La culture serait la voie royale vers la sagesse, la sérénité et gage d’élévation intellectuelle et morale. Nous la célébrons, l’érigeons en rempart contre la violence et la sauvagerie. Et si l’on en faisait un peu trop ? N’est-il pas temps de démasquer une mystification, de jeter bas ce concept fumeux, fabrique de vanité, de division et de barbarie ?
Derrière les belles reliures, une véritable sagesse ou une simple illusion ? – Image Pixabay
Par Jean-Paul Briand.
Un concept flou
La culture est une entité difficile à délimiter, un concept flou et nombreuses en sont les définitions. Tous les énoncés semblent néanmoins s’accorder pour expliquer que la culture intègre les comportements, les ressentis et les modes de penser propres à une collectivité humaine, liés à un apprentissage. Pour l’UNESCO, « la culture est l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social. La culture englobe alors non seulement les arts et les lettres mais aussi les modes de vie, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. »
Un champ de luttes au service de l’exclusion
L’universalisme de la culture n’existe pas. Spécifique à chaque collectivité humaine, elle ne rapproche pas les hommes. C’est un outil d’exclusion qui structure des barrières entre les groupes sociaux. On vante le dialogue des cultures, en réalité c’est un champ de luttes au service de l’exclusion. Les querelles, les disputes de clocher intellectuel prouvent que la culture n’engendre pas la bienveillance et le respect, mais la morgue et la prétention. La pièce de théâtre de Yasmina Reza, « Art », l’illustre parfaitement. Le snobisme culturel crée une caste de hâbleurs, de maîtres à penser où l’entre-soi règne en maître, méprisant ceux qui ne partagent pas leurs références. « La culture, c’est connaître cent mots de plus que les autres », ironise Frédéric Dard. Cent mots pour se hisser au-dessus de la mêlée, pour faire sentir aux masses qu’elles n’appartiennent pas à l’élite. « La culture c’est surtout l’envie de parler, c’est faire du charme. Aussi je hais la culture, je ne peux pas la supporter », confie Gilles Deleuze dans son abécédaire.
Un moteur de barbarie
Il y a pire. « La culture engendre la monstruosité » prévient Georges Braque. C’est un moteur de barbarie. Le contact entre les Européens et les autres cultures montre que ceux qui se croyaient les plus cultivés se sont conduits en barbares féroces et ont commis des crimes abominables afin de contraindre l’autre à s’intégrer dans une culture considérée comme seule légitime. L’Allemagne, terre des plus grands penseurs, de Goethe, de Kant, a été aussi celle d’Auschwitz. La Rome de Cicéron, qui professait que la culture arrachait l’homme à son animalité, crucifiait les esclaves et glorifiait les jeux sanguinaires de l’arène. Malgré son Siècle des Lumières, ses grands penseurs, la France, terre de culture, n’a jamais été en reste pour les massacres, la torture et la barbarie.
Une imposture morale
L’homme deviendrait meilleur grâce à la culture. Rien de plus faux. Prenons quelques grands esprits, ceux que l’on cite en modèle. Rousseau, théoricien de l’éducation, abandonna ses cinq enfants. Picasso, génie artistique, était d’une odieuse violence envers ses compagnes. Céline, virtuose de l’écriture, sombra dans l’antisémitisme le plus abject. Comme l’affirme le philosophe Jean-Pierre Faye « il faut enfin admettre que ce sont trois grands esprits philosophiques – Heidegger, Jünger et Schmitt – qui ont fait le lit d’Hitler ». Où est l’élévation morale promise ? La culture ne transforme pas. C’est une imposture morale qui ne fait que refléter ce que nous sommes. Un dépravé lisant Kant ne changera pas, il citera simplement le philosophe pour justifier ses actes infâmes.
Un business comme un autre
La culture n’échappe pas au marché. Dans « Le Mépris », Jean-Luc Godard fait dire au personnage incarné par Jack Palance : « Quand j’entends le mot culture, je sors mon carnet de chèques. » La culture est aussi une affaire de commerce, de spéculation, un bien de consommation, un business comme un autre. Au sein des activités culturelles, une hiérarchie est mise en place par des « experts » qui disposent du pouvoir de classer, d’inventer des notoriétés et du sens, d’imposer des cotations afin que la culture soit une industrie lucrative.
Une arme sournoise
Ce business est un moindre mal, car la principale fonction de la culture c’est, non seulement de « produire de la distinction sociale » comme l’affirme Pierre Bourdieu, mais plus probablement de manipuler la conscience des populations. Les religions l’ont démontré impitoyablement et continuent à le faire. Aujourd’hui, si la culture institutionnelle sert toujours l’idéologie et les intérêts des dominants, c’est surtout une arme sournoise, un « soft power » puissant, qui n’occasionne directement ni guerre, ni occupation territoriale, ni représailles économiques. Uniquement par des images, des sons, des livres, des articles, des chansons : « l’American way of life » et ses codes se sont imposés inexorablement presque partout dans le monde. On oublie trop vite que tout choix culturel est un acte politique : en mai 1968, les signataires de la Déclaration de Villeurbanne l’avaient compris.
À la gloire de Coca Cola – Image Pixabay
La culture est un leurre destiné à masquer l’insignifiance de nos existences, une prétention déguisée en vertu et un authentique instrument de domination. Heureusement, comme le rappelait Pierre Desproges : « On peut très bien vivre sans la moindre espèce de culture. »
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