Ernest Nivet, l’éternel pacifiste de Levroux

Des monuments aux morts anti-militaristes, ou pour le moins pacifistes, des bergers aux champs la tête tournée vers les nuages, des moments de la vie des campagnes, tels sont les travaux toujours visibles, 150 ans après sa naissance, du sculpteur levrousain Ernest Nivet. Disciple de Rodin, il préférait vivre en Berry plutôt que briller à Paris.

Par Fabrice Simoes

Le berger couché, peinard, les sabots ancrés dans la terre, le chapeau visé sur la tête. Photo Fabrice Simoes

Ce doit être ancré dans les gènes locaux mais, à Levroux, on a des difficultés à entrer dans le moule du conformisme. Ici, par exemple, le club de football ne s’appelle FC, comme Football Club, à l’instar de ce qui se fait sur toute la planète du ballon rond, que depuis la fin du siècle dernier. Avant c’était La Gabatum, le nom de la ville à l’époque gallo-romaine. Ici, le monument aux morts, sculpté après la Première guerre mondiale, n’a rien de la colonne habituelle accompagnée d’un hommage Va-t’en guerre. Il montre un soldat, penseur comme celui de Rodin, plus en phase avec les réflexions de 1917 sur les chemins de Craonne, que d’une charge baïonnette au canon.

Ce que c’ est con, la guerre. Je ne connais rien de plus con“, Jean-Paul Sartre. DR

A quelques encablures de l’église, le berger, sur son socle de pierre, est couché sur le ventre. Comme le Poilu de 18, il est dans ses pensées depuis que le burin d’Ernest Nivet, l’artiste de la commune, en a dessiné les formes. Ici, le quart d’heure berrichon, celui qui donne le temps au temps, compte double et vaut le mot d’excuse pour les retards. On n’efface pas comme ça, tout de go, des lustres de singularités.

L’homme du pays de Berry

Une fois franchie la porte de Champagne, la dernière des trois portes médiévales de la ville, après le petit rond-point, vous prenez à droite… Une courte ruelle et au pied de l’église, vous ne pouvez pas le manquer. Le berger est bien là. Sans un mot, il vous jette un regard pensif. Il est peinard. Quasiment un brin d’herbe à la bouche. Les pointes de sabots ancrées dans la pierre, le chapeau vissé sur la tête. Moment de pause. Moment de farniente. Moment de vie de la fin du XIXe siècle. Moment figé par Ernest Nivet, celui que le Maire de Levroux, Alexis Rousseau-Jouhennet, accompagné de Francesca Lacour, la petite fille du sculpteur, veut que l’on sorte de l’oubli à l’occasion du 150e anniversaire de sa naissance.

La maison aux pans de bois, celle de Catherine de Médicis, accueillera l’exposition. Photo Fabrice Simoes

Sur la place dédiée à l’artiste, au pied de la maison Saint-Jacques, celle dont les pans de bois rappellent qu’elle appartenait à Catherine de Médicis, on s’était donné rendez-vous, voilà, quelques jours, pour lancer une année anniversaire « Ernest-Nivet ». Un totem touristique devrait être posé à proximité de sa maison natale, au lieu-dit « Le Gour », à Levroux. La restauration du Monument aux Morts et du Berger couché devrait être réalisée. Son inauguration est prévue le 22 mai 2022, date anniversaire de l’inauguration du Monument en 1922. Comme l’ensemble des monuments aux morts réalisés par Ernest Nivet sont inscrits aux Monuments historiques depuis décembre dernier, les communes vont bénéficier de fonds de l’État pour les rénover. Une exposition consacrée à l’artiste et à son œuvre sera aussi proposée à la Maison de bois. Enfin, un cycle de conférences sera dédié à « Levroux pendant l’enfance d’Ernest Nivet » et « L’œuvre du sculpteur ».

Élève de Rodin, et semble-t-il apprécié par le maître, le sculpteur berrichon aurait peut-être pu connaître plus d’honneurs s’il était resté dans l’atelier du dépôt des marbres, à Paris. Las, il aura effectué la majorité de sa carrière artistique sur ses terres, en Berry, principalement dans l’Indre. Il a durant de nombreuses années conservé le contact avec le monde culturel de la capitale à travers ses participations au Salon des artistes Français. Au total, une vingtaine de participations, la reconnaissance des critiques d’art, des pouvoirs publics et des amateurs du début du siècle dernier, suivi d’une médaille d’or dans les années 1920, et une nomination de chevalier dans l’ordre de la légion d’honneur. Ernest était donc connu par les élites du moment, et reconnu par ses pairs. Pourtant l’œuvre est plus souvent une ode à la sueur qu’à la paysannerie magnifiée. Et toujours, les bergers, les bergères, sont Berrichons.

C’est aussi pour ses monuments aux morts que le Levrousain a acquis sa notoriété. Outre ses qualités techniques, la volonté est affichée de dénoncer les guerres. Une permanence très éloignée des exaltations au sacrifice pour la patrie, en usage à l’époque, et que l’on retrouve aussi dans l’imposant monument aux morts d’Henri Karcher, à Vierzon.

Artiste méconnu pour les générations d’après-guerre, Ernest Nivet va donc connaître un regain de notoriété, au moins sur ses terres. C’est peut-être ce qu’il aurait aimé le plus…

Commentaires

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  1. Merci pour ce bel article. Vous avez suggéré pourquoi cet artiste ne pouvait pas atteindre la notoriété qu’il eût méritée : il a illustré des sujets politiquement incorrects…

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