Journal d’un confinement #37 Le médecin et le philosophe

Sophie Deschamps © GP

Chères lectrices et chers lecteurs de Magcentre,

Face au confinement imposé à la France depuis le 17 mars, j’ai décidé d’écrire un journal de bord pour y exprimer, jour après jour, mon ressenti face à cette situation inédite qui nous oblige à réfléchir et surtout à revoir nos priorités. Vous y trouverez au fil de l’eau des infos pratiques en tous genres, selon l’humeur des conseils de sites, de lecture ou de cuisine ainsi que des coups de cœur ou des coups de gueule selon l’actualité du coronavirus. Mais surtout restons solidaires et zen les uns envers les autres. 

Merci pour vos commentaires et vos encouragements, continuez vous aussi !

#restezchezvous

Parmi les nombreux changements apportés par cette pandémie, il y a le retour des médecins dans les médias, sur les plateaux télé ou en direct devant leur hôpital. Une présence qui vole la vedette aux politiques, notamment, et que certains voient d’un mauvais œil quand on voit tous ces anciens médecins et parfois ex-ministres tenter, à travers des pétitions, de nous dire ce qu’il faut faire en matière de traitements.

Et l’on découvre au fils des jours et des interviews que ces hommes et ces femmes ont des choses intéressantes à nous dire sur la société d’aujourd’hui et pas seulement dans le domaine de la santé. Il est vrai que ces soignants nous prennent parfois de haut, nous les malades, ce qui est peut-être en train de changer d’ailleurs mais avouons que nous aussi avons changé d’attitude à leur égard en leur intimant avant tout de soigner nos bobos, petits et gros, sans s’intéresser vraiment à eux. La disparition du médecin de famille et la rapidité actuelle des consultations en cabinet n’aident pas non plus il est vrai.

Du coup, j’aimerais vous faire partager mes réflexions à propos du dialogue entamé ce mardi soir (20 avril) sur le plateau de C à Vous entre le docteur Gilbert Deray, chef du service de néphrologie de l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris et le philosophe bien connu André Comte-Sponville.

Dr Gilbert Deray, chef du service néphrologie, Pitié Salpêtrière (capture écran) ©SD

Le médecin nous a d’abord calmement expliqué, la mine grave, que l’on était passé en France « au bord de la catastrophe sanitaire avec un risque de pénurie des lits de réanimation, à un lit près ». Un trop plein de malades  qui l’aurait obligé à choisir les patients à sauver et ceux à sacrifier. « Je suis heureux que l’on ait fait passer la vie avant l’économie », a-t-il ajouté, fustigeant au passage les pays qui ont été tentés de faire le contraire comme les États-Unis et le Brésil.

 

André Comte-Sponville, philosophe (capture écran) ©SD

 

 

De son côté, André Comte-Sponville (68 ans), sur un ton beaucoup plus véhément, a critiqué la tentative du gouvernement sur le conseil des médecins de vouloir déconfiner après le 11 mai les personnes de plus de 65 ans (une idée abandonnée très vite devant la levée de boucliers des intéressé-e-s !). Ensuite, il a surtout, à mon avis, enfoncé des portes ouvertes, accusant les médias de parler du matin au soir de la pandémie alors « que 9 millions d’être humains, dont 3 millions d’enfants, meurent chaque année dans le monde de malnutrition, dans l’indifférence générale ». En tant que père de famille, il a ensuite ajouté « qu’il préférait mourir, lui, plutôt que ses enfants qui vont, eux, payer la facture de cette pandémie ». Et d’insister sur son coût économique sans précédent et rappelant que l’« on n’aura pas une bonne médecine avec une économie qui s’effondre » mais en oubliant de préciser tout de même que la médecine s’est effondrée à l’hôpital bien avant l’épidémie.

Ce à quoi le docteur Gilbert Deray, a expliqué, toujours très calme, qu’il était 100 % d’accord avec lui mais qu’il se sent aujourd’hui « comme une poupée russe, la plus petite étant le médecin, puis le père, le grand père et enfin le citoyen. Le médecin, il sauve chaque jour des vies avec ses équipes, sans demander l’âge de ses patients. Si la société avait choisi le contraire, ça aurait été très hypocrite parce que ce ne sont pas les politiques, mais nous les médecins et en particulier les réanimateurs qui aurions fait le tri. Après, le père de famille, et le grand père, il est comme vous très inquiets pour ses enfants et ses petit-enfants. Et enfin, il y a le citoyen. Imaginez que la nation décide de ne pas réanimer au-delà de 60 ans, eh bien on retomberait dans la même hypocrisie. Donc au final, je suis sans arrêt ramené à ma condition de médecin. »

« Mais moi, je ne suis pas médecin », a aussitôt rétorqué le philosophe. « Et en fait ce qui m’inquiète c’est le fait de tout soumettre à la médecine, car pour beaucoup de gens, la santé devient la valeur suprême (sic) et du coup on lui délègue tout. »

« La médecine doit être intégrée dans la société », a enfin conclu le médecin. « Oui, mais ce n’est pas une religion », a rajouté le philosophe. Chacun se fera son opinion, comme on dit.

A demain 

 

 

 

 

Commentaires

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  1. Je suis assez dépitée par le ton de votre article, qui reflète le travail des journalistes de l’émission.
    Merci pour ce partage. Je l’ai écoutée avec grand intérêt et cet échange entre un médecin et un philosophe nous fait penser, en nous faisant faire un pas de côté. Ce qui est bien rare.
    Oui nous sommes mortels. Oui la vie est plus importante que la mort. Oui, la mort d’un enfant est plus douloureuse que la mort d’une personne âgée. Pourquoi est-ce si difficile à entendre?
    La question que je me pose est aussi : pourquoi, lorsqu’on parle de vivre libre (en l’occurrence actuellement en interrogeant le confinement prolongé, tout en le respectant), on ne parle que de réouverture de l’économie. Les relations humaines, voir les gens qu’on aime, les toucher, échanger avec eux, vivre des moments collectifs et sociaux, c’est gratuit, ça existe en dehors du système marchand et c’est ce qui nous manque le plus. Non?

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