Il était une fois en Macronie : pour une poignée de remaniés

[Tribune] Par Pierre Allorant*

Un grand créateur de musiques de film s’en va, un chef d’orchestre de remaniements ministériels s’essaie à la musique contemporaine, sans craindre couacs ni cacophonie, et surtout un air de déjà vu et entendu. Le « casting spaghetti » concocté par Emmanuel Macron et par son nouveau « collaborateur » ressemble furieusement à un acte manqué : celui du remaniement que Nicolas Sarkozy n’avait pas réalisé à mi-quinquennat, gardant François Fillon à Matignon jusqu’à la défaite en 2012. Cette réorganisation cosmétique suffira-t-elle à éviter au chef de l’Etat pareil sort ?

L’Indépendance day de Macron, la valse à trois temps du remaniement

Le contre-pied présidentiel, avec la nomination d’un Premier ministre inconnu en dehors des cercles du pouvoir et de sa sous-préfecture de Prades – chère à Charles Trenet, au pied du Canigou – réalise un autre des rêves inaboutis de Sarkozy : la suppression de fait de Matignon, conséquence logique du quinquennat, au profit d’un super directeur de cabinet, ou plutôt d’un secrétariat général.

Déjà, le profil initial d’Edouard Philippe présentait cette perspective, mais l’affirmation tranquille du populaire maire du Havre, sa capacité de séduction de l’électorat modéré avaient réussi à faire de l’ombre au Président de la République. Ce crime sondagier de lèse-majesté aboutit donc, non au tournant de ligne politique annoncé mais à un remplacement poste pour poste sur un profil équivalent, par l’hologramme occitano-catalan du chef de gouvernement haut-normand.

Cet acte d’indépendance de l’Elysée, confirmé par l’imposition de Nicolas Revel, très proche d’Emmanuel Macron, auprès de Jean Castex, a enclenché autour du 4 juillet une valse à trois temps du remaniement, poursuivie par l’annonce de la vingtaine de ministres renouvelée d’un tiers, et bientôt achevée par l’escouade obscure des secrétaires d’Etat.

Chemin balisé ou voie sans issue ? L’OPA de Macron sur l’électorat de droite

Le choix de Jean Castex est toutefois très significatif de l’analyse par le futur candidat à sa réélection en 2022 de l’état du pays. Très loin du coup de barre social et écologique annoncé, le Président « disruptif » entend bien poursuivre son travail de sape du système partisan français. Il estime, peut-être à tort, la gauche encore hors d’état de lui nuire à court terme – les fameux « 600 jours » – et préfère se concentrer sur la droite issue du gaullisme, déboussolée par l’implosion de la campagne Fillon, puis attirée par le libéralisme décomplexé des réformes économiques de Macron et par la personnalité du maire du Havre.

À ce titre, Jean Castex, énarque efficace et maire d’une petite ville, présente toutes les qualités pour réconcilier avec l’action publique les Français qui ne vivent pas dans les métropoles. Si les municipales ont montré une forte appétence des habitants des grandes villes pour une écologie assumée et socialement équitable, Macron fait le pari que la présidentielle se jouera tout à l’inverse sur la proximité avec l’autre France, celle des sous-préfectures et des chefs-lieux de canton, plus attentive au maintien de l’activité industrielle, de l’emploi, des services publics et de la sécurité. Dans ce paysage, courir derrière les Verts risquerait de faire perdre au candidat Macron ses gains conservateurs sans convaincre les anciens électeurs de François Hollande de revenir à leur « vote stratège » d’avril 2017, dû à la peur d’être enfermés dans l’alternative Fillon-Le Pen.  

Le décor est planté : Primary colors au centre-droit

L’impossible tournant écolo-social vire ainsi à l’adieu au centre gauche. Le macronisme, qui s’est rêvé autrefois le nouveau progressisme, assume désormais sa nature giscardienne et même sa tendance chiraquienne : une droite populaire, sociale, à vocation girondine, qui chasse non plus sur les terres social-démocrates mais sur les apanages de la « diagonale du vide » de Baroin et Bertrand, les rivaux dans ces primaires informelles de la droite républicaine.

Même les accents populistes ne sont plus l’ennemi du macronisme nouveau : l’avocat pénaliste le plus clivant, et le moins féministe après Gérald Darmanin, débarque dans le magasin de porcelaine du ministère de la justice, alors que Roselyne Bachelot, sauvée de la retraite par la pénurie de masques, quitte les plateaux télés pour la Culture, dans un casting qui rappelle la conception sarkozyste : la réduction de la création à sa pellicule cathodique, hier avec Frédéric Mitterrand, aujourd’hui avec le rire sonore de l’ancienne députée du Maine-et-Loire. Les aspirations à la transition écologique accélérée devront se contenter de la promotion de l’ex-verte Barbara Pompili.

Derrière ce casting, le décor est dorénavant planté : à la gauche de gouvernement, ressourcée par l’écologie, de se mettre en ordre de bataille, unie et cohérente, pour 2022, en préparant dès à présent les échéances départementales et régionales de 2021, sauf bouleversement du calendrier.

Ainsi, ce gouvernement Castex de combat, préparatoire aux échéances de 2022, apparaît bien comme le dernier gouvernement Sarkozy, celui sans François Fillon qu’il n’avait pas osé constituer. Est-ce le meilleur gage de réélection ? Macron pourra méditer sur le titre d’un film méconnu d’Ennio Morricone : L’oiseau au plumage de cristal.


*Pierre-Allorant est historien et juriste, doyen de la faculté de droit, économie et gestion d’Orléans, vice-président du CESER Centre-Val de Loire, chargé de l’Ensei
gnement Supérieur, de la Recherche et du Sport.

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