Récidive : Le chagrin et la pitié, un couteau dans la plaie ?

Vaste documentaire de plus de 4 heures, Le chagrin et la pitié, Chronique d’une ville française sous l’occupation, film de Marcel Ophüls et André Harris, rassemble des interviews et des documents d’époque pour tenter d’approcher les années terribles de 39 à 45. Les réalisateurs élargissent le propos pour étayer leur thèse : la France n’a pas résisté tout le temps et partout à l’occupant nazi. On le savait, et pourtant on ne voulait pas le dire…

Par Bernard Cassat

1969 : 24 ans après la fin de la guerre. La France est reconstruite, mai 68 a même d’une certaine manière signé le début de la fin de ce que l’on appellera les trente glorieuses. Et pendant toutes ces années, en dehors des cercles des historiens, le grand public a « oublié » les années de guerre. Le pays a vécu sur ces images qu ‘on voyait de temps en temps, les femmes tondues, les histoires de collaborateurs assassinés par la foule, les querelles de villages entre collabos et résistants. On savait que ça s’était passé, on savait qu’il y avait eu des attitudes pour le moins discutables. Même la question majeure de la Shoa n’a pas vraiment été présente dans les débats publics. Des livres témoignages des camps, ceux de Primo Levi (Si c’est un homme, publié à compte d’auteur en 47, puis réédité en 58 mais n’ayant touché le grand public qu’en 1963, traduit à ce moment là, avec son complément, La Trève) ou de Robert Antelme (L’espèce humaine, paru en 47), ont été publiés puis oubliés dans un silence pesant. Le court métrage Nuit et brouillard(*), de Resnais et Cayrol, sorti en 1955, n’a pas rempli à lui seul le vide. Il avait été commandé par le comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, institution fondée en 51 pour rassembler les travaux autour de la guerre.

Chronique de Clermont Ferrand

Maitre Rochat, l’avocat de Pierre Mendez France. Capture You Tube

En 69, donc, Marcel Ophuls et André Harris s’emparent du sujet, énorme s’il en est, de la collaboration dans la France de Vichy. Pour ancrer leur propos, ils choisissent de s’intéresser à la ville de Clermont Ferrand pendant la période de la guerre. Proche de Vichy, en zone libre jusqu’en novembre 42, cette ville a exacerbé les positions de la population. Beaucoup d’actes de résistance ont été documentés dans cette région. Mais les réalisateurs ont choisi de fouiller aussi, peut être surtout, du côté des collaborateurs et des Allemands qui ont occupé la région. Leur documentaire élargit le propos en interviewant des personnalités de la ville, mais aussi nationales et internationales, hommes politiques et chefs d’états, de Georges Bidault à Jacques Duclos, dirigeant communiste, ou Pierre Mendès France, d’abord engagé dans les Forces aériennes françaises libres, puis ministre de l’économie dans le gouvernement provisoire de de Gaulle (43-45). Et quelques gens plus « ordinaires », les frères Grave, des agriculteurs résistants, Marius Klein, négociant en mercerie ou Pierre Le Calvez, exploitant de salle de cinéma.

Censure télévisuelle

Financé par les télévisions allemande et suisse, le film devait être diffusé à la télévision française, l’ORTF de l’époque, établissement public d’Etat, qui s’est finalement rétractée. Un certain nombre de responsbles de l’audiovisuel ont eu peur de cette charge contre l’idée que toute la France était résistante. Car c’est bien cela qui s’était installé pendant ces années de silence. De grandes personnalités, notamment Simone Veil, ont trouvé ce travail « injuste et caricatural ».

Le film attendra 10 ans avant de passer à la télévision, mais il est sorti en salles en 1971. Et a fait grand bruit. « Il ravive de funestes souvenirs, certes, il bouscule des légendes rassurantes, certes, il dérange, fait mal et donne par moments envie de hurler ou de pleurer. Mais nul ne pourra nier la sincérité, la lucidité des auteurs, l’inlassable curiosité avec laquelle ils ont mené leur quête », écrit Jean De Baroncelli dans Le Monde du 15 avril 1971.

(*) L’image d’un képi de gendarme filmée au camp de Beaune la Rolande avait, à l’époque, été censurée.

Pascal Ory, président des Amis de Jean Zay , historien et membre de l’Académie française, viendra présenter ce film avant sa projection, samedi 13 novembre à 13h15 au cinéma les Carmes.

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