Municipales 2020 : Cent Jours

[Tribune] Par Pierre Allorant*

Même pour un président initialement « jupitérien », la référence à l’aventure napoléonienne n’est plus de saison. Pourtant, les Cent Jours si particuliers qui nous séparent du premier tour des municipales ont compté double et contribué à dessiner les traits d’un nouveau paysage politique.

Ayant fait le deuil des grandes espérances d’ancrage dans les métropoles (Strasbourg, Aix-en-Provence et Besançon exceptés), Emmanuel Macron est pressé de passer à l’avant-dernier chapitre de son quinquennat, dernière chance de rebond avant la campagne présidentielle qui débutera dès janvier 2022.

Alors que la démocratie américaine se fracasse sur la butte témoin de la lèpre raciste et suprémaciste, entretenue par celui qui depuis trois ans n’a pas réussi à endosser la charge de président des États désunis d’Amérique, le mythe de « l’union nationale » ressurgit en France comme ultime planche de salut d’un « en même temps » de plus en plus hémiplégique.

L’indépassable horizon de l’Union nationale

La gestion d’un pays en temps de crise est un exercice délicat. D’état d’urgence en lois d’exception, de gouvernement par ordonnance en réformes par décrets, ce mode d’exercice du pouvoir par gros temps confère à l’exécutif la responsabilité immédiate majeure, pour le meilleur et pour le pire. Du Comité de Salut public de la Patrie révolutionnaire en danger, récemment évoqué par le toujours jacobin Jean-Pierre Chevènement, au gouvernement Philippe dont le temps semble compté et rétréci comme peau de chagrin, l’inaccessible étoile de l’union nationale est davantage un mythe mobilisateur qu’une réalité vécue par l’opinion publique.

À nouveau, la petite musique de la formation d’un gouvernement rassemblant tous les talents, d’une « équipe de France » des « meilleurs d’entre nous », venus de tous horizons, arrive à nos oreilles, nouvelle manifestation du discrédit des partis et de la parole politique en un moment où les oppositions ne parviennent pas à tirer profit du profond discrédit du pouvoir en place.

L’indivisible souveraineté, origine de la nostalgie de l’union nationale

Cette permanente nostalgie de l’union tire sans doute son origine de la conception unitaire de la souveraineté, transférée en 1789 de la tête du roi à celle de la nation, une et indivisible. Pourtant, la royauté n’est pas un gage d’union des peuples, comme en témoignent les désarrois du dernier Borbón y Borbón, Juan Carlos, pétro-monarque qui avait su faire oublier sa désignation comme héritier de Franco, mais dont les frasques et la corruption risquent d’être le meilleur agent d’une républicanisation des Espagnes.

En France, après la dissipation de l’illusion consensuelle de « l’année heureuse », de la prise de la Bastille à la fête de la Fédération du 14 juillet 1790, l’unité de la nation est paradoxalement un ferment d’affrontement, la nation révolutionnaire assimilée depuis Sieyès au seul Tiers-état devenant exclusive des privilégiés, parasites par essence contre-révolutionnaires, le Clergé réfractaire et les nobles émigrés.

Cette défense de la Patrie en danger sert de légitimation au gouvernement révolutionnaire, extraordinaire par rapport à la constitution, à la Terreur contre les ennemis de la Liberté exercée par les comités émanant de la Convention. En se présentant comme le « soldat de la Révolution », son prolongement, Bonaparte incarne la nation et son unité, il abaisse et divise les assemblées parlementaires pour mieux puiser sa légitimité directement du peuple français.

De 1870 à 1940, au nom de la Défense nationale et de l’esprit de résistance, des gouvernements de combat ont repris l’élan de Danton pour incarner, de Gambetta à de Gaulle en passant par le Clemenceau de 1917, un sursaut salvateur tout sauf consensuel et très éloigné des majorités « Juste milieu » orléanistes, du « régime qui nous divise le moins » de Thiers ou de la « conjonction des centres » de l’entre-deux-guerres avec le renversement à mi-mandat contraire au scrutin populaire exprimé deux ans auparavant, en 1926 comme en 1934 et 1938.

Rebondir à mi-mandat : réformer, rassembler, se transformer

Laurent Fabius en 1984, Edith Cresson en 1991, Dominique de Villepin en 2005 après l’échec du référendum sur la constitution européenne, Manuel Valls en 2015 ont tenté, en vain, de relancer des mandats embourbés par les divisions aussi bien dans le pays qu’au sein des majorités présidentielles. Toutefois, les outils institutionnels ne manquent pas, du référendum à la dissolution, du remaniement au changement de locataire de Matignon, voire à la démission pour provoquer une relégitimation présidentielle. Mais ces leviers s’avèrent d’un maniement délicat et dangereux qu’attestent les précédents d’avril 1969, de juillet 1976, de 1997 et de juin 2005. 

Au-delà de cette prise de risque, le défi est de taille pour un actuel Président de la République dont l’image est déjà très établie auprès des Français, en positif – l’énergie réformatrice des débuts, l’optimisme sur les atouts du pays – et désormais surtout en négatif – le mépris des corps intermédiaires, l’arrogance de déclarations à l’emporte-pièce, l’absence d’expérience d’élu de terrain. Bref, muer du « libéralisme avancé » de ce VGE 2.0 et du chef de la start-up nation à la co-construction décentralisée d’un « monde d’après » écologique et solidaire ne sera pas simple, seule la cohabitation ayant offert à Mitterrand et à Chirac cette salvatrice transmutation.

Le verdict le 28 juin du second tour des municipales, singulièrement dans les métropoles, fournira un baromètre précieux. Selon que la poussée verte et la sortie de l’ornière de la droite se traduiront par un renforcement des maires sortants, ou bien par un basculement de la France urbaine vers une gouvernance écologiste, de Lyon à Toulouse en passant par Orléans, le deuxième souffle du quinquennat devra trouver des incarnations et des lignes de force programmatiques très différentes. Relocalisation, circuits courts, investissements dans les transports et énergies décarbonés, priorité à la santé, à l’éducation et à la recherche : la rupture devra être lisible et profonde pour convaincre de sa sincérité.

Un État fort, agile et stratège, décentralisé et protecteur ? Ce serait une « révolution » pour le Macron libéral de 2017. Au-delà de débauchages qui n’ont jamais rien apporté, quels partenaires se laisseront convaincre à moins de deux ans du seul juge de paix qui vaille sous la Ve République, l’élection présidentielle ?


*Pierre-Allorant est historien et juriste, doyen de la faculté de droit, économie et gestion d’Orléans, vice-président du CESER Centre-Val de Loire, chargé de l’Ensei
gnement Supérieur, de la Recherche et du Sport.

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  1. Bonne analyse rétrospective globale, mais lui manque une prospective locale. Espérons qu’elle viendra avant le 28/06. Les lecteurs de ce site – que je j’ouvre souvent- on besoin d’éclairages, d’un regard, sur la scène politique locale. Faites attention d’autres sites à envergure nationale, vont vous la copier /coller.

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