« Estate », un autre regard sur le photojournalisme

Ce jeudi 13 février 2020, le festival Les Médiatiques proposait aux élèves du lycée Voltaire la projection du court-métrage de Ronny Trocker. Inspiré du célèbre cliché de Juan Medina représentant un migrant échoué sur une plage espagnole, le réalisateur propose de « se promener dans une photo » et suscite la réflexion autour du rôle du photographe dans le paysage médiatique.

Estate, un court métrage inspiré de la photo de Juan Medina qui immortalisa un migrant s’échouant sur une plage espagnole en 2006. ©Ciclic

Ronny Trocker pose un humble regard sur son public, ce jeudi 13 février au lycée Voltaire d’Orléans (Loiret). Dans le grand auditorium, des dizaines de lycéens assistent à la projection d’Estate, dans le cadre du festival Les Médiatiques. La venue du réalisateur, coordonnée par Ciclic Centre-Val-de-Loire, est l’occasion de le questionner sur son court-métrage, qui interroge tant dans la forme que dans le fond.

Une atmosphère oppressante

Dans la forme d’abord, cette œuvre, sortie en 2016, propose une technique 3D qui permet de garder les personnages figés alors que le décor bouge. L’effet est immédiat : le regard du spectateur est déstabilisé. Un malaise s’installe. Pourtant, les premiers plans de la plage sicilienne, les flots, le cri des mouettes, le rire des enfants ou encore les rayons du soleil au zénith ne laissent pas présager d’une atmosphère oppressante à venir.

Ce migrant, rampant à bout de force sur la plage, immortalisé par le cliché de Juan Medina en 2006 a marqué les esprits. « Cette photo a fait le tour du monde et a été primée. J’ai tout de suite su que je voulais faire quelque chose avec », explique Ronny Trocker, lorsqu’il raconte l’origine de son projet. Il aura fallu trois ans pour réaliser Estate, été en italien. Le réalisateur, qui vit à Bruxelles, est italien alors il insiste pour éviter l’amalgame avec une prononciation anglophone.

Il choisit l’image figée comme représentation du passé et l’image en mouvement comme celle du présent. Et d’ajouter que « par ces deux temporalités, il est intéressant de voir comment cela perturbe nos perceptions ». Si le réalisateur se défend de vouloir transmettre un quelconque message, il avoue souhaiter « provoquer le questionnement ».

Quel rôle pour le photographe ?

Car dans le fond, sa question est de savoir « quel rôle joue le photographe dans une situation comme celle-là ? » Souvent décriés par le public, les reporters photo ont la mission de rendre compte de ce qui se passe dans le monde. Dans les zones de guerre ou de misère, on leur reproche de shooter plutôt que de secourir. À l’instar de Kevin Carter, que la photo d’un enfant à l’agonie observé par un vautour a rendu célèbre. Cette photo prise au Soudan, lui a valu le prix Pulitzer en 1994 mais surtout une déferlante de critiques et d’accusations qu’il n’aura pas surmontée. En juillet 1994, il s’est suicidé.

Ronny Trocker, réalisateur d’Estate, court-métrage de 2016. ©Elodie Cerqueira

Dans Estate , le photographe est un personnage à part entière avec un rôle central, puisque c’est lui qui au départ donne le rôle principal au migrant, immortalisant une scène qui met en exergue la tragédie migratoire. Mais Ronny Trocker précise qu’il ne s’agit pas d’une dénonciation car sans photo « les événements ne sont pas visibles ». Il s’agit au contraire de repositionner le photographe dans sa mission informative.

Filmer le photographe : une mise en abîme subtilement amenée qui fait de tous des voyeurs (photographe, réalisateur, spectateur). De fait, interpellés et bousculés, les lycéens, silencieux durant les huit minutes de projection, ne manquent pas d’interrogations à l’attention du réalisateur. Ce dernier les incitera à se questionner sur le comportement que doit adopter un photographe dans une telle situation, celui de rendre compte par l’image ou d’intervenir. Une question d’éthique qui à l’heure des réseaux sociaux et de la profusion de vidéos et d’images est plus que jamais d’actualité. Un court-métrage pour un long travail d’éveil de l’esprit critique et de l’éducation aux médias des jeunes.

Elodie Cerqueira

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