Rencontre avec Louise Hémon, réalisatrice de « L’Engloutie »

Le 8 novembre, lors d’une avant-première aux Carmes, Louise Hémon a présenté son film. Cinéaste documentariste de formation, L’Engloutie est son premier long métrage de fiction, en salle dès ce 24 décembre. Collaboratrice de longue date d’Émilie Rousset, la directrice du Centre Dramatique National d’Orléans, elle vient souvent ici en résidence. Nous lui avons posé quelques questions.

Galatéa Bellugi dans le rôle d’Aimée, l’institutrice. Photo Take Shelter. Arte France Cinéma.



Propos recueillis par Bernard Cassat.

 

Quelle est l’idée de départ ?

J’ai grandi à Lyon, mais ma mère est originaire des Hautes-Alpes. On a une maison de famille, j’y allais à toutes les vacances. En plus, le film provient d’une histoire de famille, des générations d’institutrices, des femmes athées, pour le progrès, des hussards de la République.

Donc vous avez tourné là-bas ?

Oui, je voulais tourner dans ces montagnes que je connais bien, que j’ai dans l’œil depuis toute petite. Elles sont très rocailleuses et vertigineuses par rapport à la Savoie, par exemple. La vallée où j’ai tourné s’appelle la Vallée Étroite. Elle porte bien son nom. Je voulais un huis clos à ciel ouvert, comme dans un western, et il fallait qu’on étouffe. À la fois des montagnes très verticales, et un cadre plus resserré, le format carré, pour créer le côté étouffant, justement, bien encadré.

La classe. Photo Take Shelter. Arte France Cinéma.


Beaucoup de scènes de nuit. Les caméras numériques permettent cela ?

Oui, il y a un gros travail sur la sensation de l’éclairage naturel. C’était important pour moi que le spectateur ait le sentiment de lumière naturelle. Aujourd’hui, les caméras numériques ont des capteurs hypersensibles, on peut travailler l’obscurité. Je n’aurais pas pu faire ce film il y a 10-15 ans. En pellicule, il aurait fallu beaucoup rééclairer. Je me suis demandé comment on voyait à l’époque, quelles étaient les sources de lumière. Et j’ai voulu offrir cette expérience lumineuse au spectateur. Et puis les jeux avec la neige, qui est un réflecteur, en fait. La nuit, on voit loin, on voit bien quand la lune éclaire. C’était indispensable, la précision de la lumière et les jeux avec les phénomènes quasi magiques de la montagne. Il y a des nuits américaines naturelles.

Cette recherche, c’est aussi une nouvelle manière de faire un film en costume ?

Je suis dérangée dans les films d’époque quand je vois les projos, ou le nombre de bougies, alors qu’on est dans un milieu où la chandelle coûte cher. Je me suis demandé quelle magie, quelle vérité, quel aspect de conte je pouvais trouver. Et comme le film joue sur la thématique du mystère, de la science, de la connaissance et des vieilles croyances, avoir un jeu de contraste entre lumière et obscurité était parlant aussi dans la mise en scène.

La rencontre avec les villageois. Photo Take Shelter. Arte France Cinéma.


Avec en plus des gros plans très serrés sur la peau, la chair…

Oui. Le froid à l’extérieur ou le chaud à l’intérieur, le feu de la cheminée, modifient en permanence la couleur des peaux. Je me suis beaucoup inspirée de la peinture, ces rougeurs de peau que je trouve très intéressantes à filmer, sans essayer de faire joli. J’ai pris beaucoup d’acteurs non professionnels, des vrais montagnards, qu’on sente aussi une vie au soleil, des visages burinés. Ça me vient du documentaire, le goût de la rencontre, de l’authenticité…

Votre histoire a un côté anthropologique, autour de la magie, de la sorcellerie ?

La famille de ma mère était vraiment des instituteurs convaincus qu’ils allaient changer le monde, le savoir pour tous, l’émancipation très athée. Du coup, j’avais envie de plonger quelqu’un de très rationnel dans un bain d’irrationnel. Face à une communauté superstitieuse. Aimée ne connaît pas les fables de la montagne. L’imaginaire à la montagne est décuplé. Il y a des monstres de pierre, on voit des choses la nuit. Voir tout ça sans expérience… Parce que c’est un peu Madame je-sais-tout, qui arrive du côté du bien et qui impose les choses avec brutalité. Cette ambiguïté de la conquête par l’école m’intéressait. Il y a plein de choses inventées, mais j’aime bien aller chercher dans des documents, parce que souvent, il y a des idées plus folles ou plus grandes ou plus drôles que l’imagination n’aurait pas trouvées. C’est ma façon de fonctionner.

L’institutrice et ses élèves. Photo Take Shelter. Arte France Cinéma.


Côté danse et musique ?

Dans les fêtes de villages, il n’y en a plus. Mais des gens travaillent là-dessus. Je suis allée voir un chorégraphe violoneux, Robin Vargoz, qui fait des bals de rigaudons, la danse tradi du coin. Je l’ai engagé pour faire danser ma communauté villageoise. On a créé la danse du film à partir de son travail. Il est exceptionnel. Je voulais la vielle à roue pour que ça parte dans la transe. Avec beaucoup de décalages. La musique est réinventée, réinterprétée. Ce n’est pas du vrai rigaudon. Il a pris des instruments traditionnels mais les a détournés. Des décalages étranges, un peu western. Le patois en rajoute en ce sens.

Dans cette communauté, deux thèmes majeurs : la sensualité et la mort ?

En montagne, la mort est très présente. Dans toutes les familles, il y a des gens tombés d’une falaise, emportés par une avalanche. Il y a un rapport au danger très particulier. Je voulais le raconter. Et la sexualité du personnage, c’est parce qu’il fallait jouer sur l’idée de la sorcière, de l’étrangère, la femme savante, la femme qui vit différemment. Au moindre phénomène inexplicable, ça se retourne contre elle. J’aimais bien que comme il y a de l’inexplicable, une disparition puis une autre, ça va être elle la cause. La figure de la femme dangereuse, et tous les archétypes sur lesquels on s’est tous construits, les contes.

L’un des jeunes qui vint disparaitre. Photo Photo Take Shelter. Arte France Cinéma.


Mais les deux disparitions sont liées à la relation sexuelle avec Aimée !

Oui, il y avait cette envie de ma part d’une connexion magique à la montagne, comme s’ils se faisaient engloutir. Pour confronter Aimée à l’irrationnel, j’ai poussé ces phénomènes jusqu’à ce qu’elle ait l’impression que ça venait d’elle. Il fallait qu’elle soit bouleversée parce qu’elle pensait que ces disparitions étaient liées à elle. Donc introduire une sexualité dangereuse. Mais rien ne dit que c’est vraiment elle qui les fait disparaître. C’est possible. Mais on peut choisir. On ne voit rien. Il y a plein d’indices, et le village pense que c’est elle. Ce sont des sensations.

Elle se fait emmurer, et on la revoit après, au printemps. Qu’est-ce qu’il y a entre les deux ?

C’est l’ellipse totale. Peut-être que les villageois lui apportent un petit bol de soupe tous les jours. Peut-être que quand enfin il n’y a plus de neige, ils l’ont prise et l’ont fichue dehors. Peut-être qu’elle est morte et c’est uniquement une vision du muletier. À la fin, comme le racontent les femmes autour du feu, c’était pour moi le plaisir de faire la rencontre de l’inexplicable et que le spectateur choisisse jusqu’au bout son interprétation.


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