Expérimentation animale : parlons-en !

C’est le parti pris de Nicolas Marty, l’un des rares spécialistes de cette question en France. Car même si elle suscite la polémique, l’expérimentation animale est un sujet très peu abordé dans les médias grand public. D’où l’intérêt de la conférence-débat qu’il a tenu le 3 novembre 2021 à 0rléans.

Par Sophie Deschamps

Nicolas Marty, spécialiste de l’expérimentation animale. Photo Sophie Deschamps

Alors que l’on parle de plus en plus de “bien-être animal”, l’expérimentation animale reste un sujet à part, rarement évoqué et peu questionné à l’exception de quelques passionnés dont Nicolas Marty, président de l’association bordelaise antispéciste ACTA et qui y consacre sa vie depuis deux ans et demi. Invité à Orléans par Info Végane Orléans, il a débuté sa conférence en expliquant qu’il s’agit « d’un débat complexe où deux points de vue radicalement opposés s’affrontent. Il y a d’un côté ceux qui disent que ce n’est pas scientifique, que c’est de la vivisection immorale et que la réglementation est nulle au point de laisser les chercheurs et les chercheuses découper des animaux sans anesthésie. Et puis de l’autre côté, on a des gens qui disent que la science en a besoin. Que l’on retournerait au Moyen-Âge si l’on arrêtait, que c’est un impératif moral et que la réglementation est tellement stricte que l’on ne peut pas toucher un poil de souris sans le feu vert des autorités ».

Des degrés dans les procédures

Mais avant d’aller plus loin, il convient de donner des définitions et quelques précisons sur l’expérimentation animale. Les expérimentateurs distinguent ainsi plusieurs degrés d’expérimentation animale. Comme l’indique Nicolas Marty « le plus faible correspond au stress et/ou à la douleur au moins équivalente à l’introduction d’une aiguille. Les degrés de gravité vont donc de léger, le plus bas, en passant par modéré où ça devient plus tendu,  jusqu’à sévère quand on empoisonne les animaux ou qu’on les brûle, donc des choses très invasives et très stressantes et au final les procédures sans réveil. Celles qui sont tellement invasives que même avec des antidouleurs, on ne juge pas acceptable de réveiller l’animal après la procédure tellement cela serait affreux pour lui, donc on le tue avant qu’il se réveille. Il ne faut pas pour autant mettre les procédures légères de côté. Une simple prise de sang reste un stress et une douleur pour l’animal mais aussi une liberté confisquée ».

Deux millions d’animaux expérimentés à minima par an en France

Nicolas Marty explique ensuite que « globalement la très grande majorité des animaux utilisés sont des rongeurs et des poissons. Mais il y a aussi des primates, des chevaux, des chiens ou des chats, ce qui concerne deux millions d’animaux chaque année en France. En revanche, on ne comptabilise pas les deux autres millions d’animaux élevés pour l’expérimentation qui ne seront finalement pas “utilisés” mais tués quand même.(…). L’expérimentation animale se concentre essentiellement sur trois domaines : la recherche fondamentale, la recherche appliquée et les tests de toxicité réglementaires. »

Les limites de la règle des 3 R

Une réglementation existe bel et bien et elle se résume à la Règle des 3R, créée en 1959 : remplacement, réduction et raffinement. Le remplacement implique que si l’on peut replacer les animaux par une solution alternative, on doit le faire. Mais selon Nicolas Marty « il y a plein de limitesparce qu’encore faut-il avoir connaissance de l’alternative. De plus, il faut qu’elle donne exactement les mêmes résultats qu’avec les animaux. Donc, l’idée n’est pas de savoir s’il y a d’autres manières d’étudier un sujet mais d’autres manières d’obtenir spécifiquement les résultats que l’on cherche. Sans oublier que souvent les chercheurs et les chercheuses parlent de remplacer les primates par des souris, en supposant donc que c’est moins grave d’utiliser des souris.»

