« Avec Joe Biden, les relations internationales vont retrouver le sens de la mesure »

Jean-Luc Hees, ex-président de Radio-France et de France-Inter est un fin connaisseur des Etats-Unis où il se rend fréquemment. À la suite de la publication, le 13 octobre dernier, de son livre L’Amérique : la facture, percutante critique de la politique de Donald Trump, il revient sur la dernière élection présidentielle américaine.

Jean-Luc Hees est un journaliste expert en politique américaine et internationale. DR

Comment analysez-vous l’élection de Joe Biden comme 46président des États- Unis ?

Jean-Luc Hees : C’est une bonne nouvelle. Je dois dire que je suis rassuré que le candidat démocrate soit élu, ce que personne ne conteste, sauf Trump et sa mafia. Contrairement à un ancien ministre des Affaires étrangères de gauche (Hubert Védrine, NDLR), Biden et Trump, ce n’est pas la même chose sur le plan de la morale ou de la démocratie. Mais comme l’écrit Barack Obama dans son dernier livre Une terre promise, l’élection de Trump n’est pas juste un interlude ou un accident de l’histoire. Elle a révélé un pays gravement en crise. Durant quatre ans, les États-Unis n’ont pas eu de ligne politique et idéologique. Trump et sa secte bizarre et dangereuse ont déconstruit le débat. Sur le fond, cet homme est un psychopathe, il est « hors de contrôle » comme le disent les psychiatres. Pensez qu’il jouait au golf le lendemain de l’élection. 73 millions d’Américains ont voté pour ce dépravé dangereux (sic). Ça ne sera pas simple pour Biden.      

 Donald Trump n’a pas reconnu sa défaite. Comment voyez-vous la suite ?

J-L.H. : Il va continuer à gigoter dans un pays en proie au racisme et à la frustration « des petits blancs ». L’homme nous a habitué aux mensonges qui ne choquent plus personne (1) dans un pays où la presse est pourtant hyper-professionnelle. Ce populisme est contagieux, il est au pouvoir au Brésil, en Pologne… Le Rassemblement National, qui n’a pas reconnu la victoire de Joe Biden, a envoyé une délégation. Le risque de propagation est réel.    

Dans ce livre, J Hees interroge notamment sur les conséquences de l’incohérence de la politique étrangère de D. Trump

Comment Joe Biden va-t-il gouverner avec en face de lui un Sénat républicain ?

J-L.H. : C’est toute la difficulté. L’élection de deux sénateurs de Virginie en janvier sera, à ce titre, très importante car en cas de victoire les Démocrates reviendraient à égalité avec les Républicains. Selon la constitution, ce serait alors la vice-présidente Kamala Harris qui trancherait en cas d’égalité. Dans le cas contraire, Joe Biden aura du mal à faire passer des lois importantes même s’il est le roi du consensus. Il devra alors gouverner par décrets présidentiels (executive orders). Ce sera aussi le cas pour la nomination de ses ministres. Cette situation était celle qui prévalait sous l’administration Obama à l’exemple de l’Obama care, la loi sur la Protection des Patients et les Soins Abordables que l’ancien président a eu toutes les peines du monde à faire passer. Au-delà, Joe Biden devra enclencher un processus de réconciliation nationale. Ce sera long et compliqué mais l’opinion va reprendre goût à la normalité.

 

 

Qui est Joe Biden ?

J-L.H. : Âgé de 78 ans, c’est un homme d’expérience, de consensus et de talent. Personne ne le déteste. Il est convenable, on parle de lui d’ailleurs en disant a good American guy. Ces qualités lui seront très utiles dans son propre parti pour contrer une gauche radicale qui réclame des réformes qu’il ne pourra pas faire.  

Quelles conséquences sur le plan international ?

J-L.H. : Isolationniste, Trump n’a jamais assimilé ni le leadership américain ni le multilatéralisme pour gouverner la planète. Avec Joe Biden qui a été huit ans vice-président et président de la commission des Affaires étrangères du sénat, les relations internationales vont retrouver le sens de la mesure. Ça va détendre l’atmosphère. Le retour des USA dans l’accord de Paris sur le climat et le réchauffement climatique est par exemple une excellente nouvelle.   

Un dernier mot sur la question raciale qui était au cœur de la campagne dans le prolongement du mouvement « les vies noires comptent » (Black Lives Matter)…

J-L.H. : Comme le dit Barack Obama, 1er président noir des États-Unis, il faudra du temps pour régler le problème du racisme. Pour cela, il faut que les communautés s’entendent et se comprennent. Un blanc vivant dans le Dakota du nord peut, du fait de son histoire familiale, avoir des préjugés raciaux ce qui ne sera pas le cas d’un citadin de la Côte-est. Vous savez, la Guerre de sécession (600 000 morts sur 33 millions d’Américains) est encore dans beaucoup de mémoires dans un pays fédéral qui compte 50 États. Nous les Européens devons accepter cette complexité psychologique et intégrer le goût pour la violence des Américains.

Propos recueillis par Jean-Luc Vezon

(1) 60 000 tweets durant le mandat dont une grande partie de fake news

 

L’Amérique : la facture

Le monde peut-il encore faire confiance à l’Amérique ?, Jean-Luc Hees

Ed BakerStreet Paris – 320 pages – 21 euros

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