221 ans de solitude : enfin une femme préfète dans le Loiret !

À l’heure où la parité s’impose partout, de la gouvernance du CESER Centre-Val de Loire aux lois électorales, le Loiret depuis 1800 et la région Centre-Val de Loire depuis 1941 demeuraient des bastions rétifs à toute féminisation préfectorale.

Régine Engström, 56 ans, est ingénieure des ponts, des eaux et des forêts, sa carrière de haut fonctionnaire passe par la ville de Paris où elle s’occupe d’environnement et d’espaces verts avant de devenir directrice générale de l’opérateur Eau de Paris. En 2016, elle est nommée secrétaire générale au sein du ministère de la Transition écologique et solidaire, avant d’effectuer un passage éclair chez le leader de l’immobilier Nexity qu’elle intègre en 2019 comme responsable des partenariats stratégiques.

Alors que les femmes n’étaient que 24 préfètes en territoriale sur 101 préfectures en 2007, elles sont désormais une quarantaine, mais que cette marche a été longue et difficile, singulièrement dans une fonction incarnant autorité et sécurité…

1800, année zéro, la femme du préfet

Lors de la création de l’administration préfectorale par le Premier Consul, la réduction de la femme au statut d’éternelle mineure, loin des avancées révolutionnaires et de la Déclaration d’Olympes de Gouges, est en marche, avant même d’être gravée dans le marbre du Code civil. De ce fait, si les dossiers des titulaires évoquent bien souvent les femmes, c’est sous l’angle de l’approche privée et familiale de la personnalité du préfet et de sa manière de servir l’Etat. L’épouse du préfet tient un rôle clé à l’hôtel de préfecture, tant la conception initiale de la mission du représentant de l’Etat dans le département est mondaine, proche de celle d’un diplomate de l’intérieur.

Les dossiers types établis jusqu’à la fin de la Troisième République évaluent les capacités de la préfète à recevoir avec goût et tact les notables locaux, conseillers généraux et conseillers de préfecture, maires et parlementaires, magistrats et officiers supérieurs de l’armée, évêques, recteurs et ingénieurs des Ponts-et-Chaussées. La professionnalisation du corps préfectoral ne réduit pas cet intérêt du ministère de l’Intérieur envers les origines sociales et politiques et les qualités de l’épouse. Ainsi, un faux-pas privé peut coûter sa place à un préfet, comme en témoigne le remplacement sine die du préfet du Cher sous l’Empire suite à un courrier imprudent de la préfète à son père, intercepté par la police de Fouché aux lendemains de l’assassinat du duc d’Enghien. Sous les monarchies censitaires, le ministère est attentif aux réseaux matrimoniaux qui renforcent ou affaiblissent les chances de promotion du titulaire.

Plus surprenant, la Troisième République ne rompt pas avec cette pratique, elle en adapte uniquement les codes aux valeurs de la République. Ainsi le préfet du Loiret André Jozon voit-il sa carrière confortée par son mariage avec Paulette Vuillot, fille du maire radical de Malesherbes, petite-fille du préfet du Cantal Alexandre Bluzet, nièce d’un proche collaborateur du « Premier flic de France », le « tigre » Clemenceau.

La longue marche des femmes au sein du corps préfectoral (1981-2021)

La création des préfets régionaux en 1941 par le régime de Vichy ne met pas fin à l’ostracisme des femmes dans la haute fonction publique territoriale, le maréchal Pétain étant très loin de partager les convictions de Léon Blum dans la détermination à promouvoir des femmes jusqu’au gouvernement, avant même leur accession au droit de vote et à l’éligibilité. C’est leur participation à la Résistance qui fait enfin sauter le plafond de verre qui avait, en France, résisté à la mutation de leur rôle durant la Grande Guerre.

Si des femmes deviennent députées ou conseillères municipales, la création de l’ENA par Michel Debré ne s’attaque que peu au monopole masculin des fonctions administratives de direction par les hommes, se concentrant davantage initialement sur l’ambition et la diversification sociale.

1981, avec l’alternance, marque à la fois la première nomination d’une énarque au gouvernement, Nicole Questiaux, et la première nomination d’une femme préfète par Gaston Defferre, Yvette Chassagne à Blois. Elle avait déjà tracé la voie en étant l’une des trois premières diplômées de l’ENA en 1949, la première « sous-directeur » (sic) au ministère des Finances dès 1967 et la première « conseiller maître » (re-sic) à la Cour des Comptes en 1979. 1981 est aussi le moment où la part des diplômées à l’ENA atteint le quart du total des énarques.

