Le report de l’angoisse ? Les régionales, entre calcul électoral et risque constitutionnel

Le traumatisme des clusters et de l’étalement inédit des municipales

Depuis le confinement de mars 2020, les commentateurs n’en finissent plus de scruter la météo démocratique, à la recherche de certitudes sur ce qui, en règle général, encadre la vie et le débat politiques : le calendrier électoral. La brutalité de la pandémie n’avait pas empêché, il y a un an, la tenue du premier tour des élections municipales à la date prévue, à l’issue d’une brève partie de poker menteur entre le président du Sénat, Gérard Larcher, le président de l’association des maires de France, François Baroin, et le président de la République. Mais les conséquences sanitaires du maintien « quoi qu’il en coûte » de ce scrutin, avec des décès de maires et de citoyens ayant participé aux opérations de vote ou de dépouillement, avaient conduit à repousser le second tour de trois mois, au risque d’altérer l’unité du processus électoral, et donc la sincérité de l’expression du suffrage, la gestion de la crise durant ces « Cent jours » profitant généralement aux maires sortants.

À nouveau depuis quelques longues semaines, la question d’un deuxième report de la double consultation régionale et départementale est posée. La mission confiée à l’ancien président du Conseil Constitutionnel Jean-Louis Debré visait précisément à déminer le terrain en tentant une convergence des positions partisanes. Sa conclusion, rendue le 13 novembre dernier, a ouvert la voie à un premier report, de mars à juin 2021, avec une clause de revoyure. Toutefois, un nouveau décalage risquerait de faire renaître le temps du soupçon de la manipulation et des arrière-pensées de l’exécutif. Explicitement, le fils du rédacteur de la Constitution de 1958 a mis en garde contre un nouveau report, a fortiori après les présidentielles de 2022, à ses yeux aussi injustifié que contraire à l’esprit des institutions.

Confiner la démocratie ? Les leçons du comparatisme

En effet, comment justifier de « confiner » ainsi la vie démocratique alors que l’Amérique, en pleine flambée mortelle de l’épidémie, a su organiser des présidentielles et des élections au Congrès ? Il serait facile de rétorquer que la campagne américaine a été très réduite et a connu des modalités inhabituelles, y compris l’extension du vote anticipé et du vote par correspondance qui ont été instrumentalisés par la campagne de désinformation du sortant battu. Israël a également tenu des élections générales, mais l’avancement record de la campagne de vaccination, après la confusion du refus des mesures barrières par les ultra-orthodoxes, a permis de limiter le risque de contagion lors des opérations électorales.

Le « cartel des non » des présidents de région sortants

Forts de ces exemples étrangers probants, dix présidents de région, du très droitier Laurent Wauquiez au socialiste François Bonneau, ont publié une tribune pour repousser avec vigueur toute perspective de report du scrutin de juin. Publié avant le troisième confinement national, leur texte met en avant la discordance entre le maintien de la plupart des activités économiques et l’éventuel « confinement de la démocratie ». Si la dégradation récente de la situation sanitaire fragilise leur position, elle fait surtout regretter qu’aucune majorité ne se soit trouvée au Parlement pour adopter des mesures simples facilitant l’exercice du devoir civique tout en protégeant la santé des citoyennes et citoyens français, équilibre indispensable à un taux de participation convenable. Vote électronique, vote par correspondance, vote anticipé, vote par procuration facilité, pourquoi ne pas avoir mobilisé cette gamme étendue d’outils particulièrement opportuns ?

Le fol espoir présidentiel : éviter un chapelet de défaites et piéger la droite

Cette inertie dommageable ne manquera pas d’être utilisée par « l’accusation », les procureurs des oppositions conjuguées. D’autant que le Premier ministre a à nouveau évoqué, au lendemain des recommandations prudentes du conseil scientifique, l’hypothèse privilégiée du maintien en juin des régionales et des départementales. De plus, le calcul politicien d’un report de convenance serait de peu d’efficacité pour sauver le soldat Macron : à quoi bon retarder de quelques mois les défaites annoncées, prix à payer du manque d’enracinement du mouvement présidentiel ? Certes, des régionales organisées début octobre auraient le grand mérite, vu de l’Elysée, de placer dans un grand embarras le principal concurrent d’un Président sortant désormais clairement situé à la droite de l’échiquier. Laurent Wauquiez, Valérie Pécresse et surtout Xavier Bertrand seraient ainsi entravés dans le lancement de leur campagne présidentielle, et une éventuelle primaire LR impossible à envisager.

Consulter les maires. Une manœuvre habile ?

Alors qu’il appartient au Parlement de trancher, le gouvernement a décidé en urgence de consulter ceux sur lesquels reposera l’organisation matérielle des scrutins. Si les oppositions dénoncent déjà une instrumentalisation, singulièrement Christian Jacob avec son esprit de finesse inimitable, la démarche est habile, bien que précipitée. Qui pourra faire fi d’une réticence transmise aux préfets par ces élus de proximité, respectés et souvent victimes en mars dernier de la contagion ? Les maires ruraux en particulier savent la difficulté à trouver des assesseurs et à mobiliser les citoyens.

Toutefois, si le président de la République acceptait en définitive de braver l’ensemble des opposants et même une partie de son camp (Richard Ferrand et François Bayrou exceptés), l’inconvénient serait de fragiliser son discours volontariste de « sortie du tunnel » sanitaire. Aux terrasses des cafés, mais pas aux urnes ? La France serait-elle « rendue à la belote et à Tino Rossi » comme le fustigeait Montherlant en 1938 ? Emmanuel Macron pourrait rétorquer qu’à chaque crise grave, du populisme boulangiste à l’affaire Dreyfus, c’est grâce aux maires que la République a tenu bon, avec les grands banquets des expos universelles de 1889 et 1900.

En un scrutin douteux, le risque d’une indifférence mortifère pour la démocratie locale

Mais le prix du soupçon ne serait-il pas trop lourd à payer en pleine crise de la démocratie représentative ? Certes, attendre les fruits automnaux d’une vaccination majoritaire des adultes, donc des électeurs, n’aurait rien d’aberrant, et serait, on l’espère, en phase avec la reprise de l’ensemble des activités sociales, y compris une véritable campagne électorale. En revanche, un éventuel report au-delà des échéances présidentielles ne saurait être vu autrement que comme un calcul incompatible avec la sincérité du scrutin. À l’heure du désenchantement démocratique et de la tentation populiste d’extrême-droite, en particulier des électeurs les plus jeunes, est-il bien nécessaire d’en rajouter dans le doute sur la valeur des processus représentatifs, tout en fragilisant la sécurité constitutionnelle du scrutin ? Entre risque politique, risque sanitaire, risque démocratique et risque constitutionnel, il va falloir choisir.

Et ici, sans aucun vaccin à disposition pour se protéger de la contagion d’une épidémie de critiques.

Pierre Allorant

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