[Régionales] En avant la musique !

Avec l’été, le 21 juin renoue avec les plaisirs de la fête de la musique, rite institué il y a quatre décennies par le vibrionnant ministre de la Culture Jack Lang, ensuite édile de Blois. Les scrutins régionaux et départementaux d’hier, loin de sacrer le déconfinement de l’exercice démocratique, ont cruellement souligné l’effondrement de la pratique électorale, singulièrement dans les générations les plus jeunes et les catégories populaires, deux viviers du Rassemblement National. Ce premier tour de deux élections territoriales a profondément rebattu les cartes du jeu politique à onze mois des présidentielles, le rendez-vous structurant de la Cinquième République depuis 1965.

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Le triomphe de l’indifférence électorale

Phénomène de longue durée, perceptible depuis la fin du siècle dernier (abstention majoritaire au référendum sur l’instauration du quinquennat), l’effondrement de la participation électorale est un symptôme inquiétant qui vient en quelque sorte se substituer au vote protestataire. L’effacement des Insoumis et la contre-performance inattendue, sur tout le territoire national, du Lepénisme, ne signifie pas approbation des partis en responsabilité, mais ignorance des compétences respectives du département et de la région et indifférence vis-à-vis de leur gouvernance. À ce titre, trois éléments peuvent être interrogés : le report du projet de loi « 3D » devenu « 4D » qui devait simplifier et clarifier les compétences non seulement des collectivités territoriales, mais aussi des administrations déconcentrées, tout en permettant plus largement de recourir à l’expérimentation différenciée selon les spécificités locales.

Plus conjoncturel, le choix de la date des élections et de leur regroupement n’a pas réussi à mobiliser les citoyens, au lendemain des mesures de reprise d’une vie quasi-normale et alors que la vaccination n’est pas encore majoritaire. Le début de l’automne aurait sans doute été plus propice à une campagne électorale normale, permettant aux opposants aux présidents de région en place de mieux défendre leurs chances. Quant au groupement, au prétexte de…lutter contre l’abstention, il n’aura, en définitive que contribuer à occulter les enjeux départementaux et à brouiller le scrutin régional, ainsi pris en tenaille entre des joutes cantonales et la tentative d’instrumentalisation nationale d’une primaire informelle sélectionnant les candidats à l’élection présidentielle.

Enfin, la loi NOTRe et sa prétention à former de grandes régions « à taille européenne » apparaît comme un échec budgétaire (aucune des économies promises par André Vallini n’a été réalisée) et davantage encore démocratique, le chef-lieu métropolitain des 12 régions étant désormais aussi éloigné des habitants que bien des capitales nationales européennes. A contrario, le contre-exemple corse, collectivité territoriale unique, à statut spécial, sans départements, peut faire figure d’expérimentation réussie au regard d’un taux de participation record et d’un renforcement de la présidence autonomiste au détriment des indépendantistes radicaux.

« L’Étrange défaite » des sondeurs

Si nous ne sommes pas en juin 1940, la débâcle des coûteux instituts de sondage est à nouveau un sujet d’étonnement et parfois de sourire, devant les justifications alambiquées, entre tartufferies et fourberies, de directeurs pris la main dans le sac de leur technique du « doigt mouillé » pour saisir le vent mauvais de l’inspiration électorale. Rappelons-nous le premier sondage en Centre-Val de Loire, le triomphe annoncé du Bardella eurélien, la percée de Marc Fesneau, la défaite annoncée de François Bonneau et de Nicolas Forissier : à ce stade d’imprécision, la marge d’erreur n’est plus à 4% (le président sortant donné à 19 au lieu de près de 25…), et le quarté, annoncé dans le désordre le plus total, gagnerait presque à emprunter le seul ordre alphabétique ! Et les autres régions sont à la même enseigne, pour le plus grand bonheur d’Alain Rousset ou de Carole Delga. Il faudra garder à l’esprit cette insoutenable légèreté des sondages à l’orée de la campagne présidentielle, ce rendez-vous qui a vu Jacques Delors, Edouard Balladur, Ségolène Royal, Dominique Strauss-Kahn, Alain Juppé et François Fillon venir s’échouer sur la grève des présidents virtuels, près de la Roche Tarpéienne des prédictions triomphantes. Avis de prudence à Xavier Bertrand…

