela est bien dit et que cela ressemble à ce que nous vivons. D’un siècle à l’autre décalqué. Ce fabuliste de génie qui manie la concision à merveille et notre langue avec une finesse sans pareille dresse une comédie très noire au suspens savamment ménagé et où l’ironie atteint le tragique.
Devant l’implacable horreur, telle une allégorie, la fable met en scène la société de son temps avec ses usages et ses travers, sa bonne et sa mauvaise conscience, l’hypocrisie dont le pouvoir est immense, l’honnêteté qui par manque de moyens touche à la naïveté, la fausse bonne conscience de la société qui se voile la face autant qu’elle peut, ses chimères aussi et son besoin de vaincre le malheur et les forces telluriques de la terre. Mais ces animaux très humains n’avaient-ils pas commis des crimes dont-ils devaient être punis ?
De nos jours, la terre balafrée, les océans asphyxiés, le ciel encombré ne seraient-ils pas en train de se venger ? « Frères humains » nous voilà bien « frappé par un mal qui répand la terreur ». « Les animaux malades de la peste » est un fabuleux récit de notre humanité, d’une actualité brûlante. Rien ne change sous le soleil et surtout pas le mal et l’inconscience.
Je n’ai pu m’empêcher de rapprocher cette fable du conte rapporté par les frères Grimm, « Le joueur de flûte d’Hamelin ». Dans la ville allemande d’Hamelin infestée de rats, le bourgmestre accepte qu’un joueur de flûte l’en débarrasse moyennant une somme d’argent. Au son d’une mélodie le joueur de flûte entraîne à sa suite tous les rats dont il ne reste plus trace. Lorsqu’il revient se faire payer les habitants lui rient au nez. Le musicien n’insiste pas mais se remet à jouer de la flûte. Tous les enfants d’Hamelin le suivent et disparaissent à jamais.
Sacrée leçon à laquelle il sera bon de penser quand nous sortirons du confinement.
F.C.
“Les Animaux malades de la peste” Livre VII, 1
Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre
La Peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom)
Capable d’enrichir en un jour l’Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
On n’en voyait point d’occupés
A chercher le soutien d’une mourante vie ;
Nul mets n’excitait leur envie ;
Ni Loups ni Renards n’épiaient
La douce et l’innocente proie.
Les Tourterelles se fuyaient ;
Plus d’amour, partant plus de joie.
Le Lion tint conseil, et dit : Mes chers amis,
Je crois que le Ciel a permis
Pour nos péchés cette infortune ;
Que le plus coupable de nous
Se sacrifie aux traits du céleste courroux ;
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L’histoire nous apprend qu’en de tels accidents
On fait de pareils dévouements :
Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence
L’état de notre conscience.
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons
J’ai dévoré force moutons ;
Que m’avaient-ils fait ? Nulle offense :
Même il m’est arrivé quelquefois de manger
Le Berger.
Je me dévouerai donc, s’il le faut ; mais je pense
Qu’il est bon que chacun s’accuse ainsi que moi
Car on doit souhaiter selon toute justice
Que le plus coupable périsse.
Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse ;
Et bien, manger moutons, canaille, sotte espèce.
Est-ce un péché ? Non non. Vous leur fîtes, Seigneur,
En les croquant beaucoup d’honneur;
Et quant au Berger, l’on peut dire
Qu’il était digne de tous maux,
Etant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.
Ainsi dit le Renard, et flatteurs d’applaudir.
On n’osa trop approfondir
Du Tigre, ni de l’Ours, ni des autres puissances
Jean de la Fontaine