Le marathon des cinq-cents signatures, clé de la présidentielle ?

[Carnets de campagne]

Sous la Révolution française, le Directoire, régime hybride venu après la Terreur rassurer la bourgeoisie et la province de 1795 à 1799, adopta un système bicaméral, deux chambres législatives à l’instar de l’Amérique et de l’Angleterre, bien que la France ne soit ni fédérale (« Une et indivisible »), ni aristocratique (abolition des privilèges la nuit du 4 août oblige). À côté du conseil des Anciens – au sens propre le Sénat, les élus déjà expérimentés – siégeait le conseil des Cinq-cents, l’Assemblée élue directement au suffrage censitaire.

Par Pierre Allorant

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Est-ce le souvenir de cette expérience qui a inspiré la Cinquième République pour fixer à 500 le nombre de signatures indispensables pour concourir à l’élection à la magistrature suprême ? Si les parlementaires ont d’abord constitué, sous les Troisième et Quatrième Républiques, le corps électoral pour l’élection du Président de la République, puis continuent de posséder la capacité à parrainer un candidat, la jauge – le terme est d’actualité – a varié depuis 1965 et était initialement de 100. Il n’en reste pas moins qu’aujourd’hui, ce nombre magique, le Graal des 500 signatures, non seulement mobilise l’énergie des équipes de « petits » candidats, mais intéresse tous les concurrents et pourrait bien influer d’une façon décisive inédite sur le résultat du premier tour et même sur le casting voire l’issue du second.

Le précédent de 1848 : émiettement de la gauche républicaine, triomphe bonapartiste

Si l’élection d’un Président de la République existe depuis décembre 1848, la question de limiter a priori le nombre de candidats n’a été posée que depuis la Cinquième République. En effet, la Seconde République de 1848 connaît une première expérience de scrutin direct, au suffrage universel masculin, très particulière, dans le sillage de la révolution de février. L’article 44 de la Constitution établit des conditions simples à l’éligibilité : les candidats doivent alors être nés français, n’avoir jamais perdu la nationalité française et être des hommes d’au moins trente ans.

Face à une gauche républicaine majoritaire à l’Assemblée, mais très divisée entre le gouvernemental « républicain de la veille » Cavaignac, l’homme du maintien de l’ordre, soutenu par les grands journaux libéraux et par l’administration préfectorale, