[Sexisme ordinaire] Billet – Ces mauvaises blagues qui banalisent le sexisme

[Billet]

Les histoires sexistes racontées sous couvert d’humour ont pour seul effet de rabaisser les femmes tant physiquement qu’intellectuellement. D’où l’urgence aujourd’hui de déconstruire ces clichés et stéréotypes qui peuvent avoir des conséquences graves pour les femmes car ces gaudrioles sont ni plus ni moins l’antichambre des violences sexistes et sexuelles.

Par Sophie Deschamps

Source Flickr

Que celui ou celle qui n’a jamais ri d’une blague sur les blondes lève la main. Mais sous prétexte de faire rigoler lors d’une soirée ou au bureau, ces plaisanteries (presque toujours racontées par des hommes) produisent en réalité un double effet : faire passer toutes les blondes pour des idiotes sans cervelle et créer la discorde entre les femmes en prétendant que les brunes sont beaucoup plus intelligentes et fûtées qu’elles. Et bien sûr, si l’une de ces dames ose avancer qu’elle ne trouve ça pas drôle, elle se voit  tout de suite accusée de casser l’ambiance, donc d’être “chiante” et naturellement de n’avoir aucun sens de l’humour ! Une autre variante est de s’entendre dire que justement « on ne peut plus rien dire ! ». C’est peut-être l’occasion de placer que « oui bien sûr, on peut rire de plein de choses mais pas au détriment de qui que ce soit ». Ou reprendre la célèbre formule de Pierre Desproges : « On peut rire de tout mais pas avec n’importe qui. »

Un sexisme ordinaire qui avance à “bas bruit”

Evidemment, les grosses remarques sexistes ont tendance (lentement) à disparaître même si avec les humoristes Jean-Marie Bigard ou Tex (ex-présentateur de l’émission Les Z’amours sur France 2) on n’est jamais déçu pour les blagues bien lourdingues, voire dangereuses, comme celle de La déchirure de Bigard, où il fait carrément l’apologie de la violence et du viol. Ou Tex qui explique « qu’il n’y a rien à dire à une femme qui a deux yeux au beurre noir, on lui déjà expliqué deux fois ! », ce qui lui aura d’ailleurs valu d’être renvoyé de l’émission Les Z’amours. Toutefois ces blagues ne passent (heureusement) plus aujourd’hui. Ainsi, en 2017 dans son premier Rapport sur l’état des lieux du sexisme en France, le HCE, Haut Conseil à l’Égalité des femmes et des hommes, consacre plusieurs pages à cet “humour” sexiste « qui rit des femmes mais pas avec elles ».

Plus grave, le rapport souligne « les conséquences psychologiques parfois lourdes de cette déqualification systématique des femmes : (auto)dévalorisation, auto-censure, baisse de l’estime de soi ». Les conséquences sont aussi physiques souligne le HCE : « Les victimes de violences sexistes et sexuelles peuvent être en proie à des insomnies, des troubles alimentaires, des migraines, des nausées, de la fatigue, des problèmes d’ordre sexuel, des mutilations auto-infligées etc. » De fait, ces blagues sont plus insidieuses et pernicieuses, avançant masquées et à bas bruit. Il devient donc plus difficile de les débusquer et de les contester. 

Le tabou des poils féminins

Il y a aussi le poids des  stéréotypes sexistes. Et s’il y en a un qui a la vie dure, c’est bien celui des poils féminins. En effet, nous sommes nombreuses à penser que « les poils, c’est moche ! » notamment sur les jambes et sous les aisselles alors que, paradoxalement ceux des bras ne nous posent aucun problème. Mais les choses sont en train de changer notamment chez les jeunes comme en témoigne la couverture de Télérama du 5 juin 2021 : « Poils, cheveux blancs, kilos… chacune fait ce qui lui plait. » Et l’hebdomadaire d’expliquer que le confinement a favorisé l’émancipation esthétique des femmes. Ainsi en février 2021, l’Ifop a donné des chiffres éloquents : 69% des moins de 30 ans se disaient prêtes à cesser de s’épiler les jambes et plus étonnant encore 54 % le maillot !

