[Tribune] Noël 2020…

Jean Pierre Delpuech

L’humanité est confrontée depuis plusieurs mois maintenant, à un fléau ; ce n’est pas la première fois, ce n’est sûrement pas la dernière. La Covid-19 est l’appellation officielle de la maladie qui est provoquée par le nouveau coronavirus, le SARS-CoV-2. La Covid-19 est la contraction de l’expression anglaise « Coronavirus disease 19 ». Si dans l’état actuel des connaissances scientifiques, la majorité des formes de cette infection sont asymptomatiques ou bénignes, elle peut provoquer des pneumonies potentiellement très graves. Elle fut dans un premier temps considérée comme une seule maladie respiratoire, il semble aujourd’hui qu’il s’agisse aussi d’une maladie avec des thromboses et des atteintes vasculaires inflammatoires et que d’autres organes sont également touchés…

cl Didier Depoorter

D’autres pandémies ont frappé notre planète dans un passé récent ; ainsi, en 1957-1958, l’épidémie venue de Chine et baptisée « grippe asiatique » provoqua la mort de deux millions de personnes. En France, on estima entre 25 000 et 100 000 le nombre de victimes. Les personnels de santé de l’époque se souviennent d’un véritable drame au sein d’hôpitaux déjà submergés et sous-équipés. En 1968, un virus baptisé « grippe de Hongkong » meurtrit à nouveau notre humanité. On estima ses ravages à un million de victimes dont peut-être plus de 30 000 en France.

Quelques lignes d’horizon

Kremlin Bicêtre Réanimation pédiatrique

La pandémie que nous traversons aujourd’hui se traduit par une crise sanitaire que les États du monde affrontent avec plus ou moins de revers. Le nombre de personnes décédées en est un triste indicateur. Cette crise est d’ores et déjà économique, elle sera sociale – on redoute des émeutes de la faim – et peut-être démocratique, y compris dans notre pays. Dès lors, face à un caractère si aiguë et probablement durable, ne nous interdisons pas de penser dès aujourd’hui le monde d’après et de tracer ici quelques lignes d’horizon.

Un premier constat s’impose, le monde d’après ne peut être la reproduction du monde d’avant. L’humanité n’aurait définitivement rien compris en cherchant à restaurer une société semblable à celle que nous avons connue. Nous avons collectivement une voie nouvelle à tracer, un monde d’après à penser. Pour imaginer ce futur, commençons par nous tourner vers ce que nous observons, ici et maintenant. Qu’avons-nous vu face à cette situation inédite ? Que voyons-nous ? Partout sur notre territoire, nous sommes témoins voire acteurs de puissants élans de solidarité ; dans un esprit de concorde, et animés par une attention sincère portée aux autres, des personnes agissent pour le bien commun, l’intérêt général. Ici, des couturières solidaires qui se rassemblent pour fabriquer des masques, des blouses, des calots, pour les personnels de santé et pour les autres ; là des informaticiens, professionnels ou étudiants, – les fameux makers – qui fabriquent des visières de protection qui ont fait tant défaut. On pourrait citer ces initiatives si nombreuses à l’envi, de la collecte de gel hydroalcoolique à la distribution de denrées alimentaires…

La solidarité ne serait-elle pas la solution pour bâtir le monde de demain ?

Ce questionnement porte en creux une autre interrogation. À l’heure où les énergies individuelles et collectives ont dû pallier c’est un fait les carences de l’État, ne faut-il pas continuer à s’appuyer sur ces bonnes volontés, sur cet élan ? Ces personnes qui s’activent pour les autres nous questionnent sur les fondements que nous souhaitons assigner à la future légitimité de l’autorité publique. Est-ce que le pouvoir politique ne devrait pas appartenir à l’avenir, comme le souhaitait récemment Jacques Attali, à « ceux qui sauront démontrer le plus d’empathie pour les autres » ?

Rôle et place de l’État

Une réflexion sur le rôle et la place de l’État doit à cet égard être engagée, sur sa verticalité en particulier. Tous les observateurs attentifs à ce qui se produit dans notre pays constatent l’urgence d’une nouvelle décentralisation avec des solutions adaptées au cas par cas pour plus d’efficacité. Cela ne signifie nullement renoncement au principe républicain d’indivisibilité. Il appartient à l’État d’anticiper ce type de crise, de veiller à travers ses services déconcentrés – qui ont montré leur caractère indispensable –, et de concert avec les collectivités territoriales, de disposer de stocks stratégiques. L’absence de masques pour protéger la population illustre un grave manquement à l’exercice de la pratique régalienne. Les collectivités territoriales ont montré une plus vive adaptabilité et réactivité. Il faudra à l’avenir savoir tirer parti de cette force des territoires. Ceci n’empêche pas l’État de se montrer régulateur, de prévoir son indépendance stratégique face à une toujours possible crise. Doit-on abandonner à un capitalisme financier carnassier le sort d’entreprises qui s’avèrent si indispensables aujourd’hui ? Le soutien à la réindustrialisation, voire la relocalisation de certaines activités industrielles doit être évident.

La voie de la transition écologique

L’occasion exceptionnelle nous est également offerte de faire entrer véritablement nos sociétés dans la voie de la transition écologique. Tout dans cette crise donne raison à ce qui doit être vu non pas comme une vision du monde pour bobos diplômés argentés de centre-ville prônant le vélo et les légumes bios mais comme un changement de paradigme visàvis de notre écosystème terrestre. Notre ère, désormais qualifiée d’anthropocène, s’illustre par une rupture des grands équilibres naturels de la planète sous l’effet des activités humaines. Le développement des civilisations modernes depuis deux siècles ne peut plus perdurer ainsi. Dans les années 1970, le chercheur américain Dennis L. Meadows avait modélisé et prédit les conséquences dramatiques d’une croissance économique et démographique exponentielle sur les ressources environnementales. Nous y sommes. Le spectacle, ces dernières semaines, d’une nature quelque peu retrouvée sur le chemin des circuits courts devrait nous inciter à y réfléchir et agir.

