Julien Simon-Delcros, président du tribunal judiciaire d’Orléans et du Conseil départemental d’accès au Droit (CDAD), nous a parlé des choix du festival. Il rappelle que le partenariat initial de JustiCiné tient toujours, associant la Protection sociale de la jeunesse, le CDAD et le cinéma Les Carmes.

Arsenic et vieilles dentelles. Photo Warner Bros.
Propos recueillis par Bernard Cassat.
Cette année, le thème du festival est l’enquête. Mais comment se passe une enquête dans la réalité ? Les images de la fiction dans les séries sont-elles fiables ?
C’est justement ça, Justiciné. Pouvoir dire sur la base d’un film qui donne une image peu réaliste, ou dramatique ou magnifiée, ce qu’est la réalité de terrain. D’abord un élément déclencheur, soit un crime, soit un signalement, soit une plainte. Tout de suite, deux acteurs principaux entrent dans le champ : le service enquêteur, police, gendarmerie, douanes, etc. Et le procureur de la République qui contrôle l’enquête. Si c’est un crime, il y a nécessairement la saisine d’un juge d’instruction, qui ouvre une information judiciaire. Après, l’enquête se poursuit sous le contrôle du procureur ou du juge d’instruction, pour aboutir à une décision : soit il n’y a pas suffisamment de charges et on classe, ce sera un non-lieu, soit un renvoi de la personne devant un tribunal correctionnel si c’est un délit ou la cour d’assises si c’est un crime.
Ce que ne disent jamais les séries, c’est qu’à Orléans par exemple, chaque juge d’instruction suit 120 à 130 dossiers et gère 30 à 40 détentions provisoires en même temps. Donc plus d’une centaine d’enquêtes avec tout ce qu’elles peuvent avoir de passionnant, les preuves scientifiques, les témoins, la vidéosurveillance, les téléphones, etc. La police travaille sous le contrôle du judiciaire. Le juge est surtout le gardien des libertés individuelles. C’est lui qui veille à ce que l’enquête ne soit pas attentatoire aux uns et aux autres. Et si ça l’est, c’est parce que le cas est prévu par la loi.

James Stewart dans Autopsie d’un meurtre.
Alors six films pour aborder ce thème, trois français, trois américains. Avec toujours la volonté pédagogique du festival, des films représentatifs d’une époque et d’un style ?
Le défi de Justiciné, c’est de sélectionner juste une petite dizaine de films parmi 1 000 possibles. On est donc passé par des filtres, d’abord le pays d’origine. On s’est limité à la France et aux États-Unis. Ensuite de toutes les époques. Et aussi le choix de ceux qui sont dans le comité de sélection. Moi, Pierre Rivière, c’est le choix de cœur de Michel Ferry. L’ouverture avec Vie privée de Rebecca Zlotowski, film qui sort la veille de l’ouverture du festival, est tout à fait à propos, même s’il s’agit de l’enquête d’une psy. Clouzot était également incontournable. On est sur l’enquête, mais on va jusqu’au procès, d’où l’intervention d’un président de cour d’assises pour le présenter. Et ce que je trouve passionnant à déconstruire, c’est la façon dont le procès est présenté dans le film pour justement le comparer à la réalité d’un procès d’assises. C’est toujours compliqué de faire intervenir des magistrats locaux. Ce sera donc un président de cour d’assises de Paris.

Jodie Foster dans Vie privée, de Rebecca Zlotowski. Photo George Le chaptois.
Pour les films américains ? Une comédie, un drame et un inclassable, une nouvelle voie de cinéma…
En fait le choix des US était incontournable. Les années précédentes, il n’y avait que des films français, sauf Chaplin. Mais là, on ne pouvait pas faire l’impasse. Trois films très différents. Twin Peaks, en hommage à David Lynch décédé en début d’année. Il est vraiment classé parmi les meilleurs cinéastes et ce film l’un de ses meilleurs. Film déroutant, alors on se pose les questions essentielles : le passage à l’acte, le crime, ce qu’il y a avant, pourquoi, etc.

Autopsie d’un meurtre, d’Otto Preminger.
Pour les deux autres, il y a le coup de cœur du président ! Autopsie d’un meurtre, titre qui a inspiré Anatomie d’une chute qu’on a présenté au Palais il y a deux ans. Un grand prix pour James Stewart, le cinéma ultra-classique d’Otto Preminger. Mais c’est un procès dans lequel chacun n’est pas du tout à sa place. En fait l’avocat plaide pour lui-même, pour sa carrière. À l’inverse de la vérité…
Ce que j’aime, c’est la question : pourquoi on travaille ? Est-ce qu’on travaille pour soi, pour les autres, pour une cause, pour une personne ? Et revenir à l’essentiel : l’enquête, ce n’est pas pour le plaisir, mais parce qu’on travaille pour la vérité, aspect philosophique de la question, mais surtout la justice. Et donc éviter de se tromper, rétablir un certain ordre social. Ce film, c’est la démonstration de l’inverse.
D’où l’importance des présentations, parler de, autour du film…
C’est ce en quoi je crois dans ce festival. Avec en plus cette année de l’humour. Arsenic et vieilles dentelles a peut-être été vu et revu, mais à chaque fois on redécouvre des choses. Cet humour-là est universel, il y a du burlesque, il y a tout ce qu’il faut. Et surtout, ça permet de contrebalancer l’intervention juste après d’un médecin légiste. Qui va nous parler des cadavres. Dans l’enquête, on a un corps, qu’est-ce qu’on fait, etc. Et je trouve que mettre un film très drôle et ensuite l’intervention d’un représentant d’un métier considéré comme sinistre, ça marchait.

Cary Grant dans Arsenic et vieilles dentelles. Photo Warner Bros.
Dans les fictions, les légistes sont toujours des personnages incroyables et un peu fous… Alors que ce sont de grands scientifiques ?
Celle qui va venir parler est aussi professeur et psychiatre. Un grand esprit. Et très pointue au niveau médical, comme ils le sont tous. Parmi les meilleurs médecins. Ils ne font pas que des autopsies. Loin de là. Dans l’enquête, c’est surtout l’appréciation des violences. Par exemple, toutes les violences intrafamiliales dont on parle tous les jours, les violences conjugales, etc., c’est un médecin légiste qui apprécie l’ancienneté de l’hématome, des choses comme cela.

Moi, Pierre Rivière. Photo Films du Losange.
« Moi, Pierre Rivière »
Le choix de Michel Ferry :
« L’histoire est incroyable. Un meurtrier, qu’on dit même un peu débile, commet ces meurtres sur des membres de sa famille et, en prison, rédige un mémoire que plein de gens, à cette époque-là, auraient été incapables d’écrire. Donc ça pose la question, qu’est-ce que c’est qu’un assassin, quelles sont ses motivations ? Ça rentre franchement dans le sujet de l’enquête.
Et l’histoire du manuscrit est aussi formidable. Il a été retrouvé par Michel Foucault dans le début des années 70, qui l’a publié, et bien sûr Foucault était suivi à cette époque par toute l’intelligentsia. Donc ça a eu un retentissement.
Et puis sur le film de René Allio, Nicolas Philibert était assistant. Il a par la suite fait lui-même un film sur ce tournage. On a projeté aux Carmes ses docus plus récents. Passer Moi, Pierre Rivière, c’était aussi boucler une boucle de cinéma. Ce qui est toujours plaisant. »
Le programme complet et les horaires ICI
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