Popillia japonica, un scarabée serial dévoreur bientôt dans nos champs et nos jardins ?

C’est un polyphage à qui rien, ou presque, ne résiste. Plantes d’ornement, arbres, vignes, fruitiers, grandes cultures, graminées… Pas moins de 300 plantes sont au menu de ce scarabée japonais considéré comme des plus voraces. Désormais impossible à éradiquer en Italie, il s’est installé en Suisse et risque fort d’arriver en France où des protocoles de surveillance sont d’ores et déjà mis en place et des méthodes de lutte expérimentées. Portrait d’un serial dévoreur dont les ravages auraient des conséquences préoccupantes.

Par Estelle Boutheloup

Sous une très jolie silhouette rutilante et dont l’abdomen est ceinturé de soies blanches
se cache un redoutable ravageur, Popillia japonica. Photo David Cappaert

« C’est une alerte sur la situation en Italie depuis 2014 et un foyer repéré à Bâle en Suisse en 2021, près de la région Grand Est, qui a renforcé la mobilisation d’un groupe de travail national créé en 2019 et la mise en place d’un plan d’urgence prioritaire sur le risque Popillia japonica en France ». Expert national en Surveillance biologique du territoire, Horticulture, Jardins et espaces verts pour le ministère de l’agriculture et de l’alimentation (DGAL-Sous-direction de la santé et de la protection des végétaux), Jérôme Jullien fait partie de ce groupe en relation avec l’Unité d’Entomologie et plantes invasives (site de Montpellier) du laboratoire de la santé des végétaux de l’ANSES, le CNOPSAV (Conseil national d’orientation de la politique sanitaire animale et végétale) ou encore l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement). L’artillerie… Il faut dire que « l’envahisseur » est à nos portes.

Un piranha végétal

Popillia japonica est un scarabée d’environ dix millimètres de long sur six millimètres de large : « c’est un gros coléoptère, physiquement assez beau, aux élytres marron cuivré rutilant et au reste du corps verdâtre métallique. S’il peut se confondre à l’état larvaire avec le hanneton des jardins, il se caractérise, adulte, par des soies blanches autour de son abdomen et, au stade de « ver blanc » vivant dans le sol, par un « V » que dessine une rangée d’épines à l’extrémité de son corps près de la partie anale. » Après son cycle de métamorphose larvaire, nymphal puis adulte, c’est en juin-juillet que l’insecte, grégaire, se repère le plus facilement. N’ayant que 45 jours pour assurer sa reproduction (une seule génération par an), il pullule, s’active alors et passe à l’œuvre décapant, dévorant et ravageant tel un piranha, la moindre feuille à sa portée jusqu’à ne laisser, comme une arête complètement décharnée, que la nervure principale du végétal. Aussi, prévient Jérôme Jullien « mieux vaut ne pas rester sur une incertitude quand on en voit, et les faire identifier au plus vite ».

Classé parmi les organismes de quarantaine prioritaires par la nouvelle règlementation européenne sur la santé des végétaux en raison des importantes menaces économiques, environnementales ou sociales qu’ils peuvent occasionner sur le territoire européen, l’insecte est connu depuis plusieurs années. Arrivé tout droit du Japon et de l’Extrême Orient russe (îles Kouriles), il a d’abord été découvert en 1916 aux États-Unis, « vraisemblablement introduit sur des bulbes d’iris au stade larvaire », avant de se développer jusqu’au Québec en impactant la vigne. Dans les années 1970, il est présent aux Açores, puis est détecté en Europe continentale en 2014, dans le nord de l’Italie (Lombardie et Piémont) et aux Pays Bas, « avec un potentiel de développement jusqu’en zone septentrionale », précise notre expert, ajoutant que « sa voracité et sa polyphagie rendent compliquées sa surveillance et sa maîtrise. »

Insatiable polyphage, le scarabée japonais affectionne quelque 300 plantes qu’il dévore jusqu’à ne laisser qu’une arête végétale. Photo Ronald S. Kelley.

Un passager clandestin

Imaginez… Pas moins de 300 plantes hôtes potentielles sont au menu de Popillia japonica dans environ 80 familles botaniques différentes, dont certaines pour lesquelles il a une certaine prédilection comme la vigne, le fraisier, framboisier, poirier, cerisier, mais aussi certaines plantes et arbres d’ornement comme le rosier, la glycine, les Prunus. Des graminées également, les gazons (pour les larves), des arbres comme l’érable, le marronnier, châtaignier, peuplier, platane – le plus convoité au Québec par l’insecte – et encore le maïs, des plantes spontanées, de zones naturelles et semi-naturelles (herbes, plantes bocagères, de lisière de bois, de bords de rivière, de déprises agricoles…)… « Il y avait eu un précédent en 2002 avec la chrysomèle des racines du maïs. Un autre coléoptère ravageur qui était arrivé comme ça, via les moyens de transport. C’est pourquoi nous avons pris le taureau par les cornes et mis en place un plan de surveillance renforcé de Popillia pour favoriser sa détection précoce et maîtriser sa prolifération éventuelle. » 

