Le temps retrouvé : la petite patrie reconnaissante au grand homme d’État. Jean Zay l’Orléanais #3

Du temps des dénis de justice à l’emblème du combat laïque

À l’instar de celle de Dreyfus, la reconnaissance de Jean Zay a été très étalée, même si l’hommage de la nation débute dès 1945 à l’Assemblée consultative provisoire puis avec l’arrêt de réhabilitation de la cour d’appel de Riom le 5 juillet 1945. Mais le déni de justice se prolonge avec le refus d’entendre, et même de lire, le « J’accuse » de Madeleine Zay au procès Pétain.

Jean Zay DR

Ce sont les Amis de Jean Zay qui portent sa mémoire avec l’association présidée par Marcel Abraham en novembre 1946, avant l’hommage solennel de la nation à la Sorbonne et le dévoilement de la plaque orléanaise à l’école de la rue des Charretiers à l’été 1947.

1948 est très riche sur le plan mémoriel, du procès de Gringoire à l’arrestation de l’assassin, de l’identification du corps de Jean Zay à ses obsèques à Orléans le 15 mai 1948, au lendemain de l’hommage national de l’Assemblée et de la remise de la Légion d’honneur. Mais le procès de l’assassin de 1953 fait retomber l’élan commémoratif et réduit le souvenir de Jean Zay à la figure du grand ministre, emblème du camp laïque et de la défense de l’école publique.

Les travaux universitaires historiques prennent le relais de 1965 à 1994 d’une mémoire d’État défaillante, jusqu’à la consécration contemporaine qui concilie l’hommage local et universitaire et la reconnaissance par la puissance publique et ses élites. 

Une mémoire apaisée ? L’entrée au Panthéon

Depuis 2012, le retour du souvenir de Jean Zay au cœur des hommages républicains s’est manifesté à travers son choix par les élèves de l’ÉNA pour nommer leur promotion, en « hommage à un résistant de la première heure, homme de courage et de convictions (qui) a poursuivi l’idéal d’une école républicaine et a payé de sa vie son engagement au service de la France ».

Venu présenter, durant la campagne présidentielle de 2012, à Orléans, au lycée Jean Zay, sa « priorité à la jeunesse » et son programme pour l’éducation, François Hollande, en présence d’Antoine Prost, évoque la personnalité de Jean Zay, homme de gauche et martyr républicain. Quelques mois plus tard, Claude Bartolone cite Jean Zay à côté des 80 parlementaires qui votèrent non aux pleins pouvoirs, parmi les députés piégés sur le Massilia « à destination de ce qui allait devenir la France libre ».

Dans son discours au Mont-Valérien le 21 février 2014 par lequel il annonce son entrée au Panthéon, le président de la République reprend à son compte l’identification du grand ministre au régime de 1875 : « Jean Zay, c’est la République. L’école de la République. (…) Il veut qu’elle soit, cette République et cette école, à la hauteur des valeurs d’égalité qu’elle proclame. La laïcité de la République pour laquelle il lutte non pas pour s’opposer mais pour réconcilier ».

“Jean Zay au Panthéon”, Philippe Ramond, La République du Centre, 22 février 2014.

L’entrée au Panthéon de Jean Zay, ce « Jules Ferry du Front populaire », selon la belle formule d’Olivier Loubes, est-elle tout sauf un hasard au moment où la crise semble remettre en question les bases de sociétés démocratiques qui doutent de leurs valeurs et de leur avenir. Toutefois, le choix de faire entrer Jean Zay au Panthéon, à côté des trois autres résistants, a été le résultat d’un combat acharné.

L’obstination des associations, en particulier de « Jean Zay au Panthéon » d’Avelino Valée, la détermination des filles de Jean Zay et le soutien du président de la commission des lois du Sénat, Jean-Pierre Sueur, ont vaincu des réticences informulées, la recrudescence de la rumeur drapée dans son « drapeau », la concurrence d’autres mémoires et de préoccupations du moment, du Centenaire de 1914 avec la rivalité suscitée artificiellement avec son modèle de jeunesse et l’aîné bienveillant des aventures littéraires avant-gardistes, le Solognot Maurice Genevoix.