Sortez (plébisciter) les sortants ! Le dégagisme inversé

Alors que les derniers scrutins et la crise des « gilets jaunes » avaient popularisé, à nouveau, la vieille rengaine anti-parlementariste, boulangiste puis poujadiste, de « sortez les sortants », le paradoxe de ce premier tour est de conforter les majorités régionales et les exécutifs sortants, comme si le tiers des Français qui a daigné se déplacer donnait quitus aux présidents, de droite comme de gauche, pour leur gestion de la crise sanitaire et du début de relance économique post-covid. Ce changement majeur dans une atmosphère d’un pessimisme pesant, annonce-t-il la reconduction de l’exécutif national, gratifié du « quoi qu’il en coûte » et du retour potentiel des « jours heureux » ? Rien n’est moins sûr, mais l’éclaircie dans le moral des Français peut nourrir des espoirs de réélection chez Macron comme des espérances d’alternative politique à droite et, dans une moindre mesure, à gauche. Seule certitude : le « match retour » du second tour de 2017 n’est plus l’horizon indépassable de 2022, les électeurs pourront décider de « renverser la table » pour exercer un vrai choix de société et de programmes à mettre en place.

Le grand retour du clivage droite/gauche et le casse-tête du casting de 2022

En effet, le nouvel échec du Rassemblement national à traduire en gains territoriaux son implantation durable dans le paysage se conjugue à l’incapacité renouvelée du parti présidentiel à quitter son statut de créature hors-sol totalement liée au destin présidentiel de son fondateur. Pire, les deux solides espoirs de conquête nourris par son allié le Modem, vraie famille démocrate-chrétienne présente dans les cultures politiques françaises et européennes, se sont dispersés comme le pot-au-lait de la Perette de La Fontaine. Adieux Val de Loire et Nouvelle Aquitaine pour les ministres Darrieussecq et Fesneau, avec l’humiliante nécessité faisant loi de se ranger derrière LR ou d’être marginalisé et battu par François Bonneau à Orléans. La stratégie présidentielle a été particulièrement mise en échec dans les Hauts-de-France où la mobilisation pétaradante des limousines ministérielles n’a fait que servir de trompettes de la renommée au principal rival d’Emmanuel Macron, à valoriser sa victoire. Difficile de faire mieux en matière de politique de gribouille. Quant à la droite, requinquée par le succès de ses sortants, aux départementales comme aux régionales, elle va désormais être replongée dans sa difficulté d’incarnation, ses candidats potentiels, Laurent Wauquiez et Xavier Bertrand, sortant renforcés de ce premier tour. Valérie Pécresse aura plus de difficulté dans sa quête de victoire, mais plus de mérite, alors que seul Bruno Retailleau pourrait pâtir d’une défaite de sa candidate en Pays-de-la-Loire.

À gauche, le rebond et la clarification du rapport de forces au détriment des Insoumis mais aussi des Verts rebat les cartes : le PS est à nouveau au centre du jeu, mais sa candidate potentielle, Anne Hidalgo, est personnellement affectée par l’échec de sa candidate francilienne Audrey Pulvar. Assistera-t-on à l’été ou à l’automne au retour de l’hypothèse Bernard Cazeneuve ? L’hostilité des écologistes à l’encontre de l’ancien élu de Cherbourg complique le tableau.

Bâtir des châteaux en Val de Loire

Région au périmètre inchangé mais à la dénomination harmonieusement complétée, le Centre-Val de Loire n’échappe pas aux dynamiques nationales. Ici aussi, le président sortant apparaît d’autant plus en position de force que la fusion de sa liste avec celle d’Europe écologie les Verts se fait conformément à une annonce dès le début de la campagne et en cohérence avec un mandat précédent mené en commun et avec des programmes relativement convergents. Seule la présence des Insoumis complique l’équation, à l’inverse facilitée par les réserves de voix potentielles de l’autre liste écologiste et de l’extrême-gauche.

Si Aleksandar Nikolic semble avoir déjà renoncé à bâtir ses châteaux en Espagne, et pas uniquement au nom du souverainisme, la droite et le centre-droit auront besoin non seulement de se regrouper, mais d’un surcroît massif de mobilisation différenciée dimanche prochain. Rien n’est jamais impossible en politique, mais s’il arrive qu’un second tour corrige l’ampleur du premier, un retournement de tendance et de dynamique est rarissime. Toutefois, si le président Bonneau était conforté pour un dernier mandat, sa réussite serait conditionnée au règlement de la grave pénurie de l’offre de soins, défi auquel il s’est attaqué mais qu’il devra cerner en usant de toutes les armes, y compris la démultiplication du potentiel hospitalo-universitaire, en ayant à l’esprit que cette fois, c’est le département du Loiret, et non plus l’Indre-et-Loire, qui l’aura couronné.

Pierre Allorant

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