« Je suis le meurtrier de mon père, de ma mère, d’un inspecteur de police et d’un enfant. Je suis un tueur. »
— Roberto Zucco, ROBERTO ZUCCO
La pièce se déroule dans un décor fait de passerelles, d’escaliers, et de panneaux mobiles qui n’est pas sans rappeler les gravures des prisons de Piranèse, et forme une sorte de labyrinthe mental dépouillé où déambule Roberto Zucco dans sa cavale après son évasion de prison.
Mais qui est Roberto Zucco ? La dernière pièce écrite par Bernard-Marie Koltés avant sa mort en 1989, s’inspire de l’histoire de Roberto Succo, double parricide, déclaré fou en Italie, il s’évade de son internement, et commettra lors de sa cavale une série de meurtres et de viols en France, avant de se suicider après avoir été ré-interné en hôpital psychiatrique en Italie. Dix ans après Mesrine, il fait partie de ces derniers criminels des années 80 au destin mythique, “monstres” qui fascinent autant qu’ils terrorisent le public, et qui suscitent une forme de romantisme du criminel dans sa révolte au monde qui l’entoure, dont “Moi Pierre Rivière, ayant tué mon père…” de Michel Foucault fut l’archétype.
La pièce de Koltés reconstruit le personnage de Roberto dans une cavale imaginaire, autour de sa rencontre de trois femmes, sa mère qu’il va tuer, une jeune gamine de seize ans, étonnante Lolita amoureuse (Noémie Develay-Ressiguier) qui finira par se prostituer pour retrouver son Roberto, et la bourgeoise (Luce Mouchel) qui domine étonnamment Roberto, et dont il va tuer le fils gaté, sorte de double de lui-même. Ces trois rencontres dessinent un personnage insaisissable et imprévisible dans son rapport à l’amour, la violence et la mort…
La mise en scène de Richard Brunel du texte de Koltès s’appuie sur des acteurs de talent avec Pio Marmaï en ange exterminateur, dont la beauté (celle de Succo fascina Koltès), ensorcelle et tue parfois, dans une société sans amour:“Il n’y a plus d’amour dans cette société, personne n’aime plus personne” et “ce sont des tueurs, des rats, tout le monde va tuer tout le monde“. La pièce, avec sa distribution pléthorique, construit un petit monde social, perverti par cette absence d’amour, la famille dont le père de la Gamine sombre dans l’alcoolisme, et le frère gardien de la virginité de sa sœur, le “petit Chicago” de la prostitution, le petit peuple aussi voyeur que peureux, les policiers sans esprit sans âme, et pour finir la bourgeoisie confinée dans ses stéréotypes… Folie meurtrière ou révolte incandescente contre cette humanité inutile et désespérante ?
Aujourd’hui, cette lecture sociale du criminel entre culpabilité personnelle et déterminisme psychologique peut sembler datée, mais l’attraction puissante qu’exerce sur nous cette mise en scène contemporaine, montre, si cela était nécessaire, que ce texte de Koltès est déjà entré dans les classiques du théâtre.
Gérard Poitou
“Roberto Zucco” de Bernard-Marie Koltès
Mise en scène de Richard Brunel
Avec Axel Bogousslavsky, Noémie Develay-Ressiguier, Évelyne Didi, Valérie Larroque, Pio Marmaï, Babacar M’Baye Fall, Laurent Meininger, Luce Mouchel, Tibor Ockenfels, Lamya Regragui, Christian Scelles, Samira Sedira, Thibault Vinçon
Représentation les 10, 11 et 12 mars 2016
CDN Théatre d’Orléans boulevard Pierre Ségelle 45000 Orléans
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