Le deuxième critère, la réduction, s’engage à “utiliser” moins d’animaux « ce qui est possible, explique Nicolas Marty, si l’on peut obtenir des résultats valides avec 20 souris au lieu de 120 souris, alors vous en utilisez 20. Sur le principe, c’est pas mal mais cela n’empêche pas le nombre d’animaux expérimentés de stagner depuis 20 ans. Ceux et celles qui défendent l’expérimentation animale disent que c’est parce que l’on fait plus de recherches. Mais c’est très difficile à vérifier ».

Enfin, le troisième critère est celui du raffinement des techniques utilisées et des modes de détention. Mais là aussi, selon Nicolas Marty, les améliorations sont très insuffisantes : « L’enrichissement des cages et des compartiments qui accueillent ces animaux, cela peut être de la litière compactée. Ce qui n’empêchera pas de mettre trois à quatre souris dans une boîte de la taille d’une boîte à chaussures ! De plus, elles ne verront rien d’autre dans leur vie que ces boîtes, sauf pendant les procédures moins invasives. Donc, c’est quand même très limité comme concept. »

L’argument philosophique de l’antispécisme

D’un point de vue éthique enfin, le débat sur l’expérimentation animale ne date pas d’hier puisque la Société française contre la vivisection a été créée en 1882, et a été remplacée en 1956 par la Ligue contre la vivisection. Mais selon Nicolas Marty, ce mot “éthique” pose toujours problème en 2021 : « Le gros souci, c’est que si la règle des 3 R était vraiment éthique, alors la notion de remplacement devrait être appliquée à tous les domaines de la vie. Et dans ce cas, pourquoi la plupart des chercheurs mangent-ils des animaux ? C’est une utilisation des animaux qui n’est pas nécessaire. (…). Par ailleurs les expériences sur des personnes humaines sont strictement interdites pour des raisons morales. La philosophie morale comprend de nombreux courants dont certains sont antispécistes considérant que l’espèce est un concept arbitraire et refusant donc d’ériger une barrière morale entre les humains et les animaux sur la base de ce seul critère.(…). Donc, pour nous l’important n’est pas tant de trouver des alternatives à l’expérimentation animale que de déclarer qu’elle n’est moralement pas acceptable chez des animaux sentients, capables de ressentir la douleur et des émotions. »

Pour bien comprendre la nécessité de chaque espèce à défendre ses propres intérêts, il suffit de se tourner vers la fiction. Et de visionner par exemple cet extrait de Star Trek Voyager de 1997 qui nous propulse en 2374 où une “race” supérieure a pris le pouvoir sur les humains et pratique des expériences sur des hommes et des femmes sans leur consentement et pour le seul profit de cette nouvelle race. Ce qui nous paraît bien sûr… inacceptable.  

Enfin, la venue de Nicolas Marty à Orléans était aussi motivée par la tenue d’une audience au tribunal administratif d’Orléans le 4 novembre 2021 : « En mai 2020, j’ai demandé à tous les services vétérinaires de France qui contrôlent le respect de la réglementation dans les laboratoires de me fournir leurs rapports d’inspection, ce qu’ils ont refusé, à quelques exceptions près. Toutefois, la commission d’accès aux documents administratifs, la CADA a jugé que ces documents étaient communicables. Mais le refus des services vétérinaires a persisté. J’ai alors déposé un recours au tribunal administratif de chaque département en décembre 2020. Depuis les choses traînent un peu, mais j’ai déjà eu un jugement favorable à Besançon et à la Réunion et j’ai donc deux dossiers traités le 4 novembre 2021 à Orléans. J’aurai le résultat d’ici deux à trois semaines. »

Lire aussi : journal d’un confinement 49 : un vaccin contre le Covid 19 avec moins de tests sur les animaux ?

Deux livres pour aller plus loin : 

Profession : animal de laboratoire d’Audrey Jougla (éditions Autrement, 2015)

« On fonctionne tous de la même manière » de Rick Bogle (éditions Bookelis, 2021)

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