Les dessins de presse ne sont plus à la page

Proposée du 19 au 21 novembre au Poinçonnet (36), la 9e édition du festival Papiers d’actus a confirmé les difficultés des dessinateurs de presse dans l’exercice de leur profession. Une situation paradoxalement aggravée par “l’effet Charlie” et les réseaux sociaux. L’avenir viendra-t-il d’une meilleure éducation aux médias dès l’école ?

Par Jean-Luc Bouland

Les caricaturistes ont croqué les visiteurs pendant tout le salon. Un exercice moins controversé que le dessin de presse.

La profession va mal. Rares sont les dessinateurs de presse qui peuvent encore vivre de ce seul métier“, affirme Jean-Paul Vomorin, un dessinateur loirétain toujours en activité, et qui fut voilà 10 ans l’un des organisateurs d’un salon dédié à la caricature et aux dessins de presse en métropole orléanaise. “Depuis 2015 et l’attentat de Charlie Hebdo, la profession va encore plus mal. Car les médias qui pourraient nous employer deviennent hésitant. Regardez ce qui est arrivé à Gorce et à Chapatte, en France, ou à Anton, au Portugal“. Vomorin est membre de l’association France Cartoons, présidée par le lyonnais Pierre Ballouhet. “Lors de notre assemblée générale, le 2 octobre dernier, à St-Just le Martel, force était de constaté que le dessin de presse devient le grand oublié dans pas mal de journaux“. Et quand ils survivent, ils sont de moins en moins souvent en première page.

Un “effet Charlie” à rebrousse-poil

Le salon orléanais n’est plus, mais un autre a pris le relais depuis 2012, Papiers d’actus, à l’initiative de Jean Petitprètre, alors maire du Poinçonnet, dans l’Indre, à côté de Châteauroux. C’est le seul de ce genre en région Centre-Val de Loire, et sa 9e édition avait lieu du 15 au 21 novembre 2021. Plus de 30 dessinateurs de presse et caricaturistes étaient présents le week-end pour rencontrer le public, et une quinzaine d’entre-eux avaient tourné dans les écoles du département en semaine pour faire découvrir leur métier aux élèves. Bien qu’absent cette année, Vomorin y est un habitué, et Pierre Ballouhet y est déjà venu plusieurs fois. Dans la ville, entre une exposition à la médiathèque sur Jacques Tati, une autre au gymnase et la présence des auteurs à la salle polyvalente de l’Asphodèle, tout était aux couleurs du dessin presse, y compris les poteaux d’éclairage du centre-ville, tous ornés d’une affiche différente et inédite.

En appui de ce festival, l’association Libre trait, présidée par Françoise Laurent, et destinée à “accompagner le festival tout au long de l’année“, comme le soulignait Danielle Dupré-Segot, maire de la commune, proposait le samedi 20 novembre en mairie un débat sur le thème “Les jeunes et les libertés”. Si l’on comptait très peu de jeunes dans la salle, et une seule à la tribune, Angelina, on remarquait en revanche beaucoup d’enseignants, particulièrement concernés par le sujet, et notamment depuis l’assassinat d’un des leurs, Samuel Paty. Il fut d’ailleurs beaucoup plus question de liberté que de dessins pendant les débats, qui s’attardèrent aussi plus sur l’enseignement que sur le rôle de la presse. Mais, comme le soulignait Angelina, “c’est surtout sur les téléphones plutôt que dans la presse, surtout à 12 ans, que nous nous informons. Et pas trop encore sur des grands sujets d’actualités“.

Le dessinateur Livingston (à g), Angélina, représentant les jeunes, et Jean-Pierre, professeur au CFA – Photo JLB

Pour sa part, le dessinateur périgourdin Livingstone ne pouvait que donner une anecdote trop parlante pour exprimer combien le sujet des dessins de presse est sensible. “Après le second attentat raté contre les locaux de Charlie, l’auteur s’étant trompé d’adresse, j’avais publié un dessin qui avait fait le tour des réseaux sociaux, représentant la Une de Charlie hebdo disant “on a changé d’adresse bandes de cons. Bisous”. Et la rédaction de Charlie a publié un communiqué pour dire que je ne fais pas partie de la rédaction. Vous vous rendez-compte où on en est“. Voilà qui illustre bien la frilosité latente, et la précarité des dessinateurs de presse. Ce n’est pas le métier principal de Livingstone. “Je suis contrôleur des eaux. Comme j’aime dessiner, j’ai commencé à proposer des dessins à la Dordogne libre, qui m’en a publié quelques uns gratuitement. Puis, quand c’est devenu régulier, j’ai demandé à être payé.”

Un métier précaire et contesté

Présents dans les écoles, les dessinateurs ont apprécié de pouvoir “ouvrir les yeux” aux élèves, de leur faire découvrir leur métier. “Pour faire un bon dessinateur de presse, il ne suffit pas de savoir dessiner“, explique le président de France cartoons, “c’est surtout une tournure d’esprit, une capacité d’analyse“, confirmant que “beaucoup de jeunes ont du mal à en vivre“. Et Nicolas, qui signe “N.C” et illustrait en direct le débat, ne pouvait qu’approuver. “On pourrait penser que les réseaux sociaux vont contribuer à nous faire connaitre, certes. Mais pas toujours dans le sens qui nous est favorable. Regardez Gorce, au Monde, par exemple.”

Il existe dans quelques cartons ministériels des projets de création en France d’une sorte de Musée du dessin de presse et de la caricature qui donnerait plus de visibilité et de reconnaissance à ce métier. On cite ainsi Paris et Bordeaux pour l’accueillir, ce qui fait un peu rager les animateurs de celui existant déjà à St-Just le Martel, en Haute-Vienne, partenaire d’origine du festival du Poinçonnet. C’est à lui que Maryse Wolynski a fait cadeau du bureau de son époux.

Au Poinçonnet, ce week-end là, entre les oeuvres des “professionnels” et celles des élèves, exposées au gymnase, on pouvait apprécier que l’esprit de dérision et celui de l’expression symbolique ont encore de beaux jours devant eux, notamment chez les jeunes. Ainsi en témoignaient, outre les prix remis aux deux professionnels (MOUSS et ROTH), ceux récompensant les œuvres de certains élèves réalisées pendant la semaine. Il est à espérer qu’ils sauront résister aux attaques régulières de contradicteurs radicaux de toutes sortes, mêmes portées par de supposées louables intentions, et préjudiciables à court et long terme à la juste liberté d’expression.

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