Jupiter est dans l’impasse. Il campe droit dans ses bottes. Face à la colère qui monte de partout et franchit à peine les portes de l’Elysée, il croit encore à la calinothérapie, a l’obstination et à la répression.
Les maires ne sont pas contents, il va les mettre au pas. Malgré sa promesse il ne se rendra pas à leur congrès mais en recevra en son palais quelques 2 000 d’entre eux choisis par les préfets. Son arène à lui c’est l’Elysée et l’on vient y entendre sa partition. Il y délivre des discours, pose des questions qu’il écoute et puis il délivre son verdict préparé à l’avance et inchangé.
Les sondages le mettent au plus bas mais que sont les sondages ? Il n’empêche que Jupiter est à terre, que les grands se rebiffent, que les corps intermédiaires donnent de la voix, que les corps constitués (santé, justice, police) sont dans la rue et que la piétaille, samedi, va marcher sur Paris. Cela s’appelle une fronde dont notre histoire nous fournit un bel exemple : celle de 1648 qui fit chanceler la royauté absolue et bouta le roi, sa mère et son cardinal hors de sa capitale.
François Baroin, le patron de la très puissante Association des maires de France (AMF), Dominique Bussereau, président de l’Association des départements de France (ADF) et Hervé Morin, président des Régions de France n’ont toujours pas digéré le comportement du prince qui, au début de son mandat les a traités comme des va-nu-pieds. Aujourd’hui, aux questions d’actualité au gouvernement, le ministre Marc Fesneau a dû encaisser « Auprès des élus, le gouvernement n’a plus de crédit ».
Le trio s’est associé d’abord en septembre à Marseille puis au début de novembre à Rennes dans « Les Territoires unis », une machine de guerre qui montre leur force et que l’on a vu se déployer au Congrès des maires ces jours derniers. Dans chaque région cette benoite association va tenir des meetings politiques et travailler le terrain, réglant par ricochet son compte à l’Assemblée des communautés de France (ADCF) coupable à leurs yeux de se montrer trop accommodante avec l’exécutif.
La piétaille à Paris
Attisée par la hausse du prix du carburant, la colère des « gilets jaunes » s’est rapidement libérée dans un ras-le-bol fiscal, en défense des retraites diminuées et du pouvoir d’achat malmené (selon l’observatoire français des

Près de Châteauroux (Indre).
conjonctures économiques le revenu annuel disponible des ménages a reculé de 440 euros entre 2008 et 2016). Cette colère est également renforcée par l’affaiblissement de beaucoup de services public notamment en zone rurale (poste, maternité etc.) Ce mouvement hétéroclite et apolitique née du terrain qui rassemble tous les âges et des situations diverses s’inscrit dans notre longue tradition de la contestation de l’impôt. Samedi il part à l’assaut de Paris où il est autorisé à bivouaquer au Champ de Mars.
Fronde contre l’impôt
Sans leader politique ou syndical, le mouvement des “gilets jaunes”, qui a réussi à rassembler plus de 270.000 personnes samedi dernier, ouvre donc un nouveau chapitre de la longue histoire française de fronde contre les impôts. Il rappelle même sous certains aspects la Grande Jacquerie, vaste révolte paysanne qui s’éleva contre les hausses d’impôts en 1358, ou d’autres sous Louis XIV. « Il y a une volonté de contourner les formes d’expressions classiques de la vie politique pour s’exprimer. Les jacqueries étaient le révélateur d’un système socio-économique qui n’était plus supportable. Et là les gilets jaunes sont l’expression d’un malaise sociétal, ce qui rend le phénomène très difficile à résoudre », dit Jean Garrigues, professeur à Science Po.

Rond point de la Patte d’oie à Blois. © JL Vezon
Moins nombreux cette semaine, les « gilets jaunes » peuvent néanmoins compter sur une frange déterminée à poursuivre les multiples blocages, de routes ou de dépôts pétroliers. Peuvent-ils rêver d’un avenir politique comme le mouvement antisystème 5 Etoiles (M5S) en Italie, lancé après une journée de colère et aujourd’hui au pouvoir ? ” Aujourd’hui on n’a pas un personnage comme Beppe Grillo (le fondateur du M5S, ndlr) capable de rassembler. Il n’y a pas de personnalité suffisamment reconnue pour fédérer ce mouvement et le représenter auprès des pouvoir publics », souligne Guy Groux, du Centre de recherches Cevipof. “Le mouvement est totalement diversifié au niveau des attentes, des aspirations et même des identités politiques”, ajoute- t-il.
La mobilisation de samedi difficile à prédire, devrait donner une première réponse sur le futur des “gilets jaunes” et leur capacité à faire reculer l’exécutif. Mercredi soir, en son palais Emmanuel Macron a assuré devant les maires debout “entendre la colère mais poursuivre sa politique de transformation du pays qui prendra le temps du quinquennat pour porter ses fruits”.
Françoise Cariès.