Troisième édition de la Nuit du Bien Commun à Tours : petite charité entre amis

Pour la troisième année consécutive, la soirée caritative imaginée par le milliardaire ultra-réactionnaire Pierre-Edouard Stérin débarque à Tours. Depuis la mise en évidence par la presse des véritables intentions politiques de Stérin, ces soirées passent de plus en plus mal. A tel point qu’un collectif d’associations et de partis s’est monté pour manifester son opposition à la tenue de ce gala le 6 mai prochain au Grand Théâtre de Tours.

 

Par Joséphine.


Et au-delà de toutes les critiques légitimes déjà mises en évidence dans des articles parus dans Magcentre en 2023 et 2024, c’est une drôle d’impression d’entre-soi qui se dégage de cette édition de la Nuit du Bien Commun.

Apolitiquement vôtre

La Nuit du Bien Commun, qu’est ce que c’est ? Une « soirée hors du commun en faveur des femmes et des hommes engagés sur votre territoire au service du Bien Commun ». On pourra y « vivre l’émotion d’une levée de dons originale et unique par la générosité des donateurs présents » annonce le site internet des organisateurs. Mais, conscient de la réputation de l’événement, Thomas Tixier, directeur national de la communication de la Nuit du Bien Commun, interrogé directement, tient à préciser que si « certains souhaitent faire de la récupération politique avec La Nuit du Bien Commun: nous sommes et demeurerons toujours apolitiques. Le fait est que les engagements de chacun ne nous regardent pas et ne font pas partie de critères ou filtres de décision que ce soit dans l’accueil des membres au sein du Comité de soutien ou dans la sélection des associations ». Dont acte.

Pourtant, malgré le ton rassurant de la comm’ de l’événement, le collectif d’associations « Touche pas à mon asso » et des militant rassemblés dans une « Section Carrément Anti-Stérin » multiplient les critiques envers la soirée caritative qualifiée de « gala de l’extrême-droite et des catholiques conservateurs ». Ils ont même lancé une pétition en ligne qui a recueilli plus de 1 500 signatures et ont prévu une manifestation le jour J. Signe du malaise croissant au sujet de la Nuit du Bien Commun : le peu de couverture médiatique cette année. Seule RCF (radio chrétienne francophone) en a parlé régulièrement en amont, et même le diocèse de Tours qui avait communiqué sur l’événement lors de la première édition reste cette fois muet.

Le malaise est d’ailleurs encore plus palpable dans les associations choisies pour la soirée. Certains de leurs bénévoles rencontrés qualifient le processus de sélection des associations par la Nuit du Bien Commun « d’opaque », d’autres sont « frappés par le refus de consultation et de débat à l’intérieur des associations pour valider ou non la participation à la soirée et solliciter des fonds ». Parfois, ce sont les conséquences perverses de l’effet d’aubaine de ce genre de gala qui sont pointées : « on monte un projet à la va-vite pour justifier la demande d’argent, sans se soucier de la pertinence réelle de la chose ou la présence d’assez de moyens humains pour mener à bien l’idée ». Et puis, il y a aussi les mauvais coucheurs qui s’étonnent « du caractère multi-casquettes de certains présidents d’assos à but non lucratif mais qui par ailleurs vendent du conseil dans le même domaine, par exemple dans le troisième âge ou l’éducatif » ou « du fait que les organisateurs soient assez peu regardants sur le fonctionnement concret des association ».

Et tout cela, sans même parler de la frustration assez généralisée de voir la puissance publique se désengager du financement des associations, laissant le champ libre à la charité bourgeoise qui peut décider des causes légitimes à défendre ou non, tout en défiscalisant une partie de ses dons. Avec en obscure toile de fond, la stratégie d’influence qui permet à la galaxie Stérin de se constituer en réseau en s’appuyant sur une façade convenable, celle du don désintéressé.

Des petites assos locales à taille humaine

Quand on épluche un peu le profil des dix associations retenues pour participer à la soirée du 6 mai à Tours et qui peuvent espérer se partager un potentiel pactole d’un demi-million d’euros, on aperçoit quelques troublantes récurrences, réfutées par les organisateurs sous le mantra « l’appel à candidatures est ouvert à toutes les associations qui correspondent aux critères. Nous encouragerons toute association ayant un projet qui répond à ces critères à tenter sa chance ». Voyons cela.

