Fin octobre, l’Alternative Funéraire du Loiret organisait avec succès une semaine pour parler de la mort autour de différentes activités. C’est l’occasion de revenir, avec Nathalie Grenon, fondatrice et présidente de l’association, sur ses objectifs. Entre café discut’, visite des patrimoines funéraires et impact carbone, plus de 2 000 personnes ont été sensibilisées en 2024. Entretien.
Nathalie Grenon, à Chartres, accompagnée de la Compagnie Cavalcade Pompes Funèbres Bemot. Crédit : Eva Dumont.
Propos recueillis par Jeanne Beaudoin.
Comment est née l’Alternative Funéraire du Loiret et pourquoi avoir créé cette association ?
Nathalie Grenon : En 2020, j’ai réuni quelques citoyens et citoyennes pour leur faire part d’un constat : il y a un vrai problème de relation avec la mort dans notre société. Elle est omniprésente avec les séries et les jeux vidéo par exemple, et pourtant on parle peu de la mort en elle-même, ou de l’organisation des obsèques. C’est une grande angoisse pour beaucoup de gens. Et puis, les Français sont de moins en moins religieux. Pourtant, on n’a pas réinventé un rituel civil laïque.
Puis il y a eu le Covid, ça a ralenti beaucoup de choses, mais ça a aussi accéléré d’un coup la question de la mort, devenue omniprésente dans les médias. On parle enfin du fait qu’il n’y a plus de rituel. Entre deux confinements, on parvient à se réunir. Comme tout était fermé, c’est Bernadette Després, la dessinatrice de Tom-Tom et Nana, qui nous a prêté son atelier, on a fait des photos dans un cimetière et c’était parti.
« Les obsèques coûtaient 4 000 euros en moyenne, qui en a les moyens ? »
Qui étaient concernés par votre projet d’association ?
Je pensais que le gros du problème était les obsèques des “indigents“. C’est un mot horrible, mais toujours utilisé, pour qualifier les gens qui ne disposent d’aucun moyen et qui ne peuvent donc pas payer des obsèques. Il y a alors une obligation de la commune de les payer. À ma grande surprise, la question de ces “indigents“ à l’échelle du Loiret ne représente qu’une petite dizaine de personnes par an. Par contre, c’est plus compliqué pour les personnes qui travaillent et qui ont un SMIC, ou un peu plus. Les obsèques étaient à l’époque à 4 000 euros en moyenne, maintenant c’est plutôt 5 000. Qui a les moyens de payer cette somme ? Dans le Loiret, il y a en moyenne 6 000 personnes qui meurent par an, on considère, et ça ne fait qu’augmenter, que 14% de la population est en état de précarité, ça fait beaucoup ! C’est la partie cachée de l’iceberg. Des associations caritatives m’ont dit qu’elles voyaient arriver des gens surendettés parce qu’ils ont dû faire un crédit à la consommation pour enterrer un proche. Il fallait donc réinterroger le système et imaginer ce que l’on pourrait faire.
Randonnée mortelle, organisée dans le cadre de La Nuit des Ombres au musée des Beaux-Arts d’Orléans le 31 octobre 2025. Crédit : L’Alternative Funéraire du Loiret.
Quelles sont les actions que vous avez mises en place pour rendre les obsèques plus accessibles ?
On a créé un groupe de travail composé des CCAS, des services de l’État, du Département, des associations caritatives et des citoyens et citoyennes. En premier lieu, il fallait former des travailleurs sociaux. Lorsqu’une personne est surendettée, on ne pense jamais à la possibilité qu’il y ait eu un décès dans sa famille. C’est tellement tabou, les personnes ont si honte qu’elles ne parlent pas du surendettement à cause de cela. On s’est rendu compte qu’un certain nombre de structures avaient des enveloppes prévues pour aider les personnes en situation de précarité, par exemple la CAF, la CPAM, certaines mutuelles, banques ou assurances. Mais par méconnaissance ou honte, les gens ne vont pas les voir. Donc on a fait entrer ces structures dans nos groupes de travail avec l’idée que cet argent puisse être mobilisé. Parce que le souci lorsque quelqu’un meurt, c’est qu’il faut l’enterrer ou le crématiser. Donc l’argent, on en a besoin tout de suite, pas dans six mois. Pour la CPAM, il y a des aides mais ça prend un temps infini pour les mettre en œuvre. Il faut donc qu’on invente un système qui permettrait de payer immédiatement une partie des obsèques, selon des critères très précis. On en est à ce stade de la réflexion.
« Quand on est dans une situation de deuil, on prend souvent la première option »
Vous dites qu’un enterrement coûte en moyenne 5 000 euros, n’est-il pas possible de baisser ce coût ?
On peut faire moins. Sauf que quand on est dans une situation de deuil et qu’il faut prendre une décision très rapidement, on prend la première option. Quel est l’achat de 5 000 euros qu’on décide en 45 minutes ? Il n’y en a aucun. Même la machine à laver, qui est à 300 euros, on va faire dix magasins, comparer les offres. On a mis en place des cafés discut’ avec Familles Rurales où on apprend aux gens ce qui est obligatoire et ce qui ne l’est pas. Un cercueil peut par exemple coûter 5 000 euros comme il peut coûter 600 euros. On leur apprend à devenir des acteurs de ce qui est un acte de consommation. De ce fait, c’est devenu un commerce.
Est-ce que vous organisez d’autres activités le reste de l’année ?
L’Alternative Funéraire, c’est aussi aller dans les cimetières, montrer que le patrimoine funéraire est merveilleux. C’est redécouvrir ces cimetières, en faire des lieux de détente et de poumons verts dans les villes. Au cours des visites, on rappelle la législation : où je peux enterrer, dans quelles conditions, qu’est-ce qui est obligatoire et ne l’est pas. C’est aussi utiliser le cinéma, le théâtre, l’histoire de l’art pour aborder la mort sous toutes ses coutures. On passe beaucoup par l’humour : la mort et l’humour vont ensemble.
« L’impact carbone d’une crémation ou d’une inhumation équivaut à un aller-retour Paris – New-York »
Il y a un autre élément qui m’intéresse beaucoup, c’est l’impact carbone que représentent les obsèques. Que ce soit la crémation ou l’inhumation, les estimations sont semblables à un aller-retour Paris – New York. Maintenant, les cercueils ont de moins en moins de vernis, il y a des progrès qui ont été faits. Mais il y a une marge encore plus grande qui reste possible. Les cercueils naturels sont en forte demande aujourd’hui. On sensibilise énormément à ce sujet. L’Alternative Funéraire interroge tout ça : la place du mort dans notre société, en histoire de l’art, en anthropologie et en sociologie, mais aussi la question des cimetières et de leur évolution. Il y a aussi la question de l’humusation, le compostage humain, qui pourrait être une alternative. On n’en a pas encore le droit, mais il y a une étude en cours. C’est autorisé dans certains États aux États-Unis ou en Belgique.
Image illustration : ©unsplash
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Conférence gesticulée pour une Sécurité Sociale de la mort.