Maurice Genevoix, un immortel perpétuel au Panthéon #3

La mémoire et l’histoire contre l’oubli : la victoire mémorielle de la grand-mère « hussarde noire de la République »

Emmanuel Macron annonce, aux Éparges, l’entrée au Panthéon de l’écrivain Maurice Genevoix et de “ceux et celles de 14”, afin de rendre hommage à “l’armée victorieuse” de la Grande Guerre. L’EST REPUBLICAIN – Photo Alexandre MARCHI – 06 nov. 2018

Le petit-fils de Maurice Genevoix reprend sa plume pour saisir le nouveau Président de la République, qui, en plus de citer l’auteur de Raboliot dans un discours consacré à la chasse, emporte à Brégançon pour ses lectures estivales des livres de deux acteurs orléanais des journées tragiquement meurtrières de l’été 1914 : Charles Péguy et Maurice Genevoix. La lettre parvient à son but, elle reçoit une réponse rapide et débouche sur une rencontre aux Éparges le 6 novembre 2018, près du buste de l’écrivain inauguré en 2015, et l’annonce de l’entrée au Panthéon(1).

Emmanuel Macron a été sensibilisé aux questions mémorielles par son apprentissage intellectuel auprès de Paul Ricœur (2). Il souhaite, à l’instar de Jacques Chirac avec la reconnaissance de la responsabilité complice « irréparable » de la France de Vichy dans la déportation des Juifs, œuvrer pour permettre de surmonter oublis et conflits mémoriels, aussi bien sur la colonisation et la Guerre d’Algérie avec Benjamin Stora (3) que sur la Grande Guerre.

Or, cette préoccupation de politique mémorielle, point d’aboutissement de « l’itinérance mémorielle »», rejoint un attachement sentimental et une fidélité familiale. La grand-mère maternelle d’Emmanuel Macron, Germaine Arribet-Noguès, née à Tarbes en 1916, décédée en 2013, institutrice dans les Pyrénées, lui a fait lire et aimer l’auteur de Ceux de 14 et de Raboliot. L’idée de Nicolas Sarkozy est ainsi reprise par Emmanuel Macron qui envisage dans un premier temps, sur la suggestion de Bruno Roger-Petit, éphémère porte-parole de l’Elysée devenu conseiller mémoire, d’associer l’hommage à Maurice Genevoix, représentant de « Celles et Ceux de 14 », à l’entrée au Panthéon de l’auteur de Notre jeunesse et de La Tapisserie de Notre-Dame (4).

Mais alors que la famille Péguy a constamment manifesté son opposition au transfert de ses cendres au Panthéon, la famille Genevoix se laisse convaincre de la pertinence historique de célébrer à la fois le grand écrivain et le grand témoin, d’associer la redécouverte de l’œuvre de l’un au sacrifice des autres à travers la figure de leur « porte-étendard », y compris de « Celles de 14 », ces femmes « sur le pied de guerre » qui ont participé à la mobilisation totale et contribué à l’émancipation, certes éphémère mais annonciatrice des temps nouveaux, du « Deuxième sexe » (5).

Le report d’un an, du 11 novembre 2019 au 11 novembre 2020, une grande première dans la longue histoire des panthéonisations, est lié au délai nécessaire à la réalisation des œuvres d’art liées à la commémoration et justifié par l’objectif de « l’adosser au centenaire de l’inhumation du Soldat inconnu » sous l’Arc de Triomphe (6) ; l’essentiel est sauvegardé pour les acteurs locaux, l’ACAD Maurice-Genevoix à Saint-Denis-de-l’Hôtel, le musée de la Marine de Loire et les collégiens de Châteauneuf-sur-Loire, et la Société des Artistes Orléanais présidée par Benoît Gayet, déterminée à rendre hommage à son président-fondateur : la décision de transfert, plus importante que la date, et la volonté de faire de l’écrivain le porte-drapeau d’une génération sacrifiée (7).

L’association de la manifestation avec le centenaire du choix du Soldat inconnu offre une image forte, tout en marquant une date commémorative encore plus symbolique, avec les 40 ans de la disparition de l’écrivain, les 130 ans de sa naissance. Une opportunité de faire partager la richesse de ses écrits, leur portée humaniste, régionaliste et écologiste à de nouvelles générations, celles qui, si elles ont pu découvrir Ceux de 14 à travers la mini-série télévisée diffusée sur France 3 en 2014, n’ont pas connu les grandes heures cathodiques d’Apostrophe et du Grand Echiquier.

À la veille de l’événement de novembre prochain, si longtemps attendu, un demi-siècle après les cérémonies du cinquantenaire à Chalmont et à Verdun, les acteurs principaux de la décision politique s’éloignent (8). Mais l’entrée au Panthéon de l’ancien cacique de la rue d’Ulm, déjà Immortel et Perpétuel, prend tout son sens : si Verdun est le lieu de mémoire par excellence de la Grande Guerre, par la portée collective, anonyme du sacrifice, c’est bien l’écrivain Maurice Genevoix, en qualité de préfacier et postfacier engagé de Vie et mort des Français (9), qui a élargi l’appréhension de la Grande Guerre d’une histoire des batailles et des généraux aux souffrances quotidiennes des « gens ordinaires », femmes, soldats mutilés ou traumatisés, enfants, pour « être délibérément une histoire des hommes en guerre ».

Cent ans après que la grippe espagnole a détourné le jeune intellectuel Orléanais, passionné de peinture, de l’université au profit de la littérature, en un moment où terrorisme et montée des tensions font redécouvrir aux Européens que « l’histoire est tragique », le poète humaniste, amoureux de la vie, inquiet de la préservation des beautés naturelles et de la faune, ancré sur les berges du fleuve royal et de la forêt proche a beaucoup à nous dire.

