Le 28 juillet, une date pour la cause des femmes

Le 28 juillet 2020 est une journée singulière. Gisèle Halimi, icône flamboyante du féministe est décédée ce jour-là, à Paris. Jacqueline Sauvage, pitoyable emblème des violences conjugales, était enterrée le même jour, dans la plus stricte intimité, à Chuelles, petite commune du Loiret.

Maître Gisèle Halimi

Gisèle Halimi – Wikipédia

Gisèle Halimi est née en Tunisie d’une mère juive et d’un père berbère. Elle fait des études de droit et devient avocate. Dès son inscription au barreau de Tunis, elle assure la défense de syndicalistes. A partir de 1956, elle poursuit sa carrière à Paris. En 1958, elle défend des indépendantistes algériens et dénonce les tortures commises par l’armée française. Son combat contre les crimes de guerre se continue en1967 au sein de la commission d’enquête sur les atrocités perpétrées au Vietnam, par l’armée américaine.

Puis elle s’engage totalement pour la dépénalisation de l’avortement. Au risque d’être radiée du barreau, elle signe, en 1971, le manifeste des 343 femmes qui déclarent avoir avorté. Dans la foulée, avec Simone de Beauvoir et Jean Rostand, elle fonde le mouvement féministe « Choisir la cause des femmes ». En 1972, dans un procès retentissant, qui eut lieu à Bobigny, elle obtient la relaxe pour une jeune fille de 16 ans. Après un viol, la petite Marie-Claire avait avorté, aidée par sa mère et deux amies. Ce procès fut une formidable tribune contre la loi du 31 juillet 1920 qui interdisait et punissait l’avortement et la contraception. Elle ne prendra fin qu’avec la loi Neuwirth de 1967 autorisant la contraception, puis la loi Veil de 1975 permettant l’interruption volontaire de grossesse.

Photo Flickr

En décembre 1996, elle supervise un rapport remarquable dans le cadre de l’Observatoire de la parité. Députée, ambassadrice, conférencière, avocate, cette femme fut d’une personnalité politique marquante et une militante intrépide engagée dans le combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Avant l’heure des réseaux sociaux, elle avait compris qu’alerter l’opinion publique était un moyen particulièrement efficace pour dénoncer toutes les injustices à l’égard des femmes.

 Jacqueline Sauvage

En 2015, Jacqueline Sauvage a été au centre d’une polémique médiatique passionnée. Le 10 septembre 2012, plusieurs heures après un différend verbal, elle tue de trois balles dans le dos, son conjoint qui la battait depuis 47 ans. Il lui fut reproché, durant toutes ces années de vie commune, son absence totale de réaction et la non-dénonciation des brutalités, des abus sexuels de son mari sur ses enfants.

Nulle trace médicale des mauvais traitements, aucune plainte pour les violences subies, ni pour les violences sexuelles alléguées par les filles de l’accusée, n’ont pu être présentées au cours du procès. Pour se justifier, Jacqueline Sauvage a déclaré être sous l’emprise de son époux et ne pas avoir osé porter plainte, par crainte de représailles. Sa défense a essayé de faire « excuser » le crime en invoquant la légitime défense.

Photo Flickr

En France, la légitime défense n’est admise que si la riposte est concomitante et proportionnée à l’agression préalable. Les coups de fusils, tirés en réaction après une dispute, n’ont pas été considérés comme une réaction concomitante, ni proportionnée. Les conditions juridiques de la légitime défense, cause d’irresponsabilité pénale, n’étaient pas réunies. Jugée à deux reprises par des jurys populaires, Jacqueline Sauvage fut condamnée en première instance au tribunal d’Orléans, puis par la cour d’appel d’assises de Blois, à une peine de dix années de réclusion criminelle.

Dans les suites de la condamnation, des collectifs féministes se sont emparés de l’affaire. Une pétition pour sa libération, lancée sur les réseaux sociaux, recueillit plus de 435 000 signatures. Des manifestations furent organisées en décembre et janvier 2015. Elle obtint enfin la grâce présidentielle contestée de François Hollande en 2016. Le tapage médiatique de « l’affaire Sauvage » entraîna de très vifs débats sur la spécificité des « crimes » conjugaux.

Les partisans de la victimisation de Jacqueline Sauvage ont rappelé que le Canada a accepté le principe de « la légitime défense différée » si l’expertise psychiatrique reconnait que la meurtrière de son conjoint présente « le syndrome de la femme battue ». Une proposition de loi visant à instaurer une présomption de légitime défense pour violences conjugales a été déposée le 11 septembre 2019

La cause féminine les a réunies

Gisèle Halimi en femme engagée, active et battante fut toute sa vie une meneuse exemplaire contre l’ordre patriarcal et pour les droits des femmes. Jacqueline Sauvage, présentée comme une épouse passive, soumise et battue, eut un geste meurtrier condamnable qui illustre la violence intraconjugale. L’une a choisi le droit et la justice comme arme pour améliorer la condition féminine. L’autre s’est armée d’un fusil de chasse et a opté pour le règlement de compte ultime afin de s’affranchir du joug marital tortionnaire.

Dans les tribunaux, ces deux femmes, l’une en avocate et militante, l’autre en accusée et à son corps défendant, se trouvent ainsi associées pour la défense des femmes subissant l’injuste domination masculine. Dans les deux affaires judiciaires, celle de Bobigny et celle jugée en Région Centre-Val de Loire, le déchaînement médiatique a servi la lutte féministe. Pour ces deux destins éloignés, l’utilisation de l’émotion, voire la manipulation de l’opinion publique, furent similaires. L’éveil des consciences a été obtenu par la presse pour Gisèle Halimi et les réseaux sociaux pour Jacqueline Sauvage. Tout opposait ces deux femmes aux existences divergentes et hors normes. Le 28 juillet 2020, le hasard de leur mort et la cause féminine les a réunies à jamais…

Jean-Paul Briand

Commentaires

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  1. Dans l’arsenal répressif contre les avortements, il faut rappeler l’article 317 du Code pénal de 1810, la loi du 31 juillet 1920 mais aussi l’infâme loi du 15 février 1942 du gouvernement Pétain qui faisait de l’avortement un crime contre la sûreté de l’État, passible à ce titre de la peine de mort.
    Désiré PIOLLE, pour avoir pratiqué 3 avortements entre octobre et novembre 1942, fut exécuté le 22 octobre 1942. Il avait déjà été condamné pour des avortements en 1938 et 1939.
    Le 30 juillet 1943, c’est Marie-Louise GIRAUD qui est exécutée pour avoir pratiqué 27 avortements dans la région de Cherbourg.

  2. C’est un très bel article en hommage à ces deux personnes.
    La conclusion est absolument admirable

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