Prenons par exemple Une Lettre, un Sourire, une association à connotation catholique qui propose de mettre en relation épistolaire des bénévoles et des personnes isolées. La structure est carrément partenaire de la start-up Obole, co-organisatrice de la Nuit du Bien Commun et spécialisée dans « la levée de fonds, l’événementiel, le consulting en mécénat et l’influence ». D’ailleurs, le directeur des partenariats d’Obole, Pierre Durieux, fait partie du jury de sélection tourangeau pour la soirée du 6 mai, voilà qui peut aider.

Du reste, selon Thomas Tixier – le dircom’ de la Nuit du Bien Commun et… lui aussi salarié d’Obole – l’une des conditions pour être une asso retenue est de savoir « est-ce que le projet a besoin du “coup de pouce” de La Nuit du Bien Commun pour se développer ? Ou peut-il s’en passer au vu des soutiens dont il bénéficie déjà ? ». Et là, pour le coup, l’association Une Lettre Un Sourire, déjà lauréate du gala caritatif à Lille, Rennes et Bordeaux, affiche une liste de partenaires assez stupéfiante : 11 départements français, 3 ministères, une quinzaine de fondations (Axa, Total, Korian, des congrégations religieuses), 5 groupes mutualistes, une dizaine d’événements majeurs (Roland-Garros, Rock en Seine…), plus d’une centaine d’entreprises (Danone, Axa, Disney, Air France, Sodexo, Apple, Michelin…), sans parler des universités et associations… Ça en fait des coups de pouce.

Des membres ni de gauche ni de gauche

Staying Alive, association qui entend constituer un réseau de secouristes volontaires via une application en ligne, est également largement accompagnée par la Nuit du Bien Commun, et déjà lauréate lors de soirées à Rennes et Bordeaux. Également proche de réseaux catholiques – son ancien nom était « Le bon samaritain » –, l’association est présidée par Paul Dardel, personnage modérément apolitique, son compte Twitter étant constitué d’une litanie de publications anti-LFI, anti-impôts, anti-Mélenchon, anti-écolo, anti-sans-papiers et anti-Hidalgo. Passablement conservateur, M. Dardel semblait davantage choqué par la prestation d’Aya Nakamura aux J.O. que par l’élection de Trump, partageant des infos de la chaîne ultra-réactionnaire Fox News, tout en proclamant régulièrement son amour pour l’enseignement privé.

Passerelle Assist’Aidant, asso d’accompagnement des aidants de personnes malades ou en situation de handicap, est présidée par Martine Aulagnier, titulaire d’un diplôme en « marketing, santé et société». Par ailleurs, Mme Aulagnier est conseillère municipale déléguée aux seniors dans le très huppé VIème arrondissement de Paris et membre d’un club giscardien proche de l’UDI dont son mari, Patrick Aulagnier, est secrétaire. Mari qui est de son côté est conseiller municipal UDI et leader de l’opposition de droite à Vouvray. D’ailleurs, jusqu’au milieu des années 2010, en même temps qu’il avait monté l’association Assist’Aidant, le couple Aulagnier possédait et gérait une boîte d’aide à domicile – AssistaDom – dont le groupe Artus possédait quelques parts. Groupe Artus qui est mécène de la Nuit du Bien Commun et dont une cadre, Mme Christelle de Becdelièvre, est membre du jury de sélection tourangeau.

Génération Avant-Garde est une asso qui finance l’achat de prothèses pour des personnes en situation de handicap. Un des administrateurs, Brice Amouroux, un viticulteur, est même très proche d’une conseillère municipale d’opposition à Bordeaux et élue au département de Gironde. Elle a d’ailleurs été candidate LR pour les élections européennes sur la liste du très droitier François-Xavier Bellamy, lui-même en relation avec Pierre-Edouard Stérin selon la presse.

