Illettrisme : le Centre-Val de Loire, 2e territoire français le plus touché 

Impossible pour elles d’utiliser un ordinateur, passer leur permis de conduire, retirer de l’argent à un distributeur, ou renseigner un simple document… Les personnes en situation d’illettrisme en France sont 2,5 millions. Le Centre-Val de Loire est la deuxième région la plus impactée si l’on considère les 17-18 ans en difficultés de lecture.

Avec 12,3% d’illettrisme (contre 10,5% de moyenne nationale), la région Centre-Val de Loire est le deuxième territoire français le plus touché. ©Anlci

Remplir une fiche de renseignements, une demande de congés, prendre une boisson au distributeur, lire un panneau dans une ville… Si ces démarches du quotidien sont évidentes pour la plupart d’entre nous, elles sont en revanche un mur infranchissable pour d’autres… En cause ? L’illettrisme, fléau qui touche aujourd’hui 2,5 millions de personnes de 18 à 65 ans (7% de la population adulte) en France métropolitaine, dont 1,2 million de salariés. Si l’on considère les 17-18 ans en difficultés de lecture, le Centre-Val de Loire est la deuxième région la plus impactée par l’illettrisme (12,3 % pour une moyenne de 10,5 % en France métropole). Les zones les plus atteintes étant le Cher, l’Indre et le Loiret avec entre 13 et 14,5 %. Un niveau régulier depuis plusieurs années.

Ils ont appris mais n’ont pas consolidé

« Des personnes qui ont été scolarisées en France et en langue française mais qui sont sorties du système, explique Jean-Christophe Ralema, responsable du Lieu Ressources Illettrisme à Orléans et chargé de mission régional ANLCI (Agence nationale de lutte contre l’illettrisme). Elles ont des compétences de base – français écrit et oral, maths, repères spatiaux et temporels, raisonnement logique –  mais ne parviennent pas à lire ni à comprendre un texte et/ou ne parviennent pas à écrire pour transmettre des informations simples. Leurs compétences sont mal acquises, pas assez stabilisées ou insuffisamment utilisées dans le métier. Et attention aux idées reçues qui ont tendance à assimiler illettrisme et immigration : à 5 ans, 71 % des personnes en situation d’illettrisme parlaient uniquement le français à la maison. » Résultat : une vie quotidienne compliquée et gâchée avec, par exemple, l’impossibilité de passer son permis de conduire, d’utiliser l’informatique (illectronisme) ou encore les DAB, billetteries, parcmètres qui font appel à un code alpha numérique. 

J-C Ralema, responsable du lieu de ressources Illettrisme à Orléans. ©ANLCI

C’est le cas de Pierre (c’est ainsi que nous l’appellerons), ouvrier d’une quarantaine d’années d’une entreprise de Ferrières-en-Gâtinais, dont s’est occupée Bernadette, retraitée des Ressources Humaines et bénévole auprès du CRIA45 (Centre de ressources illettrisme analphabétisme du Loiret) de janvier 2019 à mars 2020. « Il s’est trouvé bloqué dans son évolution professionnelle parce qu’il n’était pas autonome dans son travail et se cantonnait donc à des taches répétitives : il était obligé, par exemple, de se référer à un tiers pour lire et écrire, et de travailler sur une mémoire visuelle extraordinaire. Son employeur l’a donc adressé au CRIA ». Ainsi, Bernadette a repris sons et syllabes avec Pierre pour l’aider à trouver les mots en associant lecture et écriture, et à retranscrire par écrit des phrases de la vie de tous les jours. « C’est un travail de patience et de répétition. Un travail de mise en confiance, qui ne doit pas décourager les personnes qui sont déjà mal à l’aise face à un tiers. Lui, ne voulait pas intégrer un groupe, il ne voulait pas que ça se sache… »