Car, actuellement en Suisse, à 115 km de Strasbourg, il y a de forts risques que notre ravageur arrive en France. Comment ? « Simplement en volant pour changer de site d’alimentation, sous forme larvaire dans les racines, les bulbes ou les rhizomes, en terre dans des conteneurs – vignes en pots importées d’Italie, vignes de table pour de la vente en jardineries, rosiers… – mais aussi et surtout, risque numéro un, en ‘auto-stoppeur’ ou ‘passager clandestin’ depuis la Suisse ou l’Italie en voyageant sur les bâches ou les essieux des camions. » Une surveillance accrue est donc indispensable.

Popillia japonica au stade larvaire. Photo David Cappaert

Piégeages et luttes expérimentales en cours

Pour cela différents protocoles et méthodes de lutte ont d’ores et déjà été mis au point : observation visuelle de défoliations et de dépérissements de plaques de gazon ou prairies (dans ce cas, ne pas hésiter à bêcher pour sonder et regarder s’il y a des larves), études sur sa biologie et sa période de vol, piégeage du scarabée adulte par un leurre qui diffuse des phéromones sexuelles propres à l’insecte, ou encore des attractifs alimentaires à base de composés floraux. Tout ce qui permet de le surveiller et de stopper son développement avant que ce ne soit trop tard. « En Italie, on ne peut plus l’éradiquer, confirme Jérôme Jullien. La Commission européenne a d’ailleurs mis en place un audit et pointé des manquements et des faiblesses. Pour autant des piégeages de masse ont été installés à 50 mètres les uns des autres pour capturer les scarabées avant leur reproduction et de l’insecticide de contact a été enduit sur les filets de capture. »

D’autres mesures de lutte sont expérimentées. Comme l’utilisation d’un traitement biologique à base de Beauveria bassiana. Déjà utilisé dans la lutte contre les attaques de certains ravageurs (punaise terne sur la fraise au Québec, charançon rouge sur les palmiers en Méditerranée…), ce champignon est pulvérisé directement sur le végétal à protéger quand l’insecte est dessus. Contre les larves blanches de Popillia japonica, un petit ver microscopique (un nématode entomopathogène), très efficace sur les larves de coléoptères, est appliqué pour parasiter le ver blanc en rentrant dans son corps. « En France, sur tout le flanc est, de la région PACA au Grand Est, des relevés sont faits tous les 15 jours sur les zones à risque et une surveillance particulière est accordée au bord des routes, des autoroutes et des aires d’autoroutes. Si des produits chimiques de contact et d’ingestion seront utilisables localement sur des cultures, les méthodes de biocontrôle seront privilégiées. »

Ravage de Popillia japonica au stade adulte sur vigne/OEPP

La France, pays européen à compter le plus d’espèces introduites

Popillia japonica n’est pas la première ni la dernière espèce exotique envahissante contre laquelle il faudra lutter et s’adapter : pyrale du buis, scolytes des résineux, bactérie Xylella fastidiosa, punaise diabolique, frelon asiatique … comptent parmi les plus médiatisées ces dernières années. Selon le Centre de Ressources Espèces Exotiques Envahissantes, le taux d’introduction des espèces a considérablement augmenté ces deux siècles derniers au niveau mondial en raison notamment de l’accélération des échanges commerciaux (mondialisation du commerce des végétaux) et du transport des biens et des personnes au XXe siècle. Toujours selon la même source, la France serait l’un des pays européens possédant le plus grand nombre d’espèces introduites avec 1 379 espèces de plantes exotiques et 708 espèces exotiques de faune.

Si notre scarabée japonais ne présente aucun risque d’impact sanitaire hormis les végétaux, ses attaques ravageuses promettent des conséquences environnementale, économique et sociale inquiétantes. Ce serait des hectares de vignes, cultures maraîchères, céréalières, arboricoles, horticoles, mais aussi des golfs, des espaces verts publics, des parcs et jardins de monuments historiques… qui seraient touchés voire dévastés. « On va peut-être réussir à le maîtriser pour diminuer sa population, souligne Jérôme Jullien. Mais il va falloir apprendre à adapter nos jardins à ces nouvelles espèces nuisibles. »


Jérôme Jullien est l’auteur de Adapter son jardin au changement climatique (Ed. Eyrolles. 232 p. 28 €). Un beau guide exhaustif qui répertorie différents effets du réchauffement climatique et prose des solutions concrètes pour des jardins écologiques et résilients.

 

Photo de Une : ravages de Popillia japonica au stade adulte sur vigne/OEPP

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