La première vache de l’Oregon, une méditation américaine

First Cow est un film étrange mais d’une beauté prenante, d’une réalisatrice peu connue en France. Kelly Reichardt manie pourtant toutes le cartes cinématographiques avec une grâce infinie et nous invite à partager sa méditation sur son pays, sur le monde, sur l’ordre des choses, sans pathos et loin des clichés d’Hollywood. Un précédent film, Old Joy, également à l’affiche, confirme la permanence de ses qualités esthétiques.

Par Bernard Cassat

Les deux personnages, Cookie (John Magaro) et le vagabond chinois (Orion Lee). Capture écran

Kelly Reichardt est une cinéaste farouchement indépendante. Avec même un côté militant. Elle n’hésite pas à aller à l’encontre de toutes les recettes des films qui se veulent grand public : action, images en scope et bruitages violents. First Cow, son 7e long métrage, s’impose d’abord par son format 4/3. Rarissime depuis plusieurs décennies, ces images proches du carré, qui étaient la norme il y a longtemps, sont devenues presque exotiques. Mais ce n’est pas la raison de son choix. Elle déclare qu’il est idéal pour la nature, pour les arbres et pour les visages, mais surtout permet au regard de s’approcher de son objet. Kelly Reichardt est sobre aussi dans les couleurs. Souvent sombres, ses images nous plongent dans la foret de l’Oregon où ses personnages évoluent avec une palette très controlée. Au delà de l’histoire simple mais belle, son propos cherche à retrouver l’environnement, les gestes, les conditions de vie des pionniers en Oregon, The Beaver State (l’état du castor) comme on dit encore parfois, vers 1820. Son film est un western sans les codes habituels, un western qui s’intéresse au quotidien, au vécu des anonymes. Comment s’organise un village, qu’est ce qu’ils mangent, comment ils se chaussent. Comment était la place du marché ? Les baraques grossières de planches disjointes ? Par tous ces détails, elle reconstitue cette vie bien loin des épopées qui ont fait la légende de l’Ouest, la légende de l’Amérique.

Un western sans duels ni saloons

Une photo très travaillée. Capture écran

Un cuisinier et un vagabond chinois se retrouvent et s’allient pour survivre dans des conditions de vie très primitives. Leur amitié, alliance d’un producteur et d’un vendeur, va leur permettre d’envisager un avenir. Un clafoutis et des beignets les rapprochent d’une vie meilleure, les font sortir du lot. Mais aussi les confrontent aux puissants présents dans cet ouest pourtant sauvage. Ces deux personnages qui existent vraiment par leur débrouille et leurs envies de construire une vie meilleure vont à l’encontre des figures habituelles du western, qui ne montre jamais une vache seule mais d’immenses troupeaux, ni un pauvre cuisinier en train de battre sa crème avec un fouet végétal au milieu de nulle part. Et pourtant, ils s’inscrivent dans le grand mythe fondateur des Etats-Unis, ils incarnent certains de ses thèmes favoris, l’importance de la nature surtout, le succès à partir de rien, la puissance de l’amitié et de l’association avec l’autre, mais aussi le règne de la propriété privée !

Conte naturaliste plein de douceur et de poésie, First Cow prone un art méditatif qui n’hésite pas à prendre l’espace et le temps nécessaires. Comme cette époustouflante première séquence où aujourd’hui, sur un fleuve dompté que l’on retrouvera sauvage dans le film, un immense vraquier entre dans l’image et la coupe en deux. Plan dont la seule utilité, hors histoire, est d’introduire un style, un engagement à réfléchir sur ce que l’on voit.

Un film plus ancien

Le cinéma des Carmes propose cette semaine un deuxième film de la réalisatrice, Old Joy. Tourné en 2007, il est encore plus radical mais offre des trésors de cinéma. C’est une randonnée de deux amis qui les amène à des sources chaudes. Toujours les thèmes de la ville et de la forêt, des arbres en ville et des déchets en forêt, de la beauté simple de la nature. Les trajets en voiture sont une sorte de documentaire sur les abords urbains américains. Toutes les séquences sont absolument inhabituelles, depuis les images du jardin de Mark au début jusqu’à la séquence finale, le malaise de Kurt dans la ville retrouvée. Avec entre les deux ce trip qui fait se rejoindre l’extrême occident et l’extrême orient. Tout ici n’est pas une réflexion en soi, mais incite à réfléchir. Du cinéma profond qui, en dégageant l’essentiel de l’ordinaire, touche au grand art.

First Cow

Scénario : Kelly Reichardt, Jon Raymond

Réalisation : Kelly Reichardt

Interprètes : John Magaro, Orion Lee, Toby Jones

Directeur photo : Christopher Blauvelt

Montage : Kelly Reichardt

Old Joy

Scénario : Kelly Reichardt, Jon Raymond

Réalisation : Kelly Reichardt

Interprètes : Daniel London, Will Oldham

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