[Billet] Procès du Médiator : Quand les intérêts financiers passent avant la santé

[Billet] Lundi 29 mars 2021, le verdict est tombé pour les Laboratoires-ServierIndustrie. Le « Dassault du médicament », Jacques Servier, père fondateur de l’entreprise, décédé le mercredi 16 avril 2016, aura été le grand absent du procès associant son groupe pharmaceutique et lAgence française de sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé (Afssaps).

Médicaments
Photo Pixabay

Tout  a commencé en 1954 à Orléans, rue Eugène Vignat, par une officine pharmaceutique employant une dizaine de personnes et fabriquant du sirop. Quelques années plus tard, installée route de Saran à Gidy, dans le Loiret, elle est devenue l’un des plus grands groupes pharmaceutiques français. Parmi les médicaments qui ont fait la fortune de Servier il y eut Ponderal, Isoméride et Mediator. C’est ce dernier médicament, aux effets cardiovasculaires dévastateurs, qui est la cause des ennuis judiciaires et de la condamnation de la société pharmaceutique loirétaine.

Dissimulations des gravissimes effets secondaires

De 1976 à 2009, le groupe pharmaceutique Servier a fabriqué et commercialisé un médicament, le Mediator, comme adjuvant au traitement des hyperlipidémies et du diabète de type 2 (anciennement appelé diabète gras). Ce médicament aux puissantes propriétés anorexigènes (coupe-faim) provoquait des lésions cardiaques (valvulopathies) et de l’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), hautement invalidantes et parfois mortelles. Près de dix ans après l’ouverture d’une information judiciaire et après de multiples rebondissements, le Mediator est arrivé devant le tribunal en septembre 2019. Après 517 heures d’audience, l’instance judiciaire a considéré que les Laboratoires Servier ont sciemment dissimulé les gravissimes effets secondaires de ce médicament, utilisé par plus de cinq millions de patients. La firme Servier est condamnée pour « tromperie aggravée » et « homicides involontaires » à payer 2,7 millions d’euros d’amende. Les parties civiles devront être indemnisées à hauteur de plusieurs dizaines de millions d’euros.

L’Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (Afssaps), qui n’a pas assuré sa mission de contrôle et qui a particulièrement tardé pour arrêter la commercialisation du Mediator devra régler une amende de près de 400 000 euros pour « homicides et blessures involontaires » par négligence.

Le tribunal n’en n’a pas terminé. Le jugement pour « trafic dinfluence » n’est pas encore rendu.

Les prescriptions de Mediator continuèrent d’être autorisées

Les amphétamines furent d’abord utilisées par les militaires afin d’améliorer l’endurance des soldats et en particulier des pilotes d’avions. Une des propriétés annexes de ces stimulants est de couper la sensation de faim (effet anorexigène). Malheureusement ils ont des effets secondaires délétères, en particulier ils augmentent la pression dans les artères pulmonaires et provoquent une dépendance et des troubles du comportement.

Quand les autorités sanitaires internationales déclarèrent la guerre à « l’épidémie d’obésité dans le monde », un marché considérable s’offrait aux coupe-faim amphétaminiques. En France, le laboratoire Servier commercialisa le Pondéral (fenfluramine ) en 1965, le Mediator (benfluorex,) en 1976 et l’Isoméride (dexfenfluramine) en 1985. Ponderal et Isoméride sont deux isomères de la même molécule et le Mediator, après ingestion, se transforme en fenfluramine. Ces trois molécules, quasi identiques, ont les caractéristiques pharmacologiques et métaboliques des amphétamines, ce que ne pouvaient ignorer les chimistes et pharmaciens de l’entreprise du bon docteur Servier. Suspectées d’atteintes cardiaques graves, les autorisations de mise sur le marché (AMM) de l’Isoméride et du Pondéral furent suspendue en 1997. Bizarrement, les prescriptions de Mediator continuèrent d’être autorisées. Cette « négligence » des autorités sanitaires d’alors vient d’être également condamnée. Les victimes et leurs familles seront indemnisées.

Non coupables mais pas sans responsabilités

Des leçons salutaires ont été tirées de ce dramatique désastre sanitaire. Une loi sur la sécurité du médicament  a été votée. Les conflits et les liens d’intérêts des conseillers et des experts sanitaires sont désormais surveillés. L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a repris les missions de l’Afssaps avec des moyens renforcés. Les médecins qui ont prescris et les pharmaciens qui ont dispensé ces dangereuses molécules de l’entreprise Servier s’en sortent bien. Pour leur défense, ils déclarent avoir fait confiance aux informations fournies par les représentants commerciaux des Laboratoires Servier et aux autorités sanitaires qui contrôlent les AMM.

Des professionnels de santé considérés comme non coupables mais pas sans responsabilités…

Jean-Paul Briand 

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