Zoom sur les métallos de Vierzon

La mémoire des ouvriers de Vierzon sort de l’oubli avec la parution de Récits d’anciens métallos ( L’Harmattan) par Danielle Champion et Laurent Aucher. Des récits établis à partir du témoignage de trois anciens ouvriers.

Laurent Aucher et Danielle Champion auteur.e.s de Récits d'anciens métallos (Vierzon, 1996)
Laurent Aucher et Danielle Champion auteur.e.s de Récits d’anciens métallos (Vierzon, 1996) photo Sophie Deschamps

Ce livre est un objet littéraire un peu particulier. En effet, ces Récits de métallos sont tirés d’entretiens menés en 1996 par le sociologue Laurent Aucher auprès de trois anciens ouvriers de Vierzon : Roger Parent, Michel Poulin et Michel Besse, dans le cadre de son mémoire de DEA. Une matière “brute” retravaillée dix ans après par Danielle Champion, agrégée de lettres modernes, pour en tirer des récits de vie, susceptibles d’intéresser le grand public. D’autant plus que les auteur.e.s ont tenu à expliquer leur démarche à mi-chemin donc entre la sociologie et la littérature, mais aussi le choix de la ville Vierzon.

Car l’objectif est aussi de restituer un peu du passé industriel de cette ville qui a compté de nombreuses usines dans des secteurs très variés : la métallurgie donc mais aussi la porcelaine, la verrerie, la papeterie et le textile. Vierzon, dont le déclin industriel a été irréversible après la fermeture en 1994 de l’Usine Case-Poclain. Un véritable électrochoc pour la ville avec 5000 manifestants dans les rues alors que l’usine n’employait plus que 270 ouvriers contre 1400 dans les années soixante-dix. Les entretiens de Laurent Aucher seront d’ailleurs menés deux ans après, en 1996. Un travail essentiel donc pour les deux auteurs vierzonnais qui ont accordé un entretien exclusif à Magcentre.

Quel était le point de départ de ce travail autour d’ouvriers ?

Laurent Aucher : Je m’inscris dans le courant de la sociologie culturelle. C’est-à-dire que très souvent, la classe ouvrière telle qu’on l’entend se focalise uniquement sur le travail et la condition de l’ouvrier. Une approche culturelle permet de faire éclater le cadre et d’envisager l’ouvrier dans l’usine mais aussi en dehors. Et même dans l’usine, de le considérer comme un être qui travaille évidemment mais qui rêve et qui pense aussi tout en travaillant. Moi, ce qui m’intéressait c’était aussi de montrer l’ouvrier dans une singularité de points de vue qui n’est pas toujours montrée dans le monde ouvrier et puis de montrer la richesse de ce monde-là.

Par ailleurs, les ouvriers avaient tendance à se cacher derrière la classe ouvrière via les syndicats, ce qui les dispensait de s’exprimer directement disons des années trente aux années quatre-vingt-dix. Du coup l’idée est venue peu à peu qu’il fallait parler à leur place. Or ces trois entretiens montrent exactement le contraire avec des points de vue singuliers. 

D’où cette phrase étonnante du sociologue Roger Cornu : “la classe ouvrière n’est plus ce qu’elle n’a jamais été“, citée dans le livre. Comment faut-il la comprendre ?

Danielle Champion : La traduction de cette phrase un peu paradoxale, c’est de dire que la classe ouvrière ne correspond pas à l’image qui en est donnée. Il y a une part fantasmatique associée à la classe ouvrière. C’est là qu’intervient cette notion d’invisibilité de l’ouvrier qui est importante. Même si la difficulté pour moi a été d’un autre ordre puisqu’il s’agissait de retranscrire le récit oral de vie de deux personnes que je n’avais jamais vues parce qu’elles étaient décédées au moment où j’ai commencé ce travail.

Ce qui d’emblée frappe dans ces trois témoignages et surtout dans celui du plus âgé Roger Parent ( 1911-2006) c’est que la paie ne permet pas de nourrir sa famille. D’où l’importance du potager près de la maison, qui est un autre travail et pas du tout un loisir…

Laurent Aucher : Non c’était un autre travail après l’usine ou le dimanche. Mais ces ouvriers ne se plaignent pas vraiment. Car même si la question écologique n’est pas abordée, elle est sous-jacente “C’étaient des produits sains, on mangeait bien. Roger Parent ajoute même : “C’était comme ça chez moi mais aussi chez les autres”.

Danielle Champion : Ce n’était pas propre aux ouvriers de ville. Dans les familles modestes, à la campagne, ça fonctionnait de la même façon. Mon grand-père et ma grand-mère rapportaient tous les légumes et les fruits. Et mon père qui était artisan n’aimait pas du tout faire son jardin mais il était bien obligé de le faire.

Ces entretiens leur ont aussi permis de faire un peu le bilan de leur vie ?

Laurent Aucher : Bien sûr ! Même si Michel Besse regrette de ne pas avoir fait d’études et si à 49 ans Michel Poulin a dû, en fin de carrière, réintégrer la même usine mais avec un grade inférieur et un salaire moindre, ils ne s’apitoient pas sur eux-mêmes. Ils ne sont pas du tout passéistes. Ils ne disent pas “c’était mieux avant”. Mais ce qui était émouvant dans les entretiens c’était de voir leur pensée se construire en parlant.

Danielle Champion : J’ai essayé de restituer ça dans les récits, en gardant les hésitations, certaines répétitions. Cela a aussi conditionné la façon dont j’ai traité la syntaxe. Le fait par exemple de mettre trois points pour restituer le silence de la réflexion.

Comment se passe la vie ouvrière aujourd’hui à Vierzon ?

Laurent Aucher : On observe un double mouvement. C’est-à-dire d’un côté une frange stable qui s’en sort plutôt bien d’une manière générale et puis de l’autre côté on observe une frange qui au contraire est en train de se paupériser et qui là pour le coup est en train de déguster et qui tend à être de plus en plus en situation de vulnérabilité. Le problème c’est qu’ils n’arrivent plus à trouver de travail. Alors que dans les années soixante-dix, c’étaient les patrons qui couraient après les ouvriers. Mais depuis les années quatre-vingt, c’est l’inverse.

Propos recueillis par Sophie Deschamps

Couverture livre Récits d'anciens métallos
Récits d’anciens métallos de Laurent Aucher et Danielle Champion, L’Harmattan, 18 euros

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