Mais pourquoi vouloir bannir ces poils de notre peau alors que les hommes les arborent sans aucun complexe ? Pour l’historien du poil Christian Bromberger « c’est cette opposition entre le lisse féminin et le dru masculin qui a été une constante à l’échelle de l’histoire des sociétés euro-méditerranéennes. Ce que la nature a créé, la culture a eu tendance à le renforcer et à l’exacerber. Avec une valorisation du poil masculin et, au contraire, une dévalorisation du poil féminin ». D’où l’urgence de déconstruire cette injonction sexiste pour que chacune d’entre nous choisisse de conserver ou non ses poils, en toute connaissance de cause et surtout sans plus jamais éprouver de honte parce que quelques poils dépassent du maillot. Car comme l’explique l’autrice Klaire fait grr dans son livre Survivre au sexisme ordinaire (Ed. Librio, février 2021) : « Les poils c’est un truc d’ADULTE PUBÈRE (sic). (…) La mode de l’épilation drastique, dont celle de l’épilation intégrale de la vulve, c’est-à-dire pour obtenir une vulve qui ressemble à celle d’une petite fille. (…) En assignant le corps des femmes à une symbolique d’enfant, dépourvue de poils, on perpétue ce symbole de domination sur les femmes. » Elle est par ailleurs chroniqueuse pour Arte radio et le magazine Néon et autrice du livre Au poil ! (Ed. Jungle, avril 2015).

« T’as tes règles ou quoi ? »

Autre stéréotype : les règles. Ce qui donne le plus souvent une remarque bien sexiste du style : « Tu contredis tout ce que je dis aujourd’hui, t’as tes règles ou quoi ? » Car bien sûr les femmes sont chiantes quand elles sont indisposées, c’est bien connu, on est d’ailleurs à ce stade pas loin du bon vieux dicton de sagesse populaire. Sauf que pour en avoir le cœur net, la psychologue américaine Robyn Stein DeLuca a mené une grande enquête sur ce sujet avec une conclusion étonnante reprise par Élise Thiébaut dans le livre Survivre au sexisme ordinaire : « Le lien que nous établissons entre les règles et notre état psychique relève de l’autosuggestion. Plus on est disposé à penser que notre cycle détermine notre humeur, plus en effet notre humeur varie en fonction de nos règles ». Élise Thiébaut va même plus loin en expliquant que « quand on note, jour après jour, les variations de notre humeur, rien ne permet de les raccorder véritablement à notre cycle. C’est nous qui nous le racontons après coup ».

Il ne s’agit donc pas de prétendre que les femmes comme les hommes sont toujours d’humeur égale. Mais comme le souligne Élise Thiébaut personne ne dit jamais à un homme : « Dis-donc, je te trouve bien tendu tout à coup, tu serais pas en train de nous faire une overdose de spermatozoïdes ? »

Sans parler des autres manifestations du sexisme, comme certains hommes qui s’échinent à nous expliquer avec beaucoup de détails ce que nous connaissons déjà, voire ce dont nous avons l’expertise. Plus communément appelé le mansplaining, mecsplication en français.

Pour aller plus loin :

 Livres :

30 discussions pour une éducation ANTI sexiste de Pilha Hintikka et Élisa Rigoulet (Marabout, mars 2021, 5 euros)

Merci, fallait pas, le sexisme expliqué à ma belle-mère de Laura Domenge (First Editions, février 2019, 9,95 euros)

Revues papier :

La Déferlante, revue féministe trimestrielle crée en mars 2021 est aussi une newsletter bi-mensuelle

Oblik, l’info graphique N°5, Liberté, Égalité, Sororité 50 raisons de devenir féministe (ou de le rester)

En avant toutes ! 120 dessins de presse, les droits des femmes dans le monde après #MeToo (Cartooning for peace, dessins pour la Paix, Gallimard, février 2020)

En ligne :

Les Glorieuses, site féministe d’information

Sorocité, newsletter bi-hebdomadaire, média féministe participatif créé en mai 2020 durant le confinement

Les couilles sur la table, podcast de Victoire Tuaillon, N°53 : guide de survie aux fêtes de famille

Commentaires

Toutes les réactions sous forme de commentaires sont soumises à validation de la rédaction de Magcentre avant leur publication sur le site. Conformément à l'article 10 du décret du 29 octobre 2009, les internautes peuvent signaler tout contenu illicite à l'adresse redaction@magcentre.fr qui s'engage à mettre en oeuvre les moyens nécessaires à la suppression des dits contenus.

  1. L meilleur moyen de mettre fin à tout ça, poils blagues règles … c’est d’installer une femme à l’Elysée. Nous nous sommes compris.e.s Toutes avec toi, Sophie.

Les commentaires pour cet article sont clos.

Centre-Val de Loire
  • Aujourd'hui
    13°C
  • mardi
    • matin 10°C
    • après midi 16°C
Copyright © MagCentre 2012-2024