Journées du matrimoine 2021 : les femmes à l’honneur au FRAC avec l’expo sur Alger

Cette année encore, le FRAC (Fonds régional d’Art Contemporain) du Centre Val-de-Loire, basé à Orléans participe aux Journées du Matrimoine à travers son exposition phare ALGER, archipel des Libertés. L’occasion pour Mag Centre de remettre en avant son article du 5 juin 2021.

Pour sa réouverture au public, le FRAC présente depuis le 3 juin une exposition passionnante ALGER, archipel des libertés. Une manifestation qui rend compte des luttes émancipatrices de l’Afrique de 1969 à nos jours, à travers les œuvres de jeunes artistes africain.e.s.

Le Frac Centre accueille à nouveau le public avec 3 expositions inédites, photo Sophie Deschamps

Cette exposition inédite et dense s’inscrit dans le cadre de la Saison Africa 2020, décalée à cause de la pandémie. Comme l’explique Abdelkader Damani, directeur du FRAC (il vient d’ailleurs d’être reconduit pour trois ans) et commissaire de cette manifestation Alger, archipel des libertésil s’agit de « jeter un pont entre plusieurs périodes révolutionnaires qu’a connu et connaît jusqu’alors le continent africain ». Plus précisément le point de départ de cette exposition est le Festival panafricain d’Alger de 1969, manifestation emblématique de cette époque post coloniale et elle se termine en 2020 avec le Hirak algérien (le Mouvement). Une période historique riche de 50 ans qui donne l’occasion au Frac  de présenter le travail de 19 jeunes créateurs africains ( photographes, plasticien.nes, dessinateurs et dessinatrices, vidéastes… ) dont beaucoup de femmes.

En fait, cet évènement « est un prétexte bienvenu comme l’explique Nadira Aklouche-Laggoune, commissaire associée pour donner à voir un art pensé autour de l’Afrique, son histoire passée et présente, ses sociétés, ses cultures et ses défis battant  ainsi en brèche l’antihistorisme et ses autres succédanés pour parler d’une Afrique vivante, créative et riche de son histoire, ses peuples et ses ressources ».

Ainsi, dans le hall des Turbulences,  le public est accueilli par trois imposantes statues d’hommes que l’on pourrait croire sorties tout droit de Cuba ou de l’ex-URSS. Eh bien non il s’agit de trois statues funéraires de la tradition sculpturale ibibio très réalistes et élaborées en ciment et peinture acrylique par l’artiste Sunday Jack Akpan, afin de rendre hommage à trois chefs d’Afrique de l’Ouest. 

Il faut aussi tendre l’oreille dans ce hall afin d’écouter les Voix publiques imaginées par l’artiste russe Louisa Babari à l’occasion de la 13ème Biennale de Dakar. On y entend de la poésie panafricaine déclamée en plusieurs langues par des interprètes africains et de la diaspora. Louisa Babari explique vouloir « renouer avec la diffusion poétique populaire dans l’espace public ».

Zineb Sedira a reconstitué l’intérieur de son salon londonien de 1969, présenté par Abdelkader Damani, photo Sophie Deschamps

De fait, la déambulation commence par le diorama proposé par l’artiste franco-algérienne Zineb Sedira. Elle nous invite sans façon à venir s’asseoir dans son salon londonien qui reconstitue l’atmosphère du début des années 70 avec affiches, photos, Unes de magazine, pochettes de disque tandis que la télévision diffuse le film de William Klein, Le Festival panafricain d’Alger de 1969. 

L’Affiche de l’exposition du FRAC “Alger, archipel des libertés est la reprise d’un dessin de Michèle Magema

Changement d’ambiance dans la salle suivante, «conçue comme une rue » explique Abdelkader Damani où l’on  découvre le travail graphique de trois artistes : Michèle Magema, dont un dessin a été repris pour l’affiche de l’exposition, puis les dessins au crayon de l’autodidacte sénégalaise Caroline Gueye, si précis que l’on a l’impression de voir des photos.

