Stéphane Demoustier réhabilite un grand architecte, un homme intègre et exigeant confronté au système politique pour défendre son idée de l’architecture. Le réalisateur nous emmène sur le chantier de la Grande Arche de la Défense, dans les années 80, et c’est impressionnant de vérité. Portrait d’un homme exceptionnel, mais aussi intrusion dans un milieu méconnu du grand public pour un film d’une grande réussite.

Sidse Babett Knudsen et Claes Bang, Mr et Mme Otto von Spreckelsen. Photo Agat Films Le Pacte.
Par Bernard Cassat.
Après HEC, Stéphane Demoustier produit et réalise des documentaires pour le département architecture du ministère de la Culture. Il connaît donc parfaitement la filière. Il s’est emparé d’un livre écrit en 2016 par Laurence Cossé. En 1982, un concours d’architecture est lancé par l’équipe Mitterrand pour un projet de La Défense. Quatre propositions sont retenues sur 424, et c’est finalement Otto von Spreckelsen, un architecte danois, qui remporte le concours.
Les rapports avec la politique
Demoustier sait aussi toute l’importance de la politique dans une réalisation de prestige comme celle-là. La cérémonie d’annonce du vainqueur par le président Mitterrand est assez hilarante. Le personnage, joué par Michel Fau, à la silhouette plus tassée, plus paysanne que le vrai, mais à l’entourage plus royaliste que le roi, confère à la situation une sorte d’absurdité dérisoire. Xavier Dolan, dans le personnage de Jean-Louis Subilo, déformation du vrai Subileau, conseiller en urbanisme et responsable du projet, se décarcasse pour trouver le vainqueur danois, répertorié nulle part. Son empressement et ses courbettes devant le président, comme les autres officiels, disent beaucoup sur le régime !

L’architecte et le président dans la perspective. Photo Agat Films Le Pacte
Mais Otto von Spreckelsen ne se démonte pas, et entre finalement dans une vraie relation avec Mitterrand qui l’apprécie. Un échange au petit-déjeuner dans les jardins de l’Élysée (rare film à avoir été tourné dans le lieu réel) les montre finalement assez proches. Ils sortent en catimini par la petite porte et vont sur les Champs, au milieu des voitures que Mitterrand/Fau, royal une fois de plus, arrête. Et là, au milieu du trafic, il constate ce que va donner le cube, tout là-bas, à travers l’Arc de Triomphe, dans la fameuse perspective. Son obsession du rose va être satisfaite.
Otto rencontre aussi Paul Andreu (Swann Arlaud) qui tente de s’immiscer dans le projet. Constructeur de l’aéroport de Roissy notamment, il lui propose d’utiliser son agence pour réaliser son cube. Otto l’emmène voir ses propres réalisations, comme une église au Danemark. Andreu est impressionné. Il lui propose une association. Otto refuse, mais accepte qu’il devienne l’architecte de la réalisation. Le cube devient une arche, la Grande Arche.

Xavier Dolan, Claes Bang et Swann Arlaud. Photo Agat Films Le Pacte.
Le binôme d’architectes, aux méthodes et à l’esprit assez divergents, va se confronter à tous les problèmes de la réalisation. Et là, le film est formidable. Il rentre dans la technique et la vulgarise admirablement, décortique finement l’imbrication de l’art, de l’industrie, des lois différentes dans chaque pays, de l’importance des techniques dans l’aspect final. Otto, pour résoudre un problème de surface de verre lisse, rencontre Pei en train de construire sa pyramide au Louvre. On y est, dans ce chantier débutant.
Retrouver des archives
Pour nous faire vivre cela, Demoustier a choisi d’inscrire son film, ses personnages, dans des archives. Il a réuni un grand nombre de photos prises à l’époque et a réussi à modéliser un décor dans lequel il fait jouer ses acteurs. C’est extrêmement bluffant, on s’y croit. Il nous emmène aussi à Carrare pour le choix du marbre.

Dans le chantier de La Défense. Photo Agat Films Le Pacte.
Mais surtout il dresse un portrait poussé d’Otto, joué par un acteur danois trilingue et musicien, le formidable Claes Bang. Il a la classe et l’élégance d’un James Bond (et s’achète une Jaguar sublime) qui défendrait sans violence la rigueur, l’intégrité et la beauté. Il se cassera les dents sur son projet, pourtant « l’œuvre de sa vie » comme il le dit plusieurs fois.
Car Mitterrand perd la majorité en 86. La cohabitation implique rigueur budgétaire et changements de conseillers. Il faut rentabiliser, privatiser. Otto refuse tout et se sent trahi. Il se retire du projet et meurt un an plus tard. Paul Andreu continue et termine la réalisation, moyennant des modifications. La Grande Arche est inaugurée en 1989, au moment de la fête du bicentenaire, comme prévu. Et son architecte décédé reste dans les limbes. Ce film est une magnifique réhabilitation.
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