Si « la place de Maurice Genevoix dans la littérature du XXe siècle est grande : elle n’est peut-être pas celle qu’il devrait occuper » (10). À l’instar de François Mauriac à Malagar, cible du mot perfide de Claudel, l’étiquette de « romancier régionaliste » ne saurait réduire le message universel de Maurice Genevoix, ancré aux Vernelles comme Proust à Illiers-Combray.

Lisez, relisez, redécouvrez Maurice Genevoix, l’écrivain fleuve du Val de Loire, de la Sologne et de la vie, qui brossait il y a près d’un demi-siècle cet autoportrait devant les jeunes de sa cité natale :

« Puisque la circonstance m’y invite, je vais essayer de vous dire, à peu près, qui était Maurice Genevoix. Un garçon qui, lorsqu’il a eu vingt-quatre ans, a été embarqué, avec des centaines et des centaines de milliers de jeunes gens de son âge, dans une aventure tragique, effroyable, dans un long tête à tête avec la mort, celle des hommes jeunes, celle des autres et la sienne propre ; et qui a eu la chance, après avoir saigné et souffert, d’être enfin rendu à la vie, de ressusciter réellement. Et depuis ce jour-là, il n’a cessé de porter en lui le sentiment pathétique de la vie, de la merveille qu’est la vie, de la richesse du monde, qui nous est quotidiennement donné » (11).

Et redécouvrons l’humour de l’auteur de Raboliot, au seuil de la gloire du prix Goncourt, tel qu’il l’exprime à propos des avatars de la renommée, à la Une du premier numéro de la revue littéraire avant-gardiste, Le Grenier, lancée par de jeunes Orléanais en mars 1925 :

« Quand on pense à ce qui provoque, bien souvent, autour d’un nom entre les noms, la rumeur brusque de la renommée ! Il y a tant de manières d’être célèbre : Landru, Pelletier de Doisy, Foch, Mistinguett, Pasteur, Carpentier, Sadoul, Anatole France, j’énumère sans contrôle, au hasard de la mémoire…Voilà bien des enseignes à choisir. Il en est d’autres, de celles qu’on pourrait dire « de rechange », ou « omnibus ». Exemple : « de l’Académie française ». Exemple encore : « ministre de… » Ça fait richement décoratif au frontispice d’une revue naissante, ou d’un conseil d’administration. […] Célèbres, sous tel titre en pancarte que la Société accroche au cou de ses élus, il en est peut-être, parmi vous, qui sont voués à le devenir : mais que ceux-là ne le sachent pas encore, c’est merveilleux, c’est émouvant. Il n’est pour vous que d’aller libres » (12).

 

(1) Laurent Theis, « Maurice Genevoix du cimetière de Passy jusqu’au Panthéon », Le Point, 6 novembre 2018.

(2) Paul Ricoeur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Points, Seuil, 2003. 

(3) « Emmanuel Macron confie à l’historien Benjamin Stora une mission sur « la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie », Le Monde du 24 juillet 2020.

(4) Laureline Dupont, « Quand Macron voulait faire entrer Péguy au Panthéon », L’Express du 15 janvier 2020. Guillaume Apollinaire et Maurice Ravel ont également été envisagés.

(5) Pierre Allorant, « Femmes savantes, femmes du peuple et marraines de guerre », in La Grande Guerre des Gens « ordinaires ». Correspondances, récits, témoignages, actes du colloque de l’université Montpellier Paul Valéry, 15-16 juin 2018, à paraître. 

(6) François-Guillaume Lorrain, «  Panthéonisation : Maurice Genevoix devra attendre », Le Point, 2 octobre 2019. 

(7) « Devoir de mémoire. Trois réactions au report de l’entrée au Panthéon de Maurice Genevoix », La République du Centre, 2 octobre 2019. 

(8) Le conseiller en communication Joseph Zimet quitte l’Élysée pour la préfectorale, le chef de cabinet d’Emmanuel Macron, François-Xavier Lauch rejoint la place Beauvau comme directeur de cabinet adjoint du ministre de l’Intérieur, et le préfet de la Meuse, le saint-cyrien déterminé Alexandre Rochatte, est muté en Guadeloupe dix-huit mois seulement après son installation.

(9) André Ducasse, Jacques Meyer, Gabriel Perreux, Vie et mort des Français, 1914-1918, simple histoire de la Grande Guerre, 1959. Pierre Nora, « 1914 : La marque et la trace », conférence du mardi 28 octobre 2014.

(10) Danièle Sallenave, « Genevoix (Maurice) », Dictionnaire amoureux de la Loire, Plon, 2014, p. 355-359.

(11) Discours de Maurice Genevoix le 23 juin 1974 lors de l’inauguration de la Cité scolaire de Decize, in Val de Loire, terre des hommes, éditions Christian Pirot, 1974.

(12) « Monsieur et Cher Ami, Quelques jeunes et moi – aidés par plusieurs membres de « l’École de la Loire » – avons conçu le projet, insensé peut-être, de faire paraître d’ici quelques semaines à Orléans une revue mensuelle exclusivement littéraire « Le Grenier ». Refuseriez-vous de nous faire l’honneur et le plaisir d’un papier quelconque – une lettre par exemple – pour le premier numéro ? Vous savez combien votre témoignage peut être précieux à notre entreprise ».  Lettre de Jean Zay à Maurice Genevoix le 9 janvier 1924.

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