Quel accès à l’IVG aujourd’hui en région Centre-Val de Loire ?

Alors qu’en janvier 2021 le Sénat a rejeté la proposition de loi sur l’allongement légal du délai d’avortement, Magcentre s’est penché sur l’accès à l’IVG dans la région, désert médical. Un état des lieux qui révèle des disparités notables d’un département à l’autre.

Quelques notions pour mieux comprendre l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG)

IVG instrumentale : également appelée IVG chirurgicale ou IVG par aspiration, elle est obligatoirement pratiquée par un médecin en établissement de santé ou un centre de santé, public ou privé. Elle se déroule sous anesthésie locale ou générale. En France, elle est autorisée jusqu’à 14 semaines d’aménorrhée, c’est-à-dire 14 semaines après le premier jour des dernières règles, soit 12 semaines de grossesse.

IVG médicamenteuse : elle peut être pratiquée par un médecin ou une sage-femme et consiste en la prise de deux médicaments. Elle peut être pratiquée jusqu’à sept semaines à domicile, neuf à l’hôpital.

IMG : L’interruption médicalisée de grossesse est une interruption de grossesse pratiquée pour des raisons médicales concernant le fœtus ou la mère, sans restriction de délai. Décidée par les parents ou par la femme enceinte seule, sa réalisation nécessite une attestation médicale.

Aménorrhée : absence de règles.

Orthogénie : si orthogénie signifie planification et contrôle des naissances, un service d’orthogénie dans un hôpital va s’occuper des IVG, de la contraception, du dépistage des IST (infections sexuellement transmissibles) ainsi que, parfois, du suivi des grossesses.

 

7128* avortements en 2019, en Centre-Val de Loire : chiffre régional le plus bas de France. Et derrière, autant d’histoires et de parcours différents, notamment en fonction du département.

« Il me semble que dans la Métropole Orléanaise, il y a un bon accompagnement sur la question de l’avortement, constate le Dr Laurence Wittke, du Planning Familial d’Orléans. Pour le reste du département, c’est plus mitigé ». Depuis maintenant deux ans, le centre du Planning familial d’Orléans pratique l’IVG instrumentale avec anesthésie locale. Soutenu par l’ARS (Agence Régionale de Santé), il est encore aujourd’hui le seul en France à le faire. « Il y a plusieurs années, l’offre IVG sur Orléans était compliquée, pointe le Dr Wittke. Un gros manque de places sur l’hôpital et pas de proposition d’anesthésie locale. » C’est depuis la loi de 2016, qui autorise les IVG par aspiration sous anesthésie locale dans les centres de santé, que le Planning familial d’Orléans s’est lancé. Ainsi, 172 femmes ont pu bénéficier de cette nouvelle offre. Les IVG médicamenteuses sont, elles, restées plutôt stables, environ 130 chaque année. Si la plupart des patientes sont orléanaises, le Dr Laurence Wittke note que certaines sont bien plus éloignées, dans le département. Aujourd’hui, le Centre d’orthogénie d’Orléans propose aussi cette technique et les deux structures communiquent.

Inégalité flagrante dans les départements

Dans l’Indre, la situation est préoccupante. Sur les trois établissements pratiquant les avortements, Châteauroux et Le Blanc refusent de communiquer la moindre information. Le troisième, à Issoudun, faute de bloc opératoire, pratique seulement la méthode médicamenteuse. « Dans le département, les femmes rencontrent des difficultés à choisir la méthode d’avortement », c‘est sous couvert d’anonymat que notre interlocuteur, qui connaît le fonctionnement de ces structures, préfère nous répondre. « Ici, le médicament est devenu une obligation pour les femmes qui souhaitent avoir une IVG. Elles n’ont pas vraiment le choix. À Châteauroux, le gros centre du département, les médecins ne sont pas vraiment impliqués, ils n’ont pas envie de le faire. Donc réserver un bloc pour une IVG instrumentale n’est pas une priorité. On donne parfois aux femmes des délais d’un mois ! C’est décourageant… » Pour les patientes qui ont dépassé les neuf semaines, des arrangements existent avec quelques structures d’autres départements. « À Issoudun, les patientes sont envoyées à Tours ou à Vierzon. Les médecins sont conciliants et acceptent de les recevoir, même si parfois, toute la procédure est à refaire. Cela peut être éprouvant pour les femmes qui doivent encore revivre les démarches administratives et médicales. »

Manque de médecins, de volonté de la part des médecins présents, manque de blocs : des raisons qui expliquent le recours désormais quasi obligatoire à l’IVG médicamenteuse, dans plusieurs départements. Cette méthode est désormais la plus utilisée en France, 70 % des IVG totales en 2019, contre 30 % en 2001*.

