Les Voix plurielles des écrivaines francophones

Les Voix d’Orléans ont donné carte blanche au Parlement des écrivaines francophones du 7 au 9 octobre2021. Trente d’entre elles sont ainsi venues, parfois de loin, nous faire partager leur vision de la francophonie donc mais aussi de la cause des femmes et du travail d’écriture littéraire. 

Par Sophie Deschamps

Marijosé Alie-Monthieux, Catherine Cusset, Geneviève Delrue (journaliste RFI), Suzanne Dracius et Fawzia Zouari, membres du Parlement des écrivaines francophones. Photo Sophie Deschamps

Trois ans après l’installation officielle à Orléans du Parlement des écrivaines francophones, une trentaine de ses membres représentant tous les continents, sauf l’Océanie, était de retour dans la ville johannique les 7, 8 et 9 octobre 2021 pour faire entendre dans les Voix d’Orléans leurs points de vue métissés notamment sur la langue française et la condition des femmes à travers le monde. 

Trois jours de débats et de tables rondes varié.e.s et passionnant.e.s avec pour invitées ces intellectuelles engagées et brillantes dont le stylo sert d’arme (pacifique) d’émancipation. Avec le plaisir d’entendre des passages de leurs romans et/ou de leurs essais pour parler de leurs expériences de vie, bonnes ou mauvaises. Mais aussi bien sûr pour donner chair aux autres femmes. Surtout celles effacées par l’Histoire, parce qu’elle est trop souvent écrite par les hommes. 

Ainsi, certaines ont présenté une femme résistante et rebelle chère à leur coeur. La malienne Safiatou Ba a mis en avant Aoua Keïta, sage-femme, grande activiste féministe et première députée du Mali en 1959. Ce qui fait d’elle la première femme d’Afrique francophone élue à l’Assemblée législative de son pays.

La belge Geneviève Damas a parlé elle de l’importance de l’oeuvre de Virginia Woolf, notamment de son livre majeur Une chambre à soi. Selon elle « Virginia Woolf a pensé l’acte d’écrire, tout en insistant sur la nécessité d’un lieu à soi pour écrire en toute tranquillité» , citant l’exemple de Jane Austen qui a rédigé la majorité de son oeuvre sur une table de son salon.

Leïla Slimani a participé par visioconférence à la table ronde sur la francophonie au féminin. Photo Sophie Deschamps

Une chance que Leïla Slimani (qui est intervenue le 8 octobre en visioconférence) mesure chaque jour quand elle monte écrire dans son bureau « quand tant de petites filles sont privées d’école encore aujourd’hui». Une autrice membre du Parlement des écrivaines francophones et  conseillère en francophonie d’ Emmanuel Macron depuis février 2018 : « Mon rôle est double : je représente la France au sein de l’OIF (Organisation Internationale de la Francophonie). Nous essayons aussi avec le Président d’avoir une nouvelle vision de la francophonie. Non seulement de la partager avec le public en France et dans le monde francophone mais aussi de la faire exister, en particulier dans les domaines de l’édition et de la littérature. » 

Citons aussi Fawzia Zouari qui a présenté sa sœur de cœur la voyageuse Valentine de Saint-Point, (1875-1953). Cette poétesse, romancière a tout plaqué à 49 ans pour l’Égypte et le Caïre où elle est décédée en 1953. 

Un regard féminin sur les printemps arabes dix ans après

Les Voix d’Orléans 2021 ont permis d'entndre un point de vue féminin sur les printemps arabes
Hyam Yared (Liban), Chahla Chafiq (Iran), Maram Al-Masri (Syrie), Sophie Bessis (Tunisie) et Agnès Levallois (journaliste), Regard Féminin sur les printemps arabes, Voix d’Orléans 2021. Photo Sophie Deschamps

Cette première incursion dans le monde arabe a été prolongée le 7 octobre au soir au Frac du Centre Val-de-Loire avec une table ronde dédiée au Regard féminin sur les printemps arabes. Avec le constat général très vite dressé que les femmes ont très peu gagné de ces révolutions de 2011 à l’exception notable de la Tunisie. Comme l’a indiqué l’historienne journaliste franco-tunisienne Sophie Bessis : « En Tunisie, les femmes n’ont pas quitté la rue depuis 2011. Mais ailleurs, les contre-révolutions ont toutes été misogynes. Mais il en est resté quelque chose, à savoir une écriture féminine post printemps arabes. »

La préoccupation de l’environnement

Cette manifestation a aussi permis d’évoquer les questions climatiques en mettant en lumière des initiatives très originales, comme celle de Constance Fulda. Cette artiste prend en effet des empreintes d’arbres pour sensibiliser à la nécessité de les protéger et de les conserver là où ils poussent : « J’avais repéré de très beaux arbres à proximité de mon atelier et à tout hasard j’ai déposé des papiers dessus. Et comme je le fais depuis dix ans maintenant, j’ai passé un petit rouleau d’encre noire pour graver le graphisme des écorces. Aujourd’hui j’ai plus d’un millier d’empreintes. Je ne m’en lasse pas parce que chaque arbre est particulier.» 

Une table ronde organisée avec le concours du groupe Ambassadeurs 100% climat du lycée Jean Zay d’Orléans. 

