À Tours, des dérives sectaires qui questionnent

Alors qu’un rapport est publié fin février par le gouvernement, certaines mouvances sectaires font parler d’elles en région. En pleine pandémie, ces dérives sont prises très au sérieux.

D’étranges enveloppes jaunes accrochées à des branches. Voilà ce qu’a découvert Hugo, étudiant en psychologie dans le parc de la résidence universitaire Grandmont, à Tours. Diffusés sur Twitter début mars, les prospectus permettent d’identifier ceux qui en sont à l’origine. Il s’agit d’une église évangélique controversée, le Centre d’Accueil Universel. L’événement a donné lieu à un emballement médiatique. En réponse, le 18 mars, la branche nationale des Forces Jeunes Universelles a publié un communiqué de presse. Elle accuse les journaux de propager des fake news et dément toute forme de prosélytisme. Elle affirme se soucier uniquement du bien-être des étudiants et des personnes vulnérables, sans chercher à convertir qui que ce soit.

La foi made in Brésil

À Tours, leur présence est peu connue puisque l’endroit se fait discret. Le centre a plus l’allure d’un bureau que celui d’une église. Protégé des regards, les fenêtres sur rue ont leurs stores baissés. À l’intérieur, une porte vitrée donne sur plusieurs rangées de sièges et font face à un autel en bois. Le sol est carrelé et l’accueil peu chaleureux. À peine entrés, un homme et une femme nous éconduisent vers la sortie. De nationalité brésilienne, Júlio et Rose Souza sont un couple très investi dans la « thérapie de l’amour ». Ils n’accepteront pas de répondre à nos questions et prendront seulement un numéro de téléphone.

Autrefois connu comme l’Église Universelle du Royaume de Dieu, le Centre d’Accueil Universel prend ses racines au Brésil. Dans le pays, les centres accueillent les fidèles 24h/24h et des dons sont exigés à la fin des prêches (voir 19’05). Crée par Edir Macedo, évêque auto-proclamé, le mouvement a le monopole de la foi véritable. La star de l’évangile avait eu droit à un film « Rien à perdre II » instrument de propagande glorifiant son parcours et par la même occasion, le Centre d’Accueil Universel. Cette église pentecôtiste s’est très largement étendue dans le monde.

Guérisons miraculeuses

Déclarée comme une association, le siège est situé à Evry-Courcouronnes et de nombreuses antennes existent, notamment en région Centre-Val de Loire puisqu’ils sont installés à Tours et à Orléans. Le centre développe différentes branches d’actions comme les Forces Jeunes Universelles, réunions de jeunes croyants et l’association de bienfaisance communautaire, maraudes pour les plus démunis. Ces actions sont valorisées sur les réseaux sociaux. Ainsi, une page Instagram Godllywood sert de vitrine à l’idéologie de l’église : des produits de développement personnel aux prédications brésiliennes ; la foi évangélique y est présentée comme le seul moyen pour réussir sa vie. Le journal de cette église, Universel Cnews, recueille de nombreux témoignages dans lesquels les croyants attestent d’un changement radical après leur arrivée dans l’église. Le CCMM, Centre Contre les Manipulation Mentales, préconise une grande prudence envers cette église évangélique.

Sur Facebook, le profil public de Júlio Souza ne cache pas ce prosélytisme douteux. Une photo avant/après d’une jeune femme dont les avant-bras semblent blessés nous dirige vers un lien « Combat contre la dépression ». Cette page, se présente au premier abord comme un espace d’aide pour des personnes rencontrant des difficultés. Elle est d’ailleurs rattachée au numéro de téléphone du Centre d’Accueil Universel tourangeau. Les citations, confuses, peuvent être interprétées de différentes manières. « Le changement dans votre vie ne dépend que de vous », « Il existe une issue à votre douleur, acceptez notre aide ! ». Les citations évoquent la dépression comme un état d’esprit plutôt qu’une maladie.

Un deal avec Dieu

Le discours de l’église évangélique se base sur les commandements « 10 pas vers le salut ». Le cinquième pas stipule « un des pas les plus importants pour la délivrance et le salut est de complètement se détacher des compagnies qui ne professent pas la même foi. » Non seulement le Centre d’Accueil Universel éloigne des influences négatives mais il permettrait aussi de gagner plus d’argent et de réussir. C’est ce que l’on appelle la théologie de la prospérité.

