Les discothèques tourangelles ne sont pas à la fête

Cela fera bientôt un an que les boites de nuits de Tours sont fermées. Considérées comme des lieux favorisant la contamination, aucune mesure n’a pu être mise en place pour une réouverture cet été 2021. La profession demande une aide à la transformation de leurs établissements, avant qu’il ne soit trop tard.

Les 3 Orfèvres

Les 3 Orfèvres à Tours a fermé ses portes en mars 2020, lors du premier confinement, et ne les a plus rouvertes. Photo Les 3 Orfèvres

Volume à fond, alcool à flot et dancefloor encore collant. Qui se souvient du temps où les discothèques accueillaient enterrements de vie de jeune fille ou pots de départs ? Depuis le 17 mars 2020, ces établissements sont dans l’attente d’une réouverture. Une situation frustrante pour les gérants qui ne voient plus le bout du tunnel.

 Sabine Ferrand, vice-présidente de l’UMIH (Union des métiers et des industries de l’hôtellerie), ne mâche pas ses mots. « Arrêtons le massacre ! On sait qu’on ne va pas rouvrir en 2021, l’état d’urgence est prolongé jusqu’à juin. Par contre, c’est scandaleux de continuer à payer autant pour faire tourner des établissements vides ! » En effet, les aides mises en place par le gouvernement paraissent bien minces par rapport aux charges quotidiennes : facture EDF, paiement du TPE (terminal de paiement électronique), entretien des locaux. « On demande un salaire le temps de tenir et surtout, nous demandons de l’aide pour nous transformer. » Transformer les boites de nuit en commerces, telle est l’idée.

Les 3 orfèvres

La discothèque des 3 Orfèvres à Tours faisait salle comble avant la pandémie… Photo Les 3 Orfèvres

En 2016,  on comptabilisait 2 000 boîtes de nuits sur le territoire français. David Bigaud, gérant de la discothèque Les 3 Orfèvres à Tours se désole de la situation : « On est le seul commerce fermé depuis le premier confinement. Notre carrière professionnelle est à la poubelle. Certains sont déjà en liquidation judiciaire. On ne sait même pas si notre métier va perdurer car les envies des clients sont en train de changer. » Comme d’autres gérants, il a dû chercher un deuxième emploi. L’inquiétude des charges et des frais reportés à la réouverture l’inquiète tout autant. Une facture salée qu’il n’est pas sûr de pouvoir assurer sans aide financière de l’État.

Les mesures sanitaires interdisent de se retrouver dans des lieux fermés la nuit, certains n’hésitent donc pas à recourir à la clandestinité : rave party, soirée en petit ou grand comité… La profession en a conscience et souhaite s’adapter au plus vite à cette nouvelle manière de consommer la nuit. Selon Laurent Fournier, enseignant-chercheur de l’Université d’Aix-Marseille la Covid-19 change forcément notre rapport à la fête : « C’est une échappée essentielle dans notre quotidien et donc les gens trouvent toujours des moyens pour fêter. On le voit avec les boissons à consommer debout, avec de la musique en fond. »

Ana Rougier

« La fête a toujours été liée à la transgression »

Laurent Sébastien Fournier. DR

Laurent Sébastien Fournier est enseignant-chercheur à l’Université d’Aix-Marseille et vient de publier Anthropologie de la modernité aux éditions Armand Collin. Le sociologue revient, dans cet ouvrage, sur la fête comme structuration du temps et célébration essentielle des étapes de nos vies.

 

Avec la peur de contaminer son entourage, peut-on dire que la fête subit une moralisation ?

Laurent Sébastien Fournier : Disons que c’est une moralisation de plus. L’histoire de la fête est tissée d’interdictions de divers ordres. Fut un temps où l’Église faisait office d’instance moralisatrice dans l’organisation des fêtes. Avec la pandémie, il y a l’émergence d’un discours porté par des conservateurs et des libéraux qui tend à condamner la fête en disant que c’est dangereux, que c’est une perte de temps.

 Ce sont les politiques de droite qui condamnent la fête ?

L.S.F : Non. Les communistes comme les révolutionnaires ont aussi critiqué la fête en disant que les prolétaires allaient se perdre dans l’alcool. Peu importe le bord politique, le fait de faire la fête est souvent considéré comme contre-productif. Et de façon ambiguë, il est arrivé que les pouvoirs publics l’encouragent.

Pourquoi est-ce considéré comme contre-productif ?

L.S.F : Car il n’y a pas d’utilité au sens premier du terme. L’idée qu’il y a derrière l’interdit de la fête est celle d’un temps non-nécessaire. Un temps qui est de l’ordre du loisir, qui n’est pas « sérieux », qui est frivole dans une époque si sérieuse. La fête c’est uniquement un lieu de rencontre, de discussions, d’échanges, de levée des inhibitions refrénées le reste du temps. C’est un temps extérieur, une échappée, un lieu de confusion et de marge. Plus les gens sont réprimés, plus ils ont envie de dépasser le cadre. C’est une célébration essentielle de nos vies que le covid ne peut effacer. La fête, c’est aussi l’espoir, l’inconnu, une respiration du quotidien.

D’où les fêtes clandestines…

L.S.F : La fête a toujours été liée à la transgression. Mais à un moment donné, elle a été marchandisé (par les discothèques, les clubs, les salles de concert, les festivals…) donc la fête marchandisée n’est pas la même que la fête clandestine qui a lieu dans une illégalité relative. C’est une façon de résister à une oppression étouffante. Il y a des gens qui s’autorisent à désobéir et d’autres qui ont l’habitude de payer pour rentrer dans un espace de transgression. Le public des discothèques est plus passif.

Va-t-on vers des fêtes encadrées ?

L.S.F : On peut l’imaginer, avec respect des distanciations sociales mais alors ça risque de devenir des fêtes contrôlées. Comment on danse ? Comment on réglemente ? La fête est à l’inverse de cette idée, puisque c’est l’endroit du lâcher-prise. Désormais, on assiste à de nouvelles formes de socialisation que l’on peut qualifier de fêtes. On le voit avec les boissons à emporter ou à consommer debout. Maintenant, même s’il est 14 heures, il n’est pas rare de voir des groupes de gens boire du vin chaud en plein Paris.

Propos recueillis par Ana Rougier

 

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