Une féminisation très inégale des préfectures en Berry, Orléanais et Touraine

Les départements du Centre-Val de Loire ont bénéficié, chacun à leur tour, de cette féminisation progressive des fonctions préfectorales, à l’exception notable du Loiret : Catherine Delmas-Comolli, toujours en Loir-et-Cher, de 1993 à 1996 ; Anne Boquet a occupé les fonctions de préfète de l’Indre pour le bicentenaire du corps en l’an 2000 ; en Eure-et-Loir, trois femmes se succèdent depuis 2017 dans l’hôtel de préfecture de Jean Moulin : Sophie Brocas, Fadela Benrabia et Françoise Souliman ; parallèlement à Tours, Marie Lajus a récemment succédé à Corinne Orzechowski, nommée en 2017 ; c’est le Cher, « poste de début », qui a accueilli le plus massivement des préfètes depuis deux décennies avec six titulaires : Marie-Françoise Haye-Guillaud en 1998, Anne Merloz en 2006, Catherine Delmas-Comolli en 2008, Marie-Christine Dokhélar en 2016, Nathalie Colin en 2017 et Catherine Ferrier en 2020. Mais précisément, l’accession à une préfecture de région, le graal convoité de la carrière, est restée trop rare, d’où le bénéfice si tardif de cette féminisation pour Orléans, capitale de région et chef-lieu de département. 

Le Génie des villes-ponts de la Loire

Autre spécificité de la nouvelle préfète de région : sa formation d’ingénieure des Ponts, corps technique prestigieux longtemps parallèle et incompatible avec le corps par essence politique des préfets, avec pour seule exception l’État français de Vichy et la présence à Orléans de l’ingénieur Jacques Morane, maître d’œuvre des premiers plans de reconstruction des « villes-ponts » de Loire dès 1940, modèle étendu à la Libération au sein du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme de Raul Dautry puis Eugène Claudius-Petit. Morane promu premier préfet régional d’Orléans en 1941.

Lire aussi : Régine Engström nommée préfète de la région Centre-Vla de Loire

 

Enfin, outre son parcours atypique, avec passage dans le privé, relevons positivement la relative jeunesse de la préfète de région Centre-Val de Loire au regard de ses prédécesseurs, ce qui laisse augurer une durée de résidence dans le poste moins brève, stabilité indispensable à la connaissance des acteurs et au lancement d’actions de long terme.

En revanche, si les fonctions de recteur ont été à plusieurs reprises exercées par des femmes, force est de constater que les principaux exécutifs élus restent peu accessibles aux femmes en Centre-Val de Loire : aucune femme présidente de la région, une seule, éphémère, présidente d’un conseil général (en Indre-et-Loire, Claude Roiron de 2008 à 2011), aucune maire de ville chef-lieu, seul le nombre de parlementaires femmes a récemment progressé, en plus, bien entendu, des conseils consultatifs dans lesquels la loi impose la parité.

Bienvenue en Centre-Val de Loire, Madame la Préfète : long et fructueux séjour rue de Bourgogne, tant de chantiers urgents vous attendent !

Pierre Allorant

Pour aller plus loin :

  • Catherine Achin, Sandrine Lévêque, « Femmes, énarques et professionnelles de la politique. Des carrières exceptionnelles sous contraintes », Genèses, 2007/2 (n° 67), p. 24-44.
  • Pierre Allorant, Le corps préfectoral et les municipalités dans les départements de la Loire moyenne au XIXe (1800-1914), PUO, 2007.
  • Pierre Allorant, « Reconstruction nationale et urbanisme technocratique : l’action pionnière du préfet Morane », in Pierre Allorant, Noëlline Castagnez et Antoine Prost (dir.), Le Moment 1940, L’Harmattan, 2012.

Commentaires

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  1. Au contraire vous pouvez vous réjouir qu’une femme devienne notre Préfète. Comme d’habitude, elle est déjà stigmatisée par son passage dans une entreprise privée. Cela n’a rien d’exceptionnel pour les hommes mais devient une tare pour une femme. J’espère que notre Préfète saura montrer toute son humanité à ce poste toujours si masculin. Bienvenue à Régine ENGSTROM de la part de Monique Lemoine

  2. Mon très cher Pierre,
    N’aurais-tu pas oublié Yvette Chassagne, nommée en 1981 préfet du Loir-et-Cher, qui fut la première femme en France à diriger une préfecture.
    Et bienvenue à Madame Engstrom.
    Cordialement
    Gilles Kounowski

    • Désolé, j’avais mal lu. Elle est bien citée à sa place, en 1981…
      Amicalement
      Gilles Kounowski

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