Améliorer la communication au niveau régional

Un des premiers leviers pour améliorer la prise en charge des IVG est la communication entre les centres et hôpitaux. Depuis 2015, le réseau de périnatalité du Centre-Val de Loire a ainsi intégré la question de l’avortement et ouvert une commission spéciale orthogénie. Sa présidente, le Dr Nathalie Trignol-Viguier, est médecin référente du Centre d’Orthogénie du CHU Bretonneau à Tours, où elle travaille depuis 20 ans. Militante, elle est également co-présidente de l’ANCIC (Association Nationales des Centres d’avortement et de Contraception). « Le but de cette commission est l’organisation de l’IVG dans la région et l’amélioration de la communication entre les différentes structures, explique-t-elle. Nous organisons généralement trois réunions annuelles où nous invitons tous les référents et les professionnels de la région. » Viennent-ils tous ? La présidente soupire : « Ce n’est pas parfait, ce sont les mêmes personnes qui viennent et qui communiquent entre elles. Nous ne sommes pas de la police, nous ne pouvons pas forcer les gens à venir. »

CHRU de Tours, en Indre-et-Loire. Photo Wikimedia commons, par Guillaume70

La commission développe également des projets. L’an dernier, c’était la mise en place de formations IVG médicamenteuse en dehors des structures. Pour 2021, ce sera une nouvelle cartographie des établissements de la région (la dernière date de 2017). Concernant l’accès à l’IVG dans la région, Nathalie Trignol-Viguier est lucide : « C’est une question très géographique. Selon son lieu de résidence, une femme peut être confrontée au manque de professionnels ou au manque de temps médicaux consacrés à l’IVG. ».

Dans son service d’orthogénie de l’hôpital de Tours, leader de la région Centre-Val de Loire, elle rencontre d’autres difficultés. Avec chaque année entre 1 000 et 1 100 IVG réalisées, c’est le seul centre à effectuer des IMG (interruption médicale de grossesse) pour des risques psycho-sociaux. « Nous acceptons toutes les patientes, peu importe leur département. C’est pour cela que certains centres de la région, n’aimant pas pratiquer des avortements dits tardifs [entre 12 et 14 semaines], s’arrangent pour nous envoyer leurs patientes. Ces dernières viennent donc parfois de loin ». Pour elles, un autre problème apparaît également : « Certains hôpitaux n’ont pas la même application de la date de conception, ils intervertissent le nombre de semaines de grossesse et celui d’aménorrhée. Ils refusent de pratiquer des IVG alors que la patiente y a encore droit. C’est un non-respect de la loi. » Lorsqu’on lui demande de quels hôpitaux elle parle, la docteure reste silencieuse. Il n’est jamais bon de « dénoncer » certaines structures ou collègues. « Forcer des praticiens à faire des avortements qu’ils refusent ne serait pas bon pour les femmes, reprend Nathalie Trignol-Viguier, ils risqueraient de le faire mal et cela se retournerait contre elles. »

La relève des sages-femmes

Dans la région Centre-Val de Loire, beaucoup de moyennes et petites structures pratiquants l’avortement continuent d’exister grâce à la volonté et au militantisme des sages-femmes. Christelle Leconte, qui exerce à Vierzon, est l’une d’entre-elles : « Depuis 2016, la loi autorise les sages-femmes à faire des IVG médicamenteuse. C’est un grand progrès ! Je suis à Vierzon depuis deux ans et grâce à cette avancée nous avons pu améliorer le suivi des patientes et faire bouger les choses. » Elles sont deux sages-femmes formées à l’orthogénie. « J’ai également suivi une formation pour les échographies, ajoute-t-elle. Avant, je travaillais sur Bourges mais les sages-femmes ne pouvaient rien faire. Là-bas, ce sont les médecins qui se chargent de toutes les méthodes d’avortement. Pas forcément par militantisme, ils le font parce qu’il faut le faire. » C’est un constat partagé par beaucoup, la génération des médecins militants est partie à la retraite. Les sages-femmes se battent pour combler ce vide : « Nous avons les compétences. D’abord en ayant étudié la gynécologie dans notre cursus puis en suivant une formation spécialisée. » À Vierzon, seuls deux médecins acceptent de faire les IVG par aspiration. Christelle Leconte et sa collègue se chargent du reste.