Cette action doit évidemment s’inscrire dans le cadre d’un plan de relance et d’investissement publics européen pour chercher à réduire les conséquences de la très grave crise économique et sociale que notre continent va subir. Nous n’avons jamais eu autant besoin d’Europe, pour mutualiser notre dette, pour encourager la reprise et investir de façon responsable, c’est-à-dire sociale et durable.

Tracking or not tracking

C’est enfin à l’État et à la représentation nationale d’établir dès aujourd’hui face à la malheureuse perspective de nouvelles crises de ce type toutes les garanties institutionnelles contre la tentation d’un régime autoritaire. Notre sécurité sanitaire préservée par des mesures d’urgence et d’exceptions ne doit éclipser nos libertés que dans un cadre démocratique préalablement défini. Le tracking apparaît effectivement comme une aubaine technologique pour les régimes autoritaires de surveillance. Sachons l’utiliser avec la plus extrême prudence. L’avocat et écrivain François Sureau a raison de s’inquiéter du recul de nos libertés publiques consécutif à la prorogation de mécanismes a priori utiles dans des périodes exceptionnelles.

La première des sécurités à reconquérir

Dans ce monde de demain, la première des sécurités à reconquérir sera celle de la santé. Certes, vivre est un risque mais le droit à la santé et à un système de soins de qualité est légitime. Les Français cotisent pour cela. J’ai pu observer à la Noël 2019, à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre, la situation dramatique vécue par les professionnels de santé du service de réanimation pédiatrique. Là où devrait s’illustrer l’excellence française, j’ai rencontré des personnels fatigués psychiquement et physiquement dont le dévouement admirable permettait seul d’éviter le drame au prix toutefois de quelques malheureuses maladies nosocomiales. Ils criaient leur désarroi. Ils n’étaient pas entendus. L’urgence est donc de fournir tous les moyens nécessaires à une prise en charge correcte des patients.

La bonne santé que l’on se souhaitait le 1er janvier dernier ne peut être une variable d’ajustement. Cette ambition doit s’accompagner d’une trop attendue revalorisation des personnels dans les secteurs des soins, à commencer par les personnels des Ehpad !

Dans l’immédiat, les gestes barrières sont avec nous pour un certain temps, et l’on doit espérer dans les meilleurs délais les masques indispensables depuis toujours, les tests virologiques et sérologiques. Cette attente, au prix de mensonges coupables et de revirements de circonstance, ne devra plus se reproduire ; l’enjeu sanitaire impose, nous l’avons évoqué, la relocalisation de certaines fabrications, la constitution de réserves stratégiques d’équipement et de médicaments. La Chine, après être devenue l’atelier du monde, puis son grenier, n’a pas vocation à devenir sa pharmacie malgré sa tradition millénaire en la matière. Ce n’est pas être Pétainiste que de dire cela !

Les travailleurs de demain

Hotesse de caisse

La rhétorique guerrière qui accompagne la mobilisation de notre pays face à cette épidémie a trouvé ses émules ; je préfère évoquer tous ceux qui évitent le chaos, surtout les plus modestes, travailleurs du privé et agents publics, dont la société a découvert finalement l’édifiante utilité. Ils, et surtout elles, ont été exposés pour que les courses alimentaires puissent être faites, que les soins soient apportés, que les marchandises circulent, que les poubelles soient ramassées, etc. Leur rôle dans la société doit impérativement être reconsidéré, c’est déjà le cas ; et valorisé. Ceci nous conduit à évoquer l’ensemble des travailleurs de ce monde de demain ; il est inimaginable socialement de continuer à privilégier la rente, les dividendes, au détriment des salaires. La revalorisation salariale devra être au rendez-vous tout comme l’affermissement des services publics. La pratique du travail devra également être reconsidérée à l’aune de ce qui fut mis en place avec le télétravail. Bien des salariés ont considéré qu’ils étaient finalement aussi efficaces et qu’ils retrouvaient dans ce nouveau rapport au travail, du plaisir, la liberté de laisser un dossier pour le reprendre plus tard, et même le week-end ; que leur vie de famille, marquée par l’accompagnement scolaire, s’était enrichie, que l’absence de fatigue et de stress liée aux transports constituait une libération et un gain de temps. Ce bilan dont l’aspect écologique est majeur doit conduire à multiplier les accords en ce sens pour développer le télétravail quand cela est possible ; c’est également le moyen de redynamiser des territoires ruraux dont l’isolement a révélé les vertus prophylactiques.

Pour un véritable dialogue social

Ces lignes d’horizon ne pourront être atteintes, une fois le fléau passé, qu’au terme d’un véritable dialogue social entre les représentants des pouvoirs publics et les partenaires sociaux, syndicats du secteur privé et public, mais également du Conseil économique, social et environnemental, organe représentatif aux avis si précieux.. Les partis politiques devront s’agréger à cette concertation, belle occasion pour eux de regagner la confiance des électrices et des électeurs dans la perspective de prochaines échéances électorales capitales pour notre vie démocratique si affaiblie par l’abstention. Ce sera là l’occasion unique d’un véritable grand débat et d’une saine respiration humaniste et citoyenne une fois le masque retiré.

D’ici là, prenez soin de vous, de vos proches, et des autres.

L’auteur :

Jean-Pierre Delpuech est professeur d’Histoire-Géographie, ancien directeur éditorial des Éditions Infimes. Il est le chef de file du MoDem pour les élections municipales à Orléans.

 

 

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