Le nouveau chemin. Macron passe au vert

[Tribune] Par Pierre Allorant*

« Tournez la page du premier acte », celui des discours de chef de guerre, telle était l’intention d’Emmanuel Macron, cet amoureux des planches, des mots et de la mémoire, afin d’être en mesure dès juillet d’enclencher à grande vitesse la dernière phase de son quinquennat, cette fois avec des actes et non plus de simples paroles.

Emmanuel Macron ©SD

« Retrouver le plaisir d’être ensemble »

Passant rapidement sur le dernier volet d’un déconfinement du territoire métropolitain que chacun avait déjà anticipé – le retour à la normale de l’Ile-de-France, de ses cafés et restaurants, le retour de tous les élèves dans les écoles et collèges, l’ouverture des frontières, la tenue du second tour des municipales – le président de la République a tenu à consacrer l’essentiel de son intervention à l’annonce du tournant de l’été 2020.

Accélérer la reprise de l’activité

Sans dresser un bilan exhaustif de la gestion de la pandémie, Macron a en quelque sorte anticipé ce qui sera la ligne de défense du pouvoir face aux commissions d’enquête et futurs procès en incompétence, en incohérence ou en impréparation. Non seulement « l’État a tenu » – surtout à travers ses « élus de terrain », plus que grâce à ses ARS – mais au surplus, les vies épargnées l’auraient été mieux qu’ailleurs et grâce à un pari humaniste assumé, rappel subliminal d’un slogan d’extrême-gauche : la Santé a été mise au-dessus de l’économie, tant nos vies valent mieux que tout profit, « coûte que coûte ».

Si chacun évaluera le bien-fondé de cet auto-satisfecit, en espérant que les points de comparaison du Président ne sont ni le Royaume-Uni, ni le Brésil, ce rapide bilan avait avant tout pour fonction de ne pas perdre la face, d’éviter de « rougir » et de se renier, pour que le passage à la nouvelle étape apparaisse non comme une marche arrière mais comme une accélération de la reprise d’un pays agile, doté de ressort, résilient.

Reconstruction. Le nouveau pacte productif négocié et solidaire

Désormais, la priorité des « deux années utiles » qui restent jusqu’à l’échéance de 2022 est l’indépendance à retrouver pour « vivre heureux et mieux », bâtir un nouveau modèle « écologique et solidaire ». Non, on ne rêve pas : l’ancien conseiller de François Hollande serait redevenu de gauche ! Le successeur d’Arnaud Montebourg à Bercy va sans doute redéboucher la fameuse « cuvée du redressement » et se vêtir demain d’un pull marin « Made in France » en dégustant un miel de sa production.

Dans le « monde d’après », Macron parle le Montebourg couramment, grand débutant du souverainisme économique, en un retour fulgurant aux tentations chevènementistes de sa jeunesse.

Relocalisation, pacte productif négocié avec les forces vives et les corps intermédiaires, même le mot « plan » réalise un come back impressionnant, en un retour au volontarisme industriel gaullien. Mais ce Plan de modernisation du pays repose naturellement sur une stratégie verte, englobant une relance Sociale et solidaire inclusive, par la Santé, la Protection et l’Instruction, piliers de l’ambition républicaine de Ferry au programme du Conseil national de la Résistance. À croire que les soignants, les profs et les syndicalistes dont les cris d’urgence à investir restaient sans réponse depuis 2017 n’avaient pas su s’adresser à la bonne personne, mais sans doute à son hologramme sourd.

Seul invariant de la parole macronienne, la foi européenne. Emprunter ensemble avec l’Allemagne à ce niveau de mobilisation, c’est effectivement une démarche inédite qui rompt avec les tabous centenaires (1923) d’Outre-Rhin et laisse espérer une Europe défendant enfin, face à la dérive américaine et à la puissance chinoise, son Identité, sa singularité, plus forte, plus souveraine.

Libérer les énergies. Macron, le libéral renouvelable

Préparée durant tout l’été, la dernière phase du déconfinement politique du machinisme sera certes verte, mais aussi libérale et républicaine, en un retour aux sources de l’élan réformateur initial, brisé sur le rocher de l’affaire Benalla, avant le reflux provoqué par la lame de fonds sociale et territoriale de la fronde des « Gilets jaunes ».

Afin sauvegarder l’emploi,  de retrouver l’indépendance malmenée par une mondialisation pas si heureuse, de « Vivre heureux et mieux » dans une société écologiste et solidaire, de bâtir « un nouveau modèle économique durable », plus que le retour de Nicolas Hulot au gouvernement, le Chef de l’Etat mise sur le dialogue et la participation des forces vives et des corps intermédiaires, lui qui les avait totalement court-circuité il y a trois ans – il y a un siècle. Entre envolées gaullistes sociales et accents mitterrandiens version 1988, l’appel à l’unité au nom du patriotisme républicain lui permet à la fois de donner un signal à la colère de la jeunesse et à son brûlant désir d’égalité des chances, combat à intensifier, tout en rassurant l’électorat conservateur et âgé qu’il a confisqué à la droite, en repoussant tout « communautarisme séparatiste ». L’ancien élève de Paul Ricoeur annonce aussi un nouveau moment chiraquien, celui du discours du Vel d’Hiv, pour enfin « Regarder ensemble notre mémoire », celle de la colonisation qui gangrène notre relation aux enfants de l’immigration des anciennes possessions françaises.

Décidément très iréniste dans le piochage des références à ses prédécesseurs, Emmanuel Macron assume inconsciemment sa nature de réincarnation du VGE de 1974. Avec un clin d’œil à la loi Peyrefitte « Sécurité et liberté » pour rassurer policiers et gendarmes, bras armés de l’ordre républicain qui rappelle « l’ordre juste » de la candidate Ségolène Royal en 2007, le futur candidat de 2022 recherche un nouvel équilibre entre liberté et solidarité. Le VGE nouveau réécrit Démocratie française, à la recherche d’un nouveau modèle central, intégrant les acquis de la sociale démocratie européenne, élargissant la classe moyenne à « 2 Français sur 3 ». Très logiquement, ce centrisme rénové s’attaque au Mal français dénoncé en son temps par l’auteur de C’était De Gaulle : empruntant une nouvelle fois la trace du normalien de Provins, Macron redécouvre les vertus de la libération des énergies provinciales (Vive la République des maires !), mais aussi universitaires (Valérie Pécresse peut revenir aux affaires) et hospitalières, 60 ans après la réforme de Michel Debré.

Le nouveau chemin à dessiner collectivement, après de larges consultations, sera présenté dès juillet aux Français, car le temps politique presse pour « retrouver l’énergie du jour qui vient ».

Changer sans se renier. Éviter le chant du Guépard, se renouveler pour être renouvelé en un nouveau mandat. Et boucler la boucle de la promesse de 2017. 2022, voilà le Macron nouveau, identique et changeant, il a quelque chose en lui du Beaujolais. Mais avant les vendanges, la moisson municipale de fin juin risque bien d’être particulièrement maigre.

En définitive, la question du casting gouvernemental et de l’incarnation de la nouvelle ligne à Matignon a peu de sens. La campagne de 2022 a commencé et le président sortant va tenter d’être le premier « quinquennarque » à être réélu.


*Pierre-Allorant est historien et juriste, doyen de la faculté de droit, économie et gestion d’Orléans, vice-président du CESER Centre-Val de Loire, chargé de l’Ensei
gnement Supérieur, de la Recherche et du Sport.

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