Dieu que le monde est petit

L’asso Savio, elle, accueille des jeunes en souffrance qui ont besoin d’un break. Le couple à l’origine de la structure se trouve être particulièrement inséré dans les réseaux catholiques, notamment dans Anuncio, une association missionnaire issue des Journées Mondiales de la Jeunesse de 2008, mais aussi dans Oykos, une organisation de création de lieux solidaires ou dans l’Association Pour l’Amitié, un projet de colocations solidaires catholiques. Du reste, la co-fondatrice de Savio est également salariée de l’Association pour le Progrès du Management (APM) dont est aussi membre-bénévole Philippe Dreyfus qui est dans le jury de sélection tourangeau de la Nuit du Bien Commun. APM où travaille également la trésorière de Savio, Adeline d’Oysonville.

Enfin, la Bulle Enchantée est une asso de répit pour les aidants de personnes en situation de handicap. Une simple page sur le web, peu ou pas d’articles sur ses actions et bien peu d’infos sur les équipes qui la composent, la fondatrice n’étant évoquée que par son prénom. Déclarée en Préfecture en novembre 2024, en plein processus de sélection de la Nuit du Bien Commun 2025, l’asso ne semble pas rentrer dans les règles posées pour postuler, « exigeant que l’association dispose de plus d’un an d’existence ». Thomas Tixier, le dircom de la Nuit du Bien Commun, répond que « c’est un pur point technique. La Bulle enchantée existe depuis 2 ans et a déposé ses statuts au JO le 10 novembre 2024 ». On est donc priés de croire sur parole l’ancienneté de l’asso et donc que « la structure est bien structurée pour mener à bien le projet », comme l’exige le cahier des charges du processus de sélection. En y regardant de plus près, on comprend que l’association a pour siège social la même adresse que celle du gérant du cabinet d’avocats Deshoulières, par ailleurs mécène de la soirée et membre du jury tourangeau de la Nuit du Bien Commun. Mais là aussi, que l’on se rassure, Thomas Tixier précise que « Nicolas Deshoulières n’a toutefois à aucun moment voté pour ce projet compte-tenu de sa proximité avec l’association et aucune différence de traitement de ce projet n’est à noter ».

Donc, en effet, après ce petit tour d’horizon, comment ne pas être définitivement convaincu avec M. Tixier que le « processus est clair, explicité, rigoureux et issu des grandes fondations françaises » et que « les engagements de chacun ne nous regardent pas et ne font pas partie de critères ou filtres de décision que ce soit dans l’accueil des membres au sein du Comité de soutien ou dans la sélection des associations » ?

Charité bien ordonnée commence par ses amis

Alors justement, qu’en est-il de ce comité de soutien – le jury de sélection, en fait – qui regroupe une grosse vingtaine de personnalités, mécènes et présidents d’anciennes assos lauréates ? Pour épargner aux lecteurs et lectrices un fastidieux who’s who local, il sera question uniquement des points saillants quand on recoupe les profils.

Déjà, le jury étant composé principalement des mécènes, il y a sur-représentation très marquée de cadres et de métiers de la communication, du management, du consulting, des ressources humaines et de l’événementiel. Nombre de personnalités sont issues d’écoles de commerce, notamment l’ESSEC, souvent présentées comme « serial-entrepreneurs ». D’autres sont plus classiquement passées par des gros groupes (Axa, RATP, Crédit Agricole, KPMG…) ou des PME locales (Artus, Berthaux, Villadim, O3…).

Mais ce sont les petits « à côtés » qui sont particulièrement significatifs d’une sociabilité très classique de bourgeoisie de province, tendance roman de Balzac : engagements à la Chambre de Commerce et d’Industrie, passage revendiqué par le scoutisme, fréquentation de clubs et réseaux de mise en relation de cadres, appartenance au Medef ou à la confédération des PME d’Indre-et-Loire, soutien aux clubs locaux de Basket et de Volley, mécénat d’entreprise en Touraine, investissement paroissial bon teint, engagement dans la réserve de l’armée… il est d’ailleurs à noter que les noms à particule sont très présents dans le petit groupe, presque un quart des membres.