Pour faire fonctionner cette théologie, une taxe est mise en place pour chaque croyant : la dîme. Le principe ? Se soulager de 10 % de son salaire. Pour Marie-Françoise Bardet, présidente de l’ADFI Touraine, Association de Défense des Familles et des Individus, c’est un marché avec Dieu : « Ils partent du principe que si Dieu ne répond pas, c’est qu’ils n’ont pas donné suffisamment d’argent. Donc que c’est de leur faute. S’ils n’ont pas suffisamment d’argent, ils donnent des biens matériels, ou peuvent même faire le ménage chez le pasteur » Des dons en nature sous couvert d’un pseudo-bénévolat. La dîme revient donc à l’église ou aux prêtres et n’est pas soumise à l’impôt. Aucune trace donc…

Vide juridique

En droit français, il n’y a pas de définition juridique du mot secte. Selon l’article 223-15-2 du code pénal, il est plus juste de parler d’un abus frauduleux. Il se définit en partie comme « un groupement qui poursuit des activités ayant pour but et effets de créer et maintenir la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ses activités. »

Les dérives sectaires agitent les médias et les réseaux sociaux depuis longtemps. Sur certains forums tels que Doctissimo, des internautes alertent à ce sujet à l’instar d’Olivier07 qui dénonce : «  Il faut absolument éviter ce genre de secte (…) ils demandent à des gens de venir témoigner pour qu’ils racontent comment ils ont eu un contrat à durée indéterminée. En mettant tout son salaire sur l’autel. Et aux autres de dire amen. Le fameux pasteur a insisté sur le fait que la jeune femme a donné tout son argent, comme si la grâce de Dieu s’achetait. »

D’autres soutiennent et défendent le message du Centre d’Accueil Universel. Des internautes témoignent sous les pseudos RQP41ly : « Depuis que je suis arrivé au Centre d’Accueil Universel, ma vie a complètement changé. J’ai changé de caractère. Je me sens bien, dans ma famille il y a plus de guerres avec ma mère, je n’ai plus de haine contre mon père, je n’ai plus de vice d’alcool, de drogue… » et Itoko 98 : « Si le Centre d’Accueil Universel n’avait pas été là je serai morte. »

Publié fin février, le rapport de lutte contre les dérives sectaire co-dirigé par l’IGPN, Inspection Générale de la Police Nationale, l’IGGN, l’Inspection Générale de la Gendarmerie Nationale et la Miviludes, la Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires, vient souligner la difficulté d’établir des données fiables sur les sectes. Le Centre d’Accueil Universel n’est pas reconnu officiellement comme une secte, mais est surveillé de près par les associations. Il existe un vide juridique autour de ces dérives et il n’est pas toujours facile de statuer à leur sujet. En 2013, une plainte de l’Etat avait été déboutée en Cours de cassation pour avoir considéré le Centre d’Accueil Universel comme une secte.

De nouvelles croyances

« Désormais, le tiers des appels que l’on reçoit concernent les mouvements liés au bien-être comme le reiki qui se retrouvent dans des salons bio et autre foires dédiées à l’écologie. Les angles d’accroches sont très larges », souligne Marie-Françoise Bardet. La présidente estime qu’il y a plus 600 techniques et thérapies, dont une nouvelle toutes les semaines. Le succès des thérapies non-conventionnelles vient répondre à un besoin de spiritualité et de « soins » au naturel. Ces nouveaux gourous s’emparent des réseaux sociaux et affirment pouvoir soigner des pathologies lourdes grâce à la foi ou sous la forme de prestations de santé.

Ces mouvements sectaires prennent donc des formes très diverses et peuvent disparaître aussitôt nés. Par le passé, Marie-Françoise Bardet avait notamment vu apparaître le mouvement Soka Gakkai, une branche moderne japonaise du bouddhisme. « Un des rituels consiste à réciter la même phrase pour aller mieux. Une jeune fille avait dû aller en hôpital psychiatrique à la suite de ces récitations. Les répétitions avaient créé des pensées obsédantes », déplore-t-elle.

Nombreuses sont les victimes qui ne font pas de signalement du fait de leur isolement physique et mental. À leur sortie, la reconstruction peut-être lente. Les associations comme l’ADFI et les organismes comme le CCMP et la Miviludes mènent de vastes campagnes de prévention afin de sensibiliser les proches des victimes de dérives sectaires. Parfois, il suffit d’une main tendue pour remonter la pente.

Ana Rougier