L’atelier de nos vies, lettres à une inconnue

Un premier roman se perd souvent à étaler les états d’âme et la biographie personnelle de l’auteur, à régler des comptes avec son passé, ses parents, ses ex-amants, ses renoncements aux vocations de jeunesse…

Tel n’est pas du tout le cas, pour notre plus grand bonheur, du très beau, poétique, subtil et original premier roman de Lucie Paye publié dans la prestigieuse « couverture Blanche » chez Gallimard. Même la 4e de couverture nous en dit très peu sur l’auteur, cette jeune femme parisienne, « née sous Giscard » comme Camille Chamoux, vivant à Londres, dont on ne saura pas si la connaissance fouillée des milieux artistiques vient d’une pratique professionnelle ou d’une enquête fouillée à la Zola.

Peu importe au fond, car la grande richesse de cet ouvrage est intime, contenue dans le paysage des sentiments et des impressions ressentis par un jeune peintre et par une femme dont on ignore si leurs destins se sont croisés.

Comme dans un roman épistolaire, on alterne à chaque chapitre entre « elle » et « lui », entre Paris, Londres et l’île Maurice.

Et puis il y a cette femme entrevue par la « fenêtre sur cour », troublante et énigmatique : serait-ce celle qui surgit comme par « écriture involontaire » sur la nouvelle série de toiles du jeune artiste, bouleversant son style ? Une vieille dame sibylline, Geneviève alias « Jeune-vieille », une amante férue d’histoire de l’art et qui dévoile à l’artiste lui-même les ressorts de sa peinture, un ami galeriste pressant, complètent les personnages, non en quête d’auteur – ils en ont une, et de talent – mais de vérité et de présence. Car ce roman nous parle d’absence, d’arrachement, de résilience, d’amour inconditionnel à distance, de mensonges et d’omissions qui détruisent, de construction d’une identité par l’art. De quoi apaiser nos cœurs inquiets, comme une superbe Lettre à une inconnue.

À l’heure où la pandémie mondiale nous remémore les drames de la grippe espagnole, le bouleversant roman de Stefan Zweig, publié il y a cent ans, en 1922, vient de retrouver son petit-fils. Comme une lettre oubliée dans une malle au fond d’un grenier familial qui nous parle, à travers les âges, de notre moi le plus intime et nous invite à vivre ici et maintenant. L’atelier de nos vies n’est pas une vaine quête mais une œuvre à prendre en mains. Immédiatement.

Pierre Allorant 

 

Lucie PAYE, Les cœurs inquiets, Gallimard, février 2020, 147 p., 16 euros

 

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