Avortement en CVL

Même son de cloche à l’hôpital de Chartres, avec Anne Dagonneau, sage-femme : « J’ai toujours eu à cœur de m’engager pour le droit des femmes à disposer de leur corps. Ici, nous sommes une équipe de sages-femmes motivées et engagées. » Un engagement nécessaire, avec un médecin venant seulement une demi-journée par semaine. Grâce à elles, 404 avortements ont été pratiqués à Chartres en 2019. Là encore, le service met un point d’honneur à accueillir toutes les patientes, même celles qui ne sont pas du département. « Il y a souvent des femmes de la région parisienne qui viennent, surtout pendant les périodes de tensions, en été et en fin d’année. Les médecins sont en vacances, les délais sont donc allongés. Dans ces moments-là, nous choisissons d’augmenter le nombre de consultations. »

La question de l’avortement est un enjeu de pouvoir pour certains médecins. Et le partager avec les sages-femmes n’est pas du goût de tous. Pourtant, la loi évolue. Le 14 décembre 2020, l’Assemblée nationale a voté la mise en place, à titre expérimental et pendant trois ans, de la pratique de l’IVG instrumentale par les sages-femmes. Une avancée pour mieux coller à la réalité du terrain.

S’adapter face au coronavirus

La réalité du terrain justement. Depuis mars dernier, le monde de la santé est ébranlé par la Covid-19 et les services d’orthogénie ne font pas exception. Durant les confinements, le gouvernement a autorisé les IVG médicamenteuses chez soi jusqu’à neuf semaines, au lieu des sept habituelles. Les établissements ont eux aussi trouvé de nouvelles façons de suivre les patientes. À l’hôpital de Blois, c’est le Dr Laëtitia Canazzi, nouvelle responsable du service d’orthogénie, qui nous répond : « Blois est le centre référant du Loir-et-Cher. Toutes les IVG instrumentales du département se font ici. Avec l’épidémie de Coronavirus, il fallait donc faire en sorte de ne perdre aucune patiente et de leur proposer la même qualité de suivi. » La petite révolution a eu lieu avec les RDV téléphoniques. « Nous leur proposons le premier RDV par téléphone, si c’est possible pour elles bien sûr. Elles ont alors un entretien de 30/45 minutes pour discuter, s’informer et choisir la méthode pour l’avortement ». Les autres RDV se déroulent ensuite à l’hôpital.

Depuis le premier confinement, le service a eu beaucoup de retours positifs sur ce nouveau procédé. « Le confinement nous a poussés à réfléchir à nos pratiques, résume Laëtitia Canazzi. En ce moment, nous travaillons sur une restructuration du service orthogénie et nous attendons beaucoup des retours. Les entretiens téléphoniques ont vraiment été appréciés, c’est donc quelque chose que nous pensons garder. ». Blois, avec 618 avortements réalisés en 2019, est un centre militant important, qui communique beaucoup avec les hôpitaux de Tours et d’Orléans. Trois grands hôpitaux qui aimeraient ensemble impulser une nouvelle dynamique dans une région de désert médical.

*Etude menée par la Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques (DREES), basée sur les données de 2019.

Quel parcours lorsqu’on souhaite avorter ?

 Sage-femme à l’hôpital de Chartres, Anne Dagonneau détaille les différentes étapes lors d’une IVG. Cela commence avec l’appel de la patiente à un service d’orthogénie (centre de santé, hôpital). « Le délai de prise en charge entre l’appel et le premier rendez-vous doit avoir lieu dans les cinq jours. »

Le premier RDV se fait avec une sage-femme ou un médecin et apporte toutes les informations indispensables sur l’IVG. C’est aussi le moment où la patiente décide d’une IVG instrumentale ou médicamenteuse. « Les patientes mineures ont obligatoirement un entretien psychosocial avec une psychologue ou une assistante sociale. Les femmes majeures peuvent également en bénéficier si elles le souhaitent. »

Le deuxième rendez-vous doit lui aussi se tenir dans les cinq jours suivant le premier. C’est dans ce second temps qu’à lieu l’IVG.

– La patiente choisit la méthode instrumentale, donc l’aspiration, effectuée par un médecin, au bloc, en ambulatoire. L’intervention dure une dizaine de minutes. Ce sont ensuite les sages-femmes qui gèrent l’après-anesthésie et veillent à ce que la patiente récupère.

– La patiente choisit l’IVG médicamenteuse. La plupart du temps, ce sont les sages-femmes qui s’en chargent. La patiente a le choix de la faire à la maison (jusqu’à sept semaines) ou à l’hôpital (jusqu’à neuf semaines), là aussi en ambulatoire. La méthode consiste en la prise de deux comprimés, un antiprogestérone et une prostaglandine.

Enfin, a lieu un troisième rendez-vous, dit « de contrôle », environ deux semaines après l’IVG. « Indispensable, il permet au médecin ou à la sage-femme de s’assurer de l’efficacité de l’IVG et de vérifier que la patiente va bien ».

Valentine Martin

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