Il reste pour le moment bien des zones d’ombre dans l’affaire de l’inculpation de Carlos Ghosn pour fraude fiscale. La mise en scène de l’arrestation en présence des journalistes et des caméras de télévision convoqués pour l’occasion indique l’intention évidente de théâtraliser les choses, et pas seulement pour l’exemple. La hâte du numéro 2 de Nissan à annoncer le remplacement du patron alors même que le Conseil d’Administration ne s’était pas encore réuni et que, Japon compliqué ou pas, a présomption d‘innocence imposerait un minimum de prudence, invite, elle aussi, à la circonspection. Nous savons en France combien certaines mises en examen, par ailleurs justifiées, tombent opportunément à des moments qui servent les intérêts d’aucuns.
Par Gérard Hocmard
Nous serons sans doute éclairés sur tout cela dans les prochains jours et il faut visiblement s’attendre à des rebondissements inattendus et palpitants. S’agissant du Japon moderne, il n’y a en tout cas pas lieu de craindre que Carlos Ghosn soit découpé vivant avant d’être dissout dans l’acide, ni que le fils du mikado ait télécommandé quoi que ce soit. Il n’en reste pas moins que la justice nippone, pas plus que les autres, ne s’embarque pas sans sushis et que les moyens déployés ne laissent guère de doutes sur la réalité des faits.
On reste rêveurs. Le jeu du chat et de la souris avec le fisc est de tout pays et de toute époque. À quelque taux d’imposition que ce soit, personne n’aime voir les services fiscaux venir lui faire les poches. Pour peu que quelqu’un entrevoie la possibilité de ne pas verser tout-à-fait ce qu’on lui demanderait, il lui faut être décidément vertueux pour résister à la tentation d’en profiter. Confer les multiples niches fiscales qui, dans notre pays, permettent à plus de la moitié des Français de réduire le montant de leurs impôts, voire à ne pas en payer.
Mais tout de même, à ce niveau de rémunération – qui n’est pas ici le sujet du papier, au cas où quelqu’un comprendrait de travers, comme cela a pu arriver, le sens de mon propos – on pourrait croire qu’on n’en est pas là ! Qu’est-ce que quatre ou cinq millions de yens, dollars ou roupies de plus ou de moins quand on en perçoit dix fois plus ? Tout ce que Carlos Ghosn a gagné, c’est de n’avoir plus maintenant que les chiffres du sudoku avec lesquels jongler pour passer le temps dans sa geôle.
Renault rit jaune bien sûr. L’entreprise nationalisée qui battait de l’aile s’était redressée et hissée aux premiers rangs mondiaux sous la houlette d’un très grand patron. Quelle que soit la tournure des événements et sans aller jusqu’à imaginer la rupture du pacte conclu avec Nissan et ses diverses marques, on peut craindre des retombées néfastes, en termes de prestige, de production et de ventes, de cette sordide et incompréhensible fraude.
Sur un plan franco-français, l’affaire ne peut tomber plus mal en raison du risque qu’elle offre de voir relancé, sur fond de jacquerie fiscale, de récupérations démagogiques et d’huile sur le feu médiatique, le débat sur les taux de rémunération des grands chefs d’entreprise. Qu’avait Carlos Ghosn besoin de vouloir se faire ce bonus sur le dos du contribuable nippon ?