Brandt disparaît, emportant avec lui un siècle d’histoire industrielle et plus de 700 emplois. Malgré une forte mobilisation locale, banques et investisseurs ont manqué à l’appel. Si la colère gagne l’ensemble des acteurs locaux, cette liquidation révèle aussi les limites criantes de la réindustrialisation nationale dans certains secteurs.
Le projet de reprise sous forme de Scop n’a pas convaincu le tribunal de Nanterre. Photo Magcentre
Par Mael Petit.
Le tribunal des affaires économiques de Nanterre a mis fin, ce jeudi 11 décembre, à des semaines d’espoir suspendu : Brandt a été placé en liquidation judiciaire. Le dernier grand fabricant français d’électroménager – plus de 700 salariés, deux usines en Centre-Val de Loire, un service après-vente en Île-de-France – disparaît. La justice n’a pas retenu le projet de reprise en Scop porté par les salariés, soutenu par le groupe Revive et son dirigeant Cédric Meston, pourtant présenté comme la dernière chance sérieuse de sauver la marque centenaire.
Rendez-vous manqué avec les banques
La décision tombe comme un coup de massue dans le Loiret et le Loir-et-Cher, où l’activité du groupe irrigue une partie du tissu économique local. Pour l’État, c’est un nouveau revers industriel. « Une part de mémoire industrielle disparaît », reconnaissait même le ministre délégué à l’Industrie, Sébastien Martin, qui était venu dans l’usine du Loiret début décembre insuffler un vent d’espoir avec l’annonce d’une participation de cinq millions de la part de l’État dans le projet de reprise en Scop.
Il n’était pourtant pas seul à mettre la main à la poche puisque les collectivités territoriales avaient mis au pot pour atteindre près de vingt millions d’euros pour donner une chance au projet. La Région Île-de-France avait même annoncé, à la dernière minute, une aide supplémentaire d’un million d’euros pour soutenir la Scop, à condition de sauvegarder le site situé dans le Val-d’Oise. Mais rien n’a suffi. « C’est une colère parce que ce sont plus de 700 emplois industriels qui disparaissent dans notre pays et en grande partie dans la région, s’agaçait le président de la région Centre-Val de Loire, François Bonneau, juste après l’annonce du tribunal. On a de belles marques, on a des salariés mobilisés, on a un projet de SCOP… et tout cela n’est pas pris en compte. Aujourd’hui c’est la réindustrialisation française qui recule. La décision condamne cette industrie et les familles des salariés ».
Alors quand le ministre de l’Économie et des Finances Roland Lescure regrette que « les autres acteurs indispensables n’ont pas souhaité se positionner pour sauver Brandt », chacun comprend que les banques n’ont pas été au rendez-vous. Sans elles, le montage financier n’était tout simplement pas tenable.
« J’en ai ras-le-bol de ce pays à la con »
Un manque évalué à 4 millions d’euros par le président de la métropole orléanaise, Serge Grouard. Équation d’autant plus difficile à résoudre avec le calendrier et cette course contre la montre imposée aux acteurs locaux pour trouver les financements. « Je suis furieux ! Les collectivités ont été prévenues seulement le 27 novembre qu’il n’y avait pas d’offres sur la table alors que le redressement judiciaire date du 1er octobre. On a perdu deux mois », fulminait Serge Grouard, posté devant les grilles de l’usine de Saint-Jean-de-la-Ruelle.
L’élu orléanais allait même plus loin en pointant les responsables de cette gabegie. « Avec la Région on amenait 15 millions d’euros et tout le monde s’assoit dessus. On a tous été mis devant le fait accompli. D’abord par la direction de Brandt qui nous cache la vérité, mais aussi les services centraux de l’État et le CIRI (Comité interministériel de restructuration industrielle) qui nous racontent des bobards, qu’on a dû harceler pour savoir ce qui se passait. Les banques qu’on a également harcelées pour le tour de table et qui se sont toutes défilées ».
Très amer, mais aussi ému, Serge Grouard ne digère pas l’issue de Brandt à qui il imaginait un destin à la Duralex. « Sur ce territoire, les boîtes, on sait les sauver. Avec la Région, nous avons sauvé Duralex et là on n’a pas eu le temps de le faire. Brandt était sauvable (…) L’entreprise va être vendue aux enchères pour quelques millions d’euros, et ça va être racheté par les Chinois. J’en ai ras-le-bol de ce pays à la con », s’emporte l’édile. « Plus qu’un gâchis, c’est une pétaudière, un système qui ne fonctionne plus, qui est vérolé », balance même le maire d’Orléans sous le regard impuissant d’une préfète de Région qui tente en vain de tempérer ses saillies.
Crise immobilière et concurrence étrangère : un cocktail fatal
Au-delà du volet judiciaire, Brandt n’a pas été emporté par cette unique décision. Contrairement au petit, le marché du gros électroménager est en berne. Les fours, frigos ou lave-linge ne s’écoulent plus autant qu’avant. En cause, une crise immobilière qui réduit le nombre de déménagements et le besoin de rééquipement qui les accompagne souvent.
Dans cette atmosphère de marché grippé, les fabricants français encaissent de plein fouet la concurrence étrangère. Lorsque près de la moitié des appareils vendus en France sortent d’usines chinoises, lorsque les prix des concurrents étrangers défient toute comparaison et que les marques de distributeur s’imposent dans les foyers au pouvoir d’achat toujours plus réduit, l’espace pour un fabricant national se réduit inévitablement. « C’est très difficile de dire que l’on croit encore au made in France, que l’on croit en la capacité de réindustrialisation de notre pays dans cette mondialisation dans laquelle on est en train de s’enfermer et qui n’a aucun sens pour notre avenir », accuse François Bonneau.
La liquidation de Brandt ne met pas seulement fin à l’histoire d’une entreprise. Elle illustre surtout les contradictions d’un pays qui clame son désir de réindustrialisation depuis plusieurs années mais se heurte à la réalité des marchés mondialisés. La colère est générale chez les élus locaux, qui avaient multiplié les démarches pour sauver l’entreprise. Chez les syndicats aussi, qui parlent d’un « gâchis monumental du made in France ». Tous soulignent la même chose : la mobilisation locale et publique était là, massive, déterminée. Mais elle n’a pas suffi à contrebalancer les logiques financières. « Tout le monde vient gloser sur la réindustrialisation de la France mais la réalité c’est qu’on a été incapables de prendre en compte ce qui se passait sur le terrain », enrage Serge Grouard.
En refermant le dossier Brandt, la justice acte la fin d’une grande marque française. Mais souligne surtout l’impossible équation d’une réindustrialisation française confrontée à une concurrence internationale aux coûts imbattables. À la question de savoir si la France peut réellement réindustrialiser durablement, la disparition de Brandt, elle, lui apporte une réponse brutale.
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