YouTube or not YouTube ?

[Tribune]

Dr Jean Paul Briand

Chaque mois, YouTube est utilisé par plus de 2 milliards de personnes. Son influence dans la fabrication des opinions, des notoriétés, dans l’acceptation ou le rejet d’illusions, dans la propagation d’informations authentiques ou mensongères demande une écoute et un visionnage critiques, sur la forme comme sur ses contenus.

Les convictions sont des ennemis de la vérité

En rapport avec l’attaque du coronavirus, sont apparus sur YouTube, de nombreuses vidéos médicales. Elles mettent en scène des experts venus défendre leurs thèses mais aussi façonner des croyances dans le public. La parole d’un expert n’est pas la vérité et elle doit être mise en doute. Pour démontrer la justesse d’un traitement, il faut respecter des règles méthodologiques précises et exigeantes (https://www.magcentre.fr/194154-etude-probante-ou-galejade-marseillaise/). Les hypothèses thérapeutiques doivent être soumises à la critique des pairs, auscultées dans les moindres détails, contestées avant d’être validées.

En thérapeutique, ce contrôle, cet usage, sorte de baptême du feu exercé par les confrères, font partie intégrante de la démarche scientifique. C’est ainsi qu’il est possible de distinguer le vraisemblable du faux puis, faire éventuellement consensus. Cette analyse contradictoire, même incisive, est souvent mal interprétée par un public non informé. Les disciples et aficionados d’une doctrine ou d’une personnalité charismatique n’acceptent pas ce processus sceptique. Attaquer, contester leurs croyances ou celles et ceux qu’ils admirent, c’est s’exposer à des réactions affectives violentes.

Sur YouTube, certains thérapeutes l’ont bien compris et se servent de ces comportements idolâtres. Ils évitent ainsi de se soumettre aux enquêtes et controverses de leurs collègues. Ils le font parfois par morgue et suffisance, mais plus souvent pour masquer le manque de rigueur et de véracité de leurs travaux. Ils préfèrent, dans des entretiens filmés sans contradicteur, ou les questions et les réponses sont préparées, emporter ainsi la conviction commode d’un public naïf et crédule, séduit et manipulé. Or « les convictions sont des ennemis de la vérité, plus dangereux que les mensonges » a prévenu Nietzsche.

La parole éblouit et trompe

Visionner une séance YouTube est souvent spécieux, car notre attention peut être abusée et parasitée par nos sensations et émotions qui enrayent notre capacité critique. Dans une vidéo nous sommes captivés inconsciemment par la gestuelle, les intonations, les mimiques et les postures. Involontairement, nos éventuels questionnements sont sous l’emprise d’une éloquence captivante, d’une tenue vestimentaire impressionnante, d’un décor séduisant ou d’attitudes corporelles inspirant confiance. Toutes choses qui influencent insidieusement le jugement.

Les interviews, entre un expert (ou auto-proclamé comme tel) et un intervieweur, complaisant ou complice, sont redoutables d’efficacité pour manipuler les opinions. Sur YouTube les informations sont très souvent scénarisées, avec une mise en scène travaillée et répétée avant diffusion. Les propos accompagnant les images sont rédigés afin de marquer l’esprit de ceux qui vont visionner la vidéo. Sur YouTube, la séduction est le principal outil pour convaincre. Guy de Maupassant prévenait que « la parole éblouit et trompe, parce qu’elle est minée par le visage, parce qu’on la voit sortir des lèvres, et que les lèvres plaisent et que les yeux séduisent ».

Le doute est le début de la connaissance 

Sur YouTube, repérer un raisonnement faux ou trompeur, des artifices argumentaires, des incohérences n’est pas choses aisée. Les sites numériques à contenus pédagogiques et scientifiques sérieux ajoutent à leurs vidéos des textes et les références concernant les sources de ce qu’ils montrent. Ils offrent ainsi la possibilité de vérifier a posteriori d’où provient l’information et de se reporter aux documents originels. Un texte rend plus faciles les contrôles, met en évidence plus aisément les invraisemblances, les imprécisions et les inexactitudes. Pour autant, un écrit nécessite une lecture critique et donc d’avoir eu une éducation à l’esprit critique et à l’art du doute, aujourd’hui appelé zététique.

Force est de constater que les capacités critiques mobilisables par un individu, pour distinguer entre informations scientifiques authentiques et affirmations fantaisistes et fumistes, ne sont pas corrélées à son niveau d’études. YouTube est un formidable outil de connaissance, mais il peut aussi être un pernicieux moyen de propagande et de manipulation des cerveaux. Si une démarche scientifique doit rejeter le dénigrement et les dogmes, elle doit tout autant refuser les certitudes et toujours douter. « Le doute est un état mental désagréable, mais la certitude est ridicule », rappelait Voltaire. « Le doute est le début de la connaissance », enseignait Descartes.

Jean-Paul Briand

Commentaires

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  1. Tout ceci est juste et pertinent mais ces techniques et ces pratiques sont appliquées par les médias traditionnels et la communication présidentielle depuis très longtemps.

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