Au-delà de ces postures professionnelles et associatives, certains membres du jury ont une couleur bien plus politique, même si on sait qu’il faut toujours séparer l’homme du mécène… Pierre Durieux, le gars de la Nuit du Bien Commun et d’Obole, est investi et influent dans le mouvement catholique dit du « renouveau missionnaire », il est régulièrement invité sur la chaîne KTO et avait pris position contre le mariage pour tous. Pierre Luciani, un ancien du célèbre collège Stanislas à Paris brille par son soutien à Valérie Pecresse et à LR sur LinkedIn. Bénédicte Loustalot était numéro deux sur une liste de droite lors des municipales 2020 à Tours. Dominique Lavallée, qui donne dans la promotion immobilière, partage des posts pro-LR ou anti-LFI et prend position contre l’objectif Zero Artificialisation Nette qui vise à protéger les espaces naturels de la… promotion immobilière. Edouard de Germay de Cirfontaine est un ancien adjoint au maire de Tours à l’époque où la droite était aux affaires, de 2014 à 2020, candidat sur la même liste que Mme Loustalot en 2020, il prend depuis régulièrement publiquement position sur des questions sociales et politiques en tant que catholique.

Pierre Bourdieu, reviens parmi les tiens et indique-nous le chemin

Bien sûr, il semble incontestable que Pierre-Edouard Stérin et la fine équipe autour de lui – Stanislas Billot de Lochner, François Durvye et Alban du Rostu – aient un plan, un agenda, une stratégie, une idéologie et de l’argent pour mener à bien leur projet d’un RN au pouvoir dans les 10 ans qui viennent. Pour autant, il serait passablement complotiste et idiot de penser que le moindre participant à la Nuit du Bien Commun au fin fond de la province soit complice de ce plan. Alors quoi ? Comme interpréter tout ça ?

C’est là où la discipline détestée de tout conservateur de droite qui se respecte peut permettre de penser ce genre de dynamique complexe : la sociologie. En fait, il suffit aux têtes pensantes autour de Stérin, avec un peu d’argent, d’user des galas caritatifs et de leur visibilité pour mettre sous tension des réseaux qui permettront aux relais naturels du courant conservateur, libéral et catholique de se mettre en relation et de gagner en puissance. Les sociabilités de la bourgeoisie, leur centres d’intérêts, leur soif de reconnaissance sociale, leurs ambitions, leurs frustrations, leurs carnets d’adresse, leurs familles, leurs petits services rendus, leurs investissement associatifs et caritatifs…autant d’éléments sur lesquels jouer pour bâtir une convergence d’intérêts et faire germer dans les esprits une nécessaire union des droites face au péril gauchiste et la décadence woke. Et ainsi disposer de ces réseaux constitués lors de la marche au pouvoir puis de son exercice qui nécessite des relais dans les élites. C’est d’ailleurs théorisé tel quel par Stérin.

Ça vous fait sourire ou ça vous laisse songeur ? Pensez à Steve Banon et Elon Musk et leur rôle dans la victoire de Donald Trump. Ou à Bolloré et à la candidature Zemmour en 2022. La face émergée de l’iceberg Stérin via la Nuit du Bien Commun ne doit pas faire illusion sur ce qui se joue réellement.

https://tours.lanuitdubiencommun.com/

Nuit du Bien Commun : quand la cathosphère s’affiche à Tours

Tours, ville-étape du projet d’extrême droite du milliardaire Pierre-Édouard Stérin ?

https://www.humanite.fr/politique/bien-commun/projet-pericles-le-document-qui-dit-tout-du-plan-de-pierre-edouard-sterin-pour-installer-le-rn-au-pouvoir

https://www.lanouvellerepublique.fr/tours/touche-pas-a-mon-asso-a-tours-un-collectif-de-citoyens-s-oppose-a-la-nuit-du-bien-commun-1743444573

Commentaires

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  1. PE Sterin le grand architecte du bien commun et du village chrétien de l’ILe Bouchard devrait savoir qu’agir pour le bien commun passe d’abord, pour un milliardaire , par payer ses impôts et ensuite à ne pas faire faux bond au dernier moment dans une procédure de reprise d’entreprise comme GMD.

  2. Merci pour ces informations très fouillées. Sterin l’exilé fiscal et l’instigateur du projet Périclès est un libertarien pur jus, donc extrêmement dangereux pour ce qu’il reste des processus démocratiques. Le Politique semble dépassé par les pouvoirs de l’argent, n’ayant pas encore pris la mesure des dévoiements que permettent ce genre d’évènement. Et encore, c’est ce que Sterin fait de plus soft.
    Autre chose: comment est-ce possible que la mairie de Tours loue de nouveau le grand théâtre (et son capital symbolique!) à ce type d’initiative ?

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