« Qui som ? » au théâtre d’Orléans : envoûtant !

La compagnie du Baro d’evel revient à Orléans avec Qui som ?, un spectacle visuellement extraordinaire. Mêlant cirque, danse, musique et inventions théâtrales, la troupe nous emmène dans un autre monde. Jouant avec les matières, elle soulève des questions actuelles essentielles de la vie et du spectacle. Qui sommes-nous, un fil richissime pour inventer une réponse.

Impossible de tenir debout. Photo Christophe Raynaud de Lage.



Par Bernard Cassat.


Le Baro d’evel a besoin de se frotter à la matière pour construire un spectacle. Et les éléments sont salissants. Des personnages arrivent tout fringants dans leurs beaux costumes noirs, et très vite se retrouvent pleins de terre. Elle détermine l’esthétique de tout le spectacle, un noir et blanc sale dans lequel ils vont évoluer. Qui va se salir de plus en plus. Parce que sous leurs pieds va se répandre un liquide glissant et tous vont tomber dedans. S’accrochant les uns aux autres, se relevant, se poussant, ils dégringolent et jouent à glisser comme des gamins. D’ailleurs, depuis le début, le maître du jeu est un enfant.

Encore plus sales, encore plus gris, un deuxième élément leur enserre la tête, des pots d’argile. Et soudain la scène prend des airs tragiques avec ces personnages étranges, à la tête en pot de fleurs, qui s’évitent et se cherchent à la fois. Qui sont donc ces personnages, sont-ils dans un autre monde ? Qui som ?

Acrobaties dans un autre monde. Photo Jérôme Quadri.


À force, ils creusent des trous pour la vue, et donc se reconnaissent. Puis lorsqu’une musique s’élève, ils se font des oreilles pour l’entendre et danser, danser. Toutes les chorégraphies du spectacle sont époustouflantes. D’une modernité accomplie, d’une rigueur impeccable, d’une force qui prend aux tripes. On se retrouve à pleurer et on ne sait pas pourquoi. Seulement parce que c’est beau, c’est fort, c’est collectif, c’est réussi. Là est toute la magie de la troupe.

La musique elle aussi est remarquable, une sorte de bal popu dérisoire et précieux, une fanfare rétro sur laquelle ils dansent en jouant avec la tête toujours couverte d’argile. Le petit gars leur apporte de la peinture rouge et ils se barbouillent pour dépasser la tragédie.

Braver la pesanteur. Photo Christophe Rayna.


Plusieurs moments sidérants font de ce travail un véritable émerveillement. Leur façon de rythmer la musique en frappant des pieds les entraîne dans un ballet magnifique, par groupes qui se croisent, qui se renvoient l’énergie, qui occasionnent des acrobaties, des lancers de danseuse, des contorsions incroyables.

Plus tard, trois grâces dérisoires se dandinent dans des poses impossibles, penchées en arrière sans tomber, marchant ainsi, en oblique, bravant la pesanteur. C’est vraiment l’ADN de la troupe, se confronter aux principes de base de la réalité, s’en jouer de manière désinvolte et s’amuser de la difficulté. Avec toujours le souci de développer du sens par les images produites, d’y insérer une parodie du monde réel sans avoir besoin de l’expliciter, mais en se débrouillant pour lever toute ambiguïté. À chacun de relever le défi, de comprendre ce qu’il veut.

Le mur qui enfante. Photo François Passer.


Et le spectacle prend encore une autre dimension lorsque le décor lui-même se met à jouer. Une bête monstrueuse, mangeuse d’hommes, s’anime tout à coup dans un tonnerre de sons, un déluge de lumières. On ne sait pas la matière, on ne reconnaît pas le modèle. La bête, le monstre, incroyable machine qui fonctionne toute seule, fait le spectacle sans personne. Plus tard, un mur de bouts de tissus ou de plastique va faire émerger une marionnette voltigeuse. Pour finalement s’agiter, dévorer sa création et prendre lui aussi le dessus sur le spectacle. Tout en accouchant d’une mer de bouteilles en plastique, dans laquelle les personnages vont danser en créant un bruit de marée. Là aussi, les sens ne sont ni cachés ni explicités. Une chanteuse balance là-dessus un blues enrobé de folk qui touche en plein l’émotion.

Force et inventivité

Le spectacle visuel et sonore est vraiment d’un haut niveau. La parole, par contre, est leur point faible. Depuis le début, la mise en garde autour du téléphone est une idée intéressante mais trop étirée, jusqu’au slam final, malgré son rythme joyeux. Il explicite ce qui était induit dans le spectacle et qui faisait sa force.

Reste que Qui som ? est un travail époustouflant qui touche profondément par sa force et son inventivité. Cette troupe du Baro d’evel propose des voyages scéniques tout à fait originaux, aboutis, fouillant une modernité rare dans le spectacle qui cherche à être total.

 

« Qui som ? » au théâtre d’Orléans

Prochaines représentations :

  • mercredi 5 novembre – 20h30
  • jeudi 6 novembre – 19h.

Il reste des places.

Renseignements et billetterie ici


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Commentaires

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  1. Pour l’avoir vu hier également, je nuancerai vos propos.

    Certes, l’inventivité est à saluer, les métaphores (mettre littéralement la tête dans le sable) pour fermer les yeux, être seulement quelques uns à voir ce qu’il se trame, mais quelles longueurs dans ce spectacle !

    Je suis d’accord que l’inaction climatique doit être formulée par une inaction physique justement, mais pourquoi la proposer sur chaque tableau ? Une ou deux auraient suffit.

    La mer de plastique est dérangeante, je suis également d’accord avec vous, mais là encore, pourquoi, pour faire du plaidoyer, devons-nous aller dans cet extrême ?
    Je crois qu’en 2025, personne ne peut ignorer les dégâts de l’Humain sur la planète. Les travaux du GIEC suffisent à démontrer que la trajectoire du maintient sous les 1.5°C est déjà impossible à atteindre.

    Je ne suis pas certaine – et pourtant je suis très acculturée à l’art contemporain – que ce n’est pas par cette voie qu’on arrivera à faire changer les habitudes.

    Pour moi, ce spectacle n’est pas le chef d’œuvre qu’on nous a vendu. Il n’est pas inintéressant mais ne fera pas date, non plus à mon sens.

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