Quatre nouvellistes mis en accusation au tribunal d’Orléans, du grand théâtre ! #2

Après Annie Ferret et Clotilde de Brito (voir article précédent), place aux deux derniers écrivains auteurs de nouvelles, placés au cœur de débats contradictoires qui permirent des témoignages, réquisitoires et plaidoiries, parfois pleines d’humour, ce qui déclencha de nombreux rires parmi le public, ou d’une hauteur d’analyse remarquable.



Par Bernard Thinat.


Paul Fournel, « Bookmaker de second rôle »

Auteur de la nouvelle « Championne du monde », il est accusé d’écritures récidivistes mettant en scène moult looseuses telles que les femmes cyclistes dont l’esthétisme n’est, paraît-il, pas la qualité première. Son affection pour cette bizarrerie optique lui est reprochée malgré son prix Goncourt pour la Nouvelle, ainsi que son appartenance au collège de la pataphysique.

Dénonçant les assauts brutaux d’une juridiction, l’auteur explique enseigner l’art de la bicyclette aux pataphysiciens, et revendique être le peintre et le souffleur des loosers et looseuses, car, explique-t-il, la loose est un embarras de choix. En effet, pour perdre le Tour de France, on peut s’écraser sur le pavé dans une descente, se fracasser sur un poteau indicateur, oublier de manger son sandwich… Et il demande à la Cour le respect car, dit-il, la loose est respectable. Et c’est au nom de la grandeur de la loose qu’il demande d’être acquitté cyclistement.

Le Palais de Justice à Orléans – Photo B.T.


La députée Stéphanie Rist, appelée à la barre, ne va pas manquer d’humour en remerciant la Cour de l’avoir appelée à témoigner en faveur des looseuses, elle qui ayant été contactée par deux fois pour être ministre, a trébuché par deux fois. Révélant qu’elle en connaît un rayon, en voyant chaque année le ballet (ou balai ?) du peloton, elle note avec humour que les femmes doivent gérer dix choses à la fois, un boulot, les enfants, les cycles hormonaux, un mari qui confond parfois le lave-vaisselle et le lave-linge, et affirme que le vélo, la bicyclette, la petite reine, le biclou, ont toujours été du côté de l’émancipation des femmes. Et de s’interroger, si les suffragettes ne s’étaient pas mises en selle, où en serions-nous ? La 3e roue du vélo, sans doute ! Et de conclure en assurant que le vélo comme la nouvelle offrent aux femmes des promesses de liberté.

Julien Le Gallo, procureur, n’a pas besoin de micro pour pourfendre l’Oulipo de Raymond Queneau, et dénoncer le roman de Pérec sans e. Regrettant la vulgarité subie pendant des années à la lecture de polars, il dénonce la vulgarité infinie du roman de Paul Fournel, après avoir noté « un salopard, deux connards, une héroïne hystérique ». Et de s’interroger où peuvent bien être les Olympe de Gouges, les Mme de Merteuil ? Lui ose dire ce que le monde sait, « à mort la loose, à mort les looseuses ! Vive la gagne, vive le pouvoir », et cite De Funès dans la Folie des Grandeurs, « les pauvres, c’est pour être très pauvres, et les riches, très riches ! ». Enfin de proposer comme sanction infligée à Paul Fournel, la médaille en chocolat.

La magnifique salle Jean-Zay du Palais de Justice d’Orléans, et “la bande des quatre” procureurs.


Il revenait à Denis Chausserie-Laprée de relever le niveau. Il interpelle d’entrée le procureur en lui demandant s’il a eu l’audace de venir à pied, de traverser la place du Martroi et ses manifestants apportant leur soutien à Paul Fournel. Et d’appeler Jeanne d’Arc au secours de l’auteur ! Plus avant dans sa plaidoirie, il s’étonne qu’une femme qui escalade un col du Tour de France ne soit pas rémunérée à la hauteur de ses efforts comme le sont les cyclistes masculins. Le voilà qui se lance dans l’évocation d’un peintre qui a voulu définir l’origine du monde, et, demande-t-il au procureur, de quel sexe a-t-il peint le tableau ? Vous connaissez la réponse, lance-t-il au proc. Non, répond sournoisement l’autre. Enfin, lui fait-il remarquer, lorsque les coureurs et coureuses sont dans les cols, tous et toutes sont, comment dit-on ? en danseuses !

Didier Daeninckx, « Troubleur d’histoire »

Auteur de « Missak », nouvelle pour laquelle il est cité à comparaître, il est connu du grand public pour ses romans et nouvelles plongées au cœur des périodes sombres de l’histoire sociale et politique. Il est accusé présentement d’être un perturbateur multirécidiviste pour une œuvre romanesque qui s’inscrit opportunément dans un contexte historique, entremêlant sans vergogne questions artistico-subversives et évènement cocorico-national.

L’auteur reconnaissant être tombé dans un guet-apens dès sa naissance, issu d’une famille de déserteurs, a découvert que l’histoire qu’on raconte est quelque peu arrangée, tel Saint-Louis présenté comme un justicier alors qu’il avait inventé la rouelle que les juifs devaient porter. Il rappelle alors le procès et l’exécution du groupe Manouchian ainsi que celle du groupe Chanzy à Orléans en 1943, révélant qu’un soldat allemand avait refusé de tirer et avait aussi été exécuté. Pour lui, la violence est aussi dans le langage, prenant exemple sur le slam, les lettres interchangées ou supprimées ayant un sens, tel Pérec, accusé d’avoir écrit un roman sans e, mais dont le nom ne comportait à l’origine aucun e, « la Disparition » étant un hommage à sa famille disparue.