L’absence de transmission culturelle

Maladie, divorce, décrochage scolaire… Autant d’accidents de la vie qui peuvent mener à une situation d’illettrisme. Plus de la moitié des personnes atteintes sont des hommes de plus de 45 ans, peu qualifiés, 10% sont demandeurs d’emploi et 20 % allocataires du RSA (Revenu de Solidarité Active). « Ils sont détectés au moment d’un licenciement par exemple, d’une inscription à Pôle Emploi ou d’une formation », poursuit Jean-Christophe Ralema. Quant aux causes, elle sont multifonctionnelles. « Le milieu social peut avoir un impact. Chez les gens du voyages par exemple, le livre n’est pas courant. Dans les milieux défavorisés, il n’y a pas de transmission culturelle qui permet un apprentissage, d’où les importantes difficultés de lecture chez les jeunes générations. »

Prévention, accompagnement et bénévolat

Réparti à 50/50 ville-campagne, l’illettrisme s’avère plus difficilement détectable en zone rurale : par honte, les personnes atteintes se mettent en retrait et ne vont pas vers les structures existantes. « Territoire délaissé par les pouvoirs publics, ce sont donc des médiateurs qui font le premier pas en tissant une relation de confiance engagée sur du long terme et en proposant les solutions existantes. » Comme de la prévention aux familles (aider au suivi de la scolarité des enfants, acculturer à l’écrit, inciter à l’achat de livres, orienter vers les médiathèques, ateliers dans les écoles ou centres sociaux via les Actions éducatives familiales) et de la remédiation (en formation continue professionnelle, en insertion professionnelle pour ceux qui sont au RSA ou demandeurs d’emploi, dispositif Visa…).

Une situation d’illettrisme n’est pas irréversible. De nombreuses actions sont déployées sur le territoire. ©ANLCI

« En milieu rural, il y a peu de formations. Les effectifs sont dispersés, les personnes souvent sans permis de conduire, pas de transports en commun développés ou pratiques », explique Jean-Christophe Ralema. Mais des actions devraient être mises en place en 2021, comme des tentatives de formation à distance pour apprendre à utiliser un ordinateur et les réseaux. « Mais dans un premier temps il faut faire de l’assistance téléphonique, le présentiel c’est plus en zone urbaine. » En attendant, sur le terrain, l’illettrisme est l’affaire de quelque 800 bénévoles qui œuvrent auprès de l’union régionale CRIA et des Centres Ressources Illettrisme. Un réseau qui agit dans des communes pour venir en aide individuellement aux personnes en très grande difficulté avant de pouvoir intégrer un dispositif groupe, ou encore La Chaîne des Savoirs, fondée par des personnes qui étaient en situation d’illettrisme et qui aujourd’hui vont à leur tour rencontrer ceux qui sont en difficulté pour montrer que ce n’est pas irréversible. « Le problème, c’est le financement, souligne pour conclure Jean-Christophe Ralema. Il n’y a pas de budgets spécifiques alloués. Pourtant l’illettrisme c’est consensuel. Nous orientons nos demandes de financement vers des associations, comme le Lions Clubs International, pour équiper des associations de lutte contre l’illettrisme ou trouver des bénévoles. »

« Fin 2019, j’avais l’impression qu’avec Pierre, on n’évoluait pas, se souvient Bernadette. Mais en fait si, on avait progressé : son employeur le sentait plus à l’aise. » Un grand pas qui devrait propulser Pierre vers un nouvel horizon…

Estelle Boutheloup

Photo de Une ©ANLCI (Campagne 2016).

Commentaires

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  1. Si on a des problèmes inextricables avec la sécu, améli, la sncf, paul emploi, les impôts, avec…etc, c’est que la dématérialisation de notre vie (je n’ose plus dire “notre vie sociale”, est trop lente, il faut la parachever au plus tôt. Les lettrés sont aussi piègés dans des labyrinthes kafkaïens. A quoi leur sert donc de savoir lire ? 2,5 millions en situation d’illettrisme: visons 5 millions dans 5 ans et ainsi de suite. Tous attachés au smartphone !

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