“143 rue du désert”, une très bonne adresse

Hassen Ferhani est venu lundi soir présenter son film en avant première au cinéma Les Carmes. Magnifique road movie statique, plein de routiers, d’histoires et de l’âme d’une femme, Malika. Elle tient un café au bord d’une transaharienne. 143 rue du désert tricote documentaire et fiction dans un film d’une simplicité qui fait mouche par sa rigueur d’image et de montage. Du très grand cinéma !

Le point de repère dans le désert. copyright-cran

Sur la N1, cette transaharienne mythique qui relie la côte méditerranéenne à l’Afrique noire, non loin d’El Menea, entre Gardaia et In Salah, il y a une petite cahute en dur qui sert du thé, des cafés et parfois des casse-croûtes. Il est tenu par Malika, une femme robuste qui accueille les routiers. Peu bavarde mais très perspicace. Son œil de lynx brille d’une intelligence montrant toute l’acuité de son regard sur le monde et sur les gens. Avec peu de mots, elle provoque des situations de complète vérité. Les routiers qui s’arrêtent chez elle sont accueillis mais elle garde ses distances.

Malika, la reine qui tient un bistrot dans le désert. copyright-cran

C’est le côté documentaire du film. Dans un cinéma dépouillé et très rigoureux, Hassen Ferhani saisit cette vie insolite au beau milieu du désert en plans fixes, avec des cadrages précis et travaillés. La fenêtre délimite une portion de désert, la porte un bout de route. C’est le regard de Malika, ce qu’elle voit elle même. Et lorsqu’elle est dans l’image, assise à sa table unique de bistrot, avec en fond le mur un peu défraîchi de son café et la toile cirée décolorée, elle devient reine de son propre royaume, tant l’image dépouillée est habitée. Peut être remplie de la présence palpable de son âme. Car Ferhani fait bien plus que la filmer. Il arrive à saisir par la fixité des plans, par leur durée et par leur répétition tout ce qui ne passe pas par des mots. Tout ce qu’exprime cette femme qui a vécu des choses difficiles dans ce pays difficile. On ne connaîtra pas vraiment son histoire, juste quelques bribes qu’elle raconte par-ci par-là aux routiers, et qui évoquent ces années de sang que l’Algérie a traversées il y a 25 ans.

Chauki Amari. copyright-cran

Mais il y a aussi un film de fiction. Hassen Ferhani a demandé à son ami l’acteur-écrivain Chawki Amari de venir « jouer » avec Malika une scène étonnante ou tous deux s’amusent comme des petits fous de part et d’autre d’une fenêtre grillagée qui devient la grille d’un parloir de prison. Scène à la fois hilarante, de cet humour algérien très présent dans le film, et évidemment très sensée. Et plus tard dans le film, un routier auto-stoppeur lui lit le journal en attendant ses œufs et lui raconte ensuite la recherche de son frère qu’il n’arrive pas à trouver. Encore une allusion aux disparus des années noires. Mais Malika écoute, et ne le croit pas. Elle le dira ensuite, une fois l’homme parti. Or c’était un acteur, Samir El Hakim, venu jouer pour le film cette scène à l’insu de Malika qui ne le savait pas. Magnifique interférence de documentaire et de fiction, donc !

La station service en train de s’installer à côté et qui va ouvrir un restaurant, élément tristement réel du documentaire, sert aussi de repère. Son illumination électrique en fin de film, inscription de cet ailleurs immense et intemporel dans le monde d’aujourd’hui, est aussi le symbole de la fin d’une époque sans ouvrir sur de nouvelles espérances. Malika survivra-t-elle dans ce nouveau monde ? On espère. Comme on espère voir d’autres films de ces jeunes et talentueux cinéastes algériens de la génération d’Hassen Ferhani.

Bernard Cassat

Hassen Ferhani, réalisateur trentenaire, est venu présenter son film en avant première lundi soir, invité par le cinéma Les Carmes et l’Asla, l’Association de solidarité Loiret Algérie.

Il a raconté comment, par hasard, en s’arrêtant chez Malika, il a découvert cette femme. Il avait dans l’idée de faire un road movie. “Dès que je suis entré chez elle, j’ai su que mon film était là, que c’était elle, cette dame de 74 ans qui avait décidé d’ouvrir une buvette au milieu du désert.” . Paradoxal, puisqu’on ne change pas de lieu ! Il lui a proposé et tout de suite, elle a accepté. “Deux mois après je suis revenu avec un ami ingénieur du son. Malika a vite compris ma démarche, elle disait aux routiers qui entraient « c’est mon film » ! « Ils font un film sur moi et sur la route “. Tout au long du film, elle semble totalement ignorer cameraman et preneur de son. « Elle a quelque chose avec la caméra », dit-il. Et en effet elle crève l’écran, alors que les plans fixes du film ne sont guère propices à mettre en valeur des personnages. Rien n’était écrit, et Malika lui a parfois demandé des choses, par exemple de la filmer en train de faire sa sieste dans le sable. Ce que bien sur il a fait, en ayant soin de respecter son intimité. Et d’intervenir le moins possible. Une touriste américaine en moto, de ces femmes un peu aventurières, s’arrète. La conversation est difficile, elle parle mal français et Malika aussi. Et Hassen n’est pas intervenu pour traduire, trouvant à juste raison que l’échange entre elles était juste, qu’elles se comprenaient sans traduction. C’est dire aussi implicitement la place qu’il s’assignait : un regard complètement attentif et bienveillant.

Pendant cette rencontre, des spectateurs ont aussi amené le problème de la spiritualité, très présente dans le film et pourtant jamais frontale. A ce propos, Hassen a parlé du seul plan non fixe du film, où la caméra fait le tour de la cahute de Malika. Il y avait l’idée de la Kaaba, évidemment, autour de laquelle les pèlerins tournent sept fois. Mais pour Hassen, il s’intéressait plus à une spiritualité non religieuse. Malika ne fait aucune allusion à la religion, hormis les expressions arabes qui invoquent Dieu très souvent. Et qui ne sont pas signes de croyance. Et son attitude avec des imams qui se sont arrétés chez elle le prouve : elle ne les apprécie pas vraiment. Cette réticence venait d’elle, il s’agit bien du coté documentaire…

Sur la réflexion d’un spectateur, Hassen a survolé aussi son parcours, et a rappelé l’importance de l’association Chrysalide d’Alger qu’il a co-animée et d’où a émergé nombre de jeunes cinéastes.

Et la soirée s’est terminée sous les applaudissements qui traduisaient l’admiration du public pour ce road movie statique totalement magnifique, presque rien au milieu du grand vide du Sahara qui met en exergue la beauté d’âme de cette femme complexe et résistante, forte et touchante.

BC

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