Le Président de la Région, François Bonneau, appelé à la barre, insiste alors sur la grande histoire, celle que nous connaissons et qui nous guide en tant que citoyens, laquelle doit être mise en regard de la réalité des hommes et des femmes qui la vivent. Et d’ajouter que chaque individu a dans sa vie fait des choix qui ont guidé la construction progressive et parfois contradictoire d’engagements et de réflexions. Mais ajoute-t-il, tenter d’interdire l’écriture de Didier Daeninckx, cet espace d’interrogations, sans laquelle il n’y a pas de culture, c’est limiter l’espace de nos libertés, car son écriture très particulière nous éclaire sur les modèles que nous choisissons ou rejetons. C’est une écriture qui nous précipite dans des conclusions parfois terribles, mais c’est un travail pour nos libertés, conclut-il.

Dans la salle Jean-Zay, Jeanne d’Arc au-dessus de la Cour. Photo B.T.


Martine Verdier
, chargée de requérir, se dit troublée par les propos entendus, qui bonifient de manière incroyable une affaire grave. Notant que les bénéfices se partagent et que la réclusion s’additionne, que la raison et la logique ne peuvent rien contre l’entêtement et la sottise, elle considère que l’accusé se moque de la Cour, et qu’il n’y a que le témoin pour avoir trouvé une éloquence parfaite pour essayer de défendre l’indéfendable. Il vaut mieux s’en aller la tête basse que les pieds en avant, ajoute-t-elle. Relevant néanmoins que l’affaire ne justifie pas la peine capitale, ni la prison de la Santé, elle requiert l’interdiction d’écrire pendant cinq ans, car ce qui se fait de grand se fait dans le silence. En outre, elle requiert aussi que l’accusé prenne chaque jour une douche, seul lieu en ce monde où il pourra rester une heure sans rien faire. Enfin, elle demande à l’intéressé de faire de sa vie, une vie littéraire, puis un rêve, enfin une réalité sans trouble à l’histoire !

Patrick Communal prend alors la parole au nom de la défense. Exhibant un numéro de Détective de 1934, il confirme une altercation mortelle entre un peintre et un sculpteur, rapportée dans la nouvelle de son client. Il rappelle le trouble et l’émotion ressentie en entendant « l’Affiche rouge » chantée par Feu Chatterton devant le Panthéon. Il note les différences entre les écrits de Didier Daeninckx, romancier, et le travail d’historiens officiels obéissant à des critères académiques. Expliquant le style bien plus captivant de la nouvelle de Didier Daeninckx que les renvois et références en bas de page des historiens, il estime que cela permet de donner à Manouchian, l’image d’un être de chair et de sang, pour aimer, dire, écrire, s’engager, combattre, dire adieu, mourir, celui d’un réfugié sans papier, ouvrier pour survivre, poète et écrivain par vocation. Faisant le lien avec une journaliste afghane ayant fui un commando taliban et qui s’est retrouvé en larmes devant un officier de l’OFPRA qui lui demandait son passeport, il conclut en pensant que quelque part dans notre histoire commune, Missak avait pu porter vers cette jeune femme, un regard d’une tendresse éternelle.

Président, assesseures, Procureurs, avocats, accusés et témoins – Photo B.T.

Conclusion

Peut-on faire théâtre de tout ? Telle est la question qui revient souvent en boucle. Le CDN d’Orléans en avait récemment donné un nouvel exemple avec « le Procès de Bobigny » d’Émilie Rousset.

Gérard Audax en a administré une nouvelle preuve avec ces quatre procès fictifs, tenus dans la salle Jean-Zay du Tribunal d’Orléans, avec la participation active, certes d’avocats du barreau orléanais, en activité ou en retraite, mais aussi avec celle des magistrats du siège et du parquet, procureurs ou Président du tribunal judiciaire, lesquels se sont vraiment donné à fond dans leur rôle, parfois en quittant leur poste habituel dans l’enceinte du tribunal et rejoignant une place qui n’est pas la leur habituellement.

Le théâtre s’était déplacé au Palais de justice, à moins que ce ne fut la justice qui transfigurait le théâtre. Car on sait, depuis Shakespeare, que le monde est un immense théâtre.

Commentaires

Toutes les réactions sous forme de commentaires sont soumises à validation de la rédaction de Magcentre avant leur publication sur le site. Conformément à l'article 10 du décret du 29 octobre 2009, les internautes peuvent signaler tout contenu illicite à l'adresse redaction@magcentre.fr qui s'engage à mettre en oeuvre les moyens nécessaires à la suppression des dits contenus.

  1. Merci pour ce superbe compte rendu d audience! Je n ai pas pu y assister, mais je trouve cette prestation formidable

Les commentaires pour cet article sont clos.

Centre-Val de Loire
  • Aujourd'hui
    22°C
  • lundi
    • matin 15°C
    • après midi 21°C
Copyright © MagCentre 2012-2025