« Mon vrai nom est Elisabeth », c’est le récit écrit par Adèle Yon en 2025 aux éditions du sous-sol. À la croisée du roman autobiographique et de l’essai féministe, Adèle Yon multiplie les entretiens et les recherches d’archives afin de comprendre ce qui est arrivé à son arrière-grand-mère, lobotomisée dans un hôpital psychiatrique à Fleury-les-Aubrais.
Adèle Yon. Crédit : Charlotte Krebs / Julliard.
Par Jeanne Beaudoin.
Elisabeth, l’arrière-grand-mère d’Adèle Yon, dite “Betsy”, a été diagnostiquée schizophrène dans les années 1950. Depuis, la schizophrénie est une histoire de famille. Plusieurs membres de sa famille ont alerté l’auteure sur sa prédisposition à développer cette pathologie. À la fois curieuse et inquiète, celle-ci décide d’enquêter auprès des membres de sa famille afin d’en savoir plus sur la personne qu’était Betsy. Elle réalise que celle-ci est un « non-sujet », ses enfants et petits-enfants ne la voyaient que trois semaines par an, pendant les grandes vacances. Mais, depuis sa mort, plus personne ne parle d’elle. Il reste seulement le souvenir d’une vieille dame un peu folle, avec une cavité de chaque côté du front.
Lourd silence familial
Dans cette famille, nombreuse et bourgeoise, les secrets sont nombreux. Qui est Betsy, pourquoi tous les membres n’en ont que très peu de souvenirs ? Pourquoi ses enfants ne l’ont que très peu vue ? Adèle Yon sait que Betsy était diagnostiquée schizophrène. Elle découvre peu à peu, au fil de ses recherches, qu’à la suite de ce diagnostic et afin de la « guérir », son mari lui impose plusieurs séries d’électrochocs ainsi qu’une cure de Sakel. Mais, puisqu’il l’identifie toujours comme malade, son mari négocie auprès des médecins pour qu’elle subisse une lobotomie, opération qui pourrait, selon lui, la rendre à nouveau normale et adaptée à ce monde patriarcal. Mais, puisqu’elle ne lui convient toujours pas, il l’a fait interner dans un hôpital psychiatrique pendant 17 ans.
Libérée de cet hôpital grâce à plusieurs réformes, elle retrouve sa liberté, mais sera à jamais transformée par les opérations qu’elle a subies. Ce roman est une plongée dans la psychiatrie des années 1950, une période où cette spécialité, mais aussi la société tout entière, est marquée par la misogynie. L’homme décide et peut disposer du corps des femmes comme il l’entend.
Condamnée pour son désir de liberté
Dans ce livre, construit comme un road-movie, on découvre que Betsy était en réalité une femme libre. Elle voulait se marier afin de fuir son cadre familial incestueux. Mais elle s’est trop rapidement mariée avec un homme violent. Il n’acceptait pas qu’elle puisse disposer de son corps, choisir d’avoir ou non des relations sexuelles avec lui. Il ne parvenait pas à en faire la parfaite femme au foyer, soumise, gentille et serviable.
Alors, ne correspondant pas au modèle que l’on attendait d’une femme bourgeoise des années 1950, son mari l’a fait passer pour folle et négocie avec des médecins afin de la faire diagnostiquer comme schizophrène. Jusqu’à lui imposer une lobotomie.
La lobotomie, violence ultime
En parallèle de ses recherches sur sa famille, Adèle Yon enquête sur la lobotomie. Cette pratique, réalisée pour la première fois en 1935, a sévi jusque dans les années 1960. D’après ses recherches, la grande majorité des personnes opérées en France étaient des femmes, souvent forcées par leur mari parce qu’elles ne convenaient pas à l’ordre patriarcal en place. « La question n’est pas : est-ce que la lobotomie guérit ? […] La question est : la lobotomie permet-elle de limiter les préjudices que le comportement du malade porte à son entourage ? Ainsi, à la suite d’une lobotomie, une patiente est déclarée guérie en fonction de sa seule capacité à évoluer dans un milieu sans en troubler l’ordre », en conclut l’auteure.
La lobotomie est une opération risquée, elle diminue cognitivement et/ou affectivement un individu. Mieux vaut donc opérer ces personnes afin qu’elles deviennent conformes aux exigences sociales, quitte à ce qu’elles deviennent abêties, apathiques, qu’elles présentent une incapacité mentale, ou même risquent d’en mourir.
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