Totem de Fatima Mazmouz, exposition FRAC ALGER, archipel des libertés, photo Sophie Deschamps

Ensuite, l’oeil est irrésistiblement attiré par le magnifique totem Fil Anthropia, l’autre corps de la résistante de la plasticienne franco-marocaine Fatima Mazmouz. Cette oeuvre imposante permet de retrouver et/ou de faire connaître douze militantes anticolonialistes et féministes dessinées au fil rouge. On y reconnaît Djamila Bouhired, Gisèle Halimi, Simone de Beauvoir… Des portraits qui s’entremêlent , se répondre l’un l’autre pour symboliser cette solidarité entre les femmes dont des citations sont inscrites sur le mur derrière le totem. Pour Fatima Mazmouz « cette pièce est un travail inachevé dont l’objet est de former in fine “une forêt de résistantes”».

Cette féministe entend aussi avec son oeuvre «réattribuer aux femmes leur place dans l’histoire des engagements socio-politiques  et dans l’imaginaire collectif, longtemps imprégné d’effigies dédiées aux héros masculins ».

Un travail sur la mémoire

Le devoir de mémoire traverse aussi cette exposition avec un précieux travail de collecte effectué par trois jeunes algériennes, Lydia Saïdi, Awel Haouati et Saadia Gacem. Elles se sont ainsi donné pour mission de dénicher chez leurs aînées des documents témoignant des luttes des femmes dans les années 70 et qui sont donc exposés publiquement pour la première fois. Ces Archives des luttes des femmes en Algérie, émouvantes et essentielles seront ensuite mises en ligne et enrichies par des entretiens avec ces femmes militantes. 

Lydia Saïdi et Awel Haouati collectent les archives féministes algériennes des années 60, photo Sophie Deschamps

Un autre travail de mémoire Fragilités est proposé par la plasticienne algérienne Fatima Chafaa. Elle sort de l’oubli le village kabyle de Takamra où 7 femmes ont été violées en 1956 par des soldats français. Une installation très simple dans un espace sombre (que l’on aperçoit sur la photo ci-dessus) où l’on découvre des bribes du témoignage de son oncle qui avait alors 10 ans et complétée par la projection au sol des années de naissance et de mort de ces 7 femmes martyrisées et surtout oubliées.

 En montant vers le deuxième étage, il faut se retourner pour visionner sur le mur Shadow Procession. Un petit film d’animation réalisé en 1999 par le sud-africain William Kentridge qui accomplit le tour de force de raconter l’histoire de l’Afrique en huit minutes en évoquant les guerres et les moments de paix. 

Le Hirak algérien en photos

Cliché de Lydia Saïda pris pendant le Hirak, extraite de la série “La prochaine fois le feu, 2019-2021”

Le parcours s’achève donc avec une série de photos prises par deux jeunes femmes photographes talentueuses, Leïla Saadna et à nouveau Lydia Saïdi, durant le Hirak algérien, ce mouvement de contestation provoqué au départ par la volonté du président Bouteflika de briguer un cinquième mandat. La force de ses clichés est de montrer les moments joyeux mais aussi tendus de ces vendredis de manifestation dont certains semblent tirés de films tant la mise en scène naturelle est frappante. En sortant, il faut jeter aussi un oeil aux nombreux articles du grand quotidien algérien El Watan, affichés sur un mur. 

Alors n’hésitez pas courrez à cette exposition (disponible jusqu’au 2 janvier 2022) 

A lire aussi : FRAC, l’architecture japonaise avec des maquettes dedans : Quand la forme parle

Place de la romancière

Le FRAC a aussi de nombreux projets en cours, parfois inattendus. En effet, il entend être aussi un lieu de soutien à la cause des femmes avec l’inauguration en septembre de sa propre librairie,  spécialisée bien sûr dans l’architecture mais aussi… dans le féminisme.

Place de la romancière, nouvelle adresse du Frac Centre Val de Loire à Orléans ? Photo Sophie Deschamps

Par ailleurs, le parvis du FRAC a été baptisé Place de la romancière. La plaque est déjà scellée car Abdelkader Damani aimerait que ce nom soit la nouvelle adresse du lieu. 

Sophie Deschamps

Commentaires

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  1. Exposition indispensable contribuant à une meilleure compréhension d’un passé d’ailleurs tout à fait présent.
    Cela étant, une remarque : “… les statues tout droit sorties de Cuba…” m’ont amené à me remémorer ce que j’y ai vu (ou peut-être pas voulu voir, direz-vous). Google, à la requête “statuaire cubaine”, me confirme que la remarque précitée est inutilement dépréciatrice de l’art d’un peuple qui lui aussi a lutté pour sa libération.

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