Mal connu pour son œuvre et passionnément détesté par Vichy, incarnation de tout ce qui fait la République, à savoir « l’anti-France » pour ceux qui pourfendent en 1940 les « 150 années d’erreur » depuis la Révolution française, voilà les traits qui ressortent le plus nettement des ouvrages contemporains de l’entrée au Panthéon, avec la thématique portée par Antoine Prost du « résistant de la veille ». L’un des panneaux de l’exposition consacrée aux quatre Résistants entrés au Panthéon est intitulé : « Résister enfermé », ce qui s’applique tout particulièrement au nouveau Blanqui embastillé par Vichy, ce pré-Résistant animé par le même esprit « dès 1938 » et qui manifeste une « résistance intérieure d’abord face au régime carcéral par l’étude, l’humour et l’écriture sous toutes ses formes (et) une résistance plus active grâce aux contacts permanents avec ses amis proches et anciens collaborateurs, membres de divers réseaux ».

La Résistance de Jean Zay, c’est L’enfermé de Blanqui plus le relais des amis indéfectibles, du cabinet du ministre à la Résistance, Jean Cassou et Marcel Abraham, et les notes passées clandestinement aux Cahiers de l’Organisation Civile et Militaire, comme l’a montré Benoît Verny.  Les premiers hommages de l’immédiat après-guerre, orléanais comme nationaux, mettaient l’accent sur la perte irréparable pour la République nouvelle, rejoignant l’autre martyr républicain, son alter ego de droite, Georges Mandel, précocement célébré par le gaullisme pour cultiver la filiation de la France libre avec le « Père la Victoire », Zay et Mandel, « les seuls hommes politiques à qui Vichy ait fait payer de leur vie d’avoir incarné la tradition républicaine et la résistance à Hitler ».

La célébration du souvenir de Jean Zay emprunte aussi à l’hommage rendu au « préfet résistant », Jean Moulin, lui aussi issu du radicalisme avancé, de l’entourage de Pierre Cot et d’une préhistoire de la Résistance située en amont des accords de Munich, dans le refus de se résoudre à l’écrasement de l’Espoir incarné par la République espagnole. La République gaullienne salue en 1964 le sacrifice du préfet d’Eure-et-Loir et son sens de l’État comme la République de 2015 met en avant le socle de l’espérance scolaire et laïque, mais aussi culturelle et réformatrice de l’État, du ministre emblématique de la « Belle illusion », la promotion émancipatrice par l’école laïque, les loisirs pour tous et la culture populaire.

C’est au moment où il quitte sa ville natale que la mémoire de Jean Zay y acquiert enfin droit de cité, reconnaissance et postérité. À l’un de ses plus grands hommes, sa petite patrie reconnaissante. Il ne serait pas incongru qu’à ce moment, passant par la place de Gaulle et la rue des Carmes de son père Léon Zay, ou bien par le boulevard Jean Jaurès, Jean Zay, enfin reconnu par son université, rentre dans sa ville, naturellement par la Porte si bien nommée : Madeleine.

Pierre Allorant

Pour aller plus loin :

  • Jean Zay, Souvenirs et solitude, Talus d’Approche, 1987.
  • Jean Zay, Écrits de prison. 1940-1944, Belin, 2014.
  • Roger Secrétain, « Adieu à Jean Zay », Chroniques, La République du Centre, 15 mai 1948, p. 403-407.
  • Olivier Loubes, Jean Zay. L’inconnu de la République, Armand Colin, 
  • Olivier Loubes, « Jean Zay à Orléans », in Pierre Allorant (dir.), 250 Lieux, personnages, moments. Patrimoine en Beauce, Berry, Gâtinais, Perche, Sologne, Touraine, PUFR de Tours, 2018, p. 443-446.
  • François Marlin, Jean Zay. Un républicain, Editions infimes, 2015.
  • Pascal Ory, La belle illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire. 1935-1938, Plon, 1994, réédition CNRS, coll. “Biblis”, 2016.
  • Pierre Allorant, Gabriel Bergounioux et Pascal Cordereix, Jean Zay. Invention, Reconnaissance, Postérité, PUFR de Tours, 2015.

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