La force de la langue française et du… latin

Suzanne Dracius, écrivaine martiniquaise, autrice d’un texte sur le cunnilingus. Photo Sophie Deschamps

La sexualité féminine a aussi été abordée et pas seulement pour dénoncer les viols et les mauvais traitements. Ainsi Suzanne Dracius, professeure martiniquaise de lettres classiques, latin et grec a régalé le public avec un texte truculent (et jamais vulgaire) sur le cunnilingus, truffé de mots en latin et malicieusement intitulé Le cunnilingus est la preuve vivante que le latin n’est pas une langue morte. 

Comme Leïla Slimani l’a aussi très bien exprimé à propos de la francophonie : « Il y a chez les femmes écrivaines mais aussi chez toutes les autres une utilisation du Français qui permet de la “déringardiser” . Il faut sortir de l’image que le Français est incarné par un homme blanc de plus de 50 ans, travaillant dans des institutions et ayant une idée trop rigide de cette langue. »

Le témoignage d’une Afghane

L’Afghane Shoukria Haïdar est venue témoigner aux Voix d’Orléans le 9 octobre 2021. Photo Sophie Deschamps

Le sort fait aux femmes afghanes depuis août dernier a été bien sûr évoqué à de maintes reprises durant ces trois jours. Ainsi, Shoukria Haïdar, Afghane en exil depuis 1980 et présidente de l’association Négar-Soutien aux femmes d’Afghanistan est venue expliquer le 9 octobre « l’urgence et l’importance pour les pays occidentaux de ne pas reconnaître les talibans afin qu’ils restent isolés sur la scène internationale. C’est la clé de la reconnaissance de la liberté de ce pays ». Elle a également insisté sur le courage des femmes afghanes qui n’ont pas hésité à défiler à visage découvert le 3 septembre 2021 dans les rues de Kaboul pour défendre leurs droits. Et à propos de la soi-disant manifestation de femmes pro-talibans, elle a juste posé cette question : « Qui étaient ce jour-là sous les burkas ? Des femmes ou des hommes ? »

« Les femmes qui écrivent sont-elles dangereuses ? »

Les écrits des deux accusées Viktor Lazlo et Suzanne Dracius ont été déclarées non dangereux à l’unanimité par la salle à l’issue de ce procès-spectacle. Photo Sophie Deschamps

Un moment très attendu de ces Voix d’Orléans était le procès-spectacle qui s’est tenu le 9 octobre dans la grande salle du tribunal de Grande Instance d’Orléans avec cette question un brin provocatrice : « Les femmes qui écrivent sont-elles dangereuses ? » 

Un vrai faux-procès donc avec deux accusées, une présidente de tribunal, un Ministère Public, des témoins à charge et à décharge et même une expertise psychiatrique. Bien sûr, il s’agissait de montrer le ridicule et la misogynie de ceux qui hier comme aujourd’hui aimeraient que les femmes ferment leur ordinateur. Comme ce projet de loi de 1801, heureusement jamais voté, qui entendait interdire la lecture aux filles. Il s’agissait aussi de revendiquer la force émancipatrice et subversive de l’écriture féminine comme l’a défendu avec brio l’écrivaine-chanteuse Viktor Lazlo : « On m’accuse de représenter une menace pour la société car je proclame haut et fort que la femme que je suis est issue d’une longue lignée de femmes violées, dans le consensus des pratiques esclavagistes et colonialistes. Bref, on m’accuse d’utiliser ma plume pour dire ce que personne ne veut entendre. »

Bien sûr, à l’issue de près de deux heures de débats, la salle, à forte majorité féminine, a relaxé à l’unanimité les deux accusées.

L’ Appel d’Orléans du Parlement des écrivaines francophones

Fawzia Zouari, présidente du Parlement des écrivaines francophones aux Voix d’Orléans 2021. Photo Sophie Deschamps

Cette carte blanche a enfin débouché sur un texte écrit par les écrivaines et soutenu par la mairie d’Orléans. Un appel prononcé par Fawzia Zouari, présidente du Parlement dont voici quelques extraits :

Cet appel n’est pas le premier ni le dernier du genre. Il ne servira pas de document politique en matière d’égalité mais il marquera l’agenda du ralliement des écrivaines à la cause de leurs soeurs de sexe, avec le concours d’une ville témoin de l’histoire dont le passé ô combien féminin. Il marquera la date d’un enrôlement inédit et public des écrivaines sur le front de l’émancipation qu’elles déclineront en fictions, en poésies, en essais, en culture d’une façon générale de sorte que la cause féminine devienne aussi la cause de la littérature.

Alors, ne tournez pas la tête, nous sommes là. Fortes de ces rendez-vous avec l’intelligence, la pensée et l’écriture dans cette ville d’Orléans qui aujourd’hui se fait notre voix. De son épicentre, nous dessinons de nouvelles cartes, celles qu’il faut pour rejoindre les horizons où il devient possible de dire au monde tout ce que nous les femmes avons à lui donner. Faisons en sorte que demain nous appartienne au moins pour moitié.

Ainsi, seules des femmes ont pris la parole durant ces Voix d’Orléans à l’exception de William Chancerelle, maire-adjoint chargé de la Culture. Une chose est sûre : on a déjà hâte de les retrouver l’an prochain à Orléans.

A lire aussi : Des écrivaines francophones reviennent se ressourcer à Orléans

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