Au Cercil, Martin Barzilai déterre le passé de Thessalonique  

Le photographe Martin Barzilai, petit-fils d’un Juif salonicien, s’est exprimé ce jeudi 16 octobre à Orléans, au Cercil Musée-Mémorial des enfants du Vel d’Hiv, à propos de son livre Cimetière fantôme, Thessalonique. L’ouvrage retrace l’histoire du plus grand cimetière juif d’Europe, dont les fragments de tombes, disséminés à travers la ville, témoignent d’un passé effacé.

Martin Barzilai, à gauche, évoque les morceaux de tombes que certains habitants de Thessalonique retrouvent dans leur jardin.

Martin Barzilai, à gauche, évoque les morceaux de tombes que certains habitants de Thessalonique retrouvent dans leur jardin. Crédit : Charlotte Guillois.

 
Par Charlotte Guillois.


Avant la Seconde Guerre mondiale, la Grèce compte plus de 70 000 Juifs, pour la plupart séfarades originaires d’Espagne. Chassée par le décret de l’Alhambra en 1492, cette communauté trouve refuge à Salonique, où ses défunts sont enterrés pendant plus de quatre siècles dans un vaste cimetière situé à l’extérieur des remparts médiévaux.

Avec la révolution industrielle, le cimetière devient un obstacle au développement urbain. Dès la fin du 19e siècle, les chrétiens orthodoxes réclament son démantèlement. Une partie du cimetière est ainsi vendue avant le début de la Seconde Guerre mondiale, puis l’ensemble est entièrement détruit en 1942 par les nazis. Les chrétiens orthodoxes demandent alors la permission aux Allemands d’utiliser les vestiges pour reconstruire la ville. Le cimetière devient carrière, et les tombes, matériaux de construction.

Pendant longtemps, la Shoah demeure un sujet tabou. Il faut attendre le 21e siècle pour que la parole se libère. Pourtant, certains silences persistent, notamment autour du cimetière. « La moitié de Thessalonique est construite sur un terrain qui appartenait à des Juifs, c’est le problème constitutif de la ville. Ce tabou restera », déplore Martin Barzilai.

La logique génocidaire : l’effacement d’un peuple

En 1943, 96% de la population juive de Thessalonique est décimée. Le cimetière est rasé, pillé, anéanti. Le passé est effacé. Les tombes devenues briques sont avalées par la ville, comme si les Juifs saloniciens n’avaient jamais existé. « Il ne reste rien à Salonique », assène le grand-père de Martin Barzilai.

Pour le photographe, chercher ces pierres, c’est une manière de « résister, de montrer que les Juifs sont toujours là ». Derrière Cimetière fantôme, Thessalonique, il y a cette volonté de « photographier le rien ». La photo permet de montrer des choses déjà visibles par les habitants de Thessalonique, mais auxquelles ils ne font plus attention, car elles font partie de leur quotidien. Pour continuer à faire exister le passé et ramener de la présence dans l’absence, Martin Barzilai met en lumière ces pierres tombales chargées d’une histoire qu’il refuse d’oublier.

Les visages de la mémoire

Dans Cimetière fantôme, Thessalonique, les clichés de tombes côtoient des portraits et témoignages de Saloniciens. Si le livre voit le jour, c’est grâce aux rencontres que Martin Barzilai fait sur place. Deux personnes en particulier jouent un rôle clef dans la genèse du projet : Jacky Benmayor, spécialiste de l’histoire juive à Thessalonique et dernier locuteur du judéo-espagnol en Grèce, capable de déchiffrer les inscriptions des pierres, et Iosif Vaena, pharmacien passionné par l’histoire du cimetière, qui a partagé avec Barzilai les emplacements des tombes qu’il avait déjà repérés dans la ville.

Au fil de l’entretien, une question revient, obsédante : dans quel état d’esprit se trouvaient ceux qui ont profané le cimetière ? Ont-ils ressenti de la culpabilité ? Et cette culpabilité, persiste-t-elle aujourd’hui ? Un début de réponse est apporté par l’interview d’Anna Theophylaktou, alors âgée de 99 ans, aujourd’hui décédée. En 1943, étudiante en médecine, elle participe à la construction du département d’anatomie. Avec les autres étudiants, elle récupère des pierres du cimetière pour fabriquer des tables de dissection. Aucun remord ne transparaît dans sa voix, elle se contente de justifier leur geste ainsi : « on n’avait rien, on s’est juste servis ».

Cartographier les vestiges pour contrer l’oubli

La carte de Thessalonique créée par Martin Barzilai pour recenser les fragments de tombes disséminés dans la ville.

Carte de Thessalonique issue de Cimetière fantôme, Thessalonique pour recenser l’emplacement des fragments de tombes disséminés dans la ville. © Créaphis éditions, 2023


Au fil de son enquête, Martin Barzilai entreprend de cartographier les vestiges du cimetière. Il est le premier à créer un plan recensant les pierres tombales éparpillées dans la ville. Une initiative inédite, que le photographe justifie par cet adage bien connu dans la communauté juive : « Pour vivre heureux, vivons cachés ». Une formule qui traduit la volonté d’un peuple meurtri de ne plus se faire remarquer.

Mais le plan est loin d’être exhaustif, et de nombreuses pierres restent encore à découvrir. « Ce livre, c’est un pas vers… car le travail de la mémoire est toujours en évolution », conclut Martin Barzilai.


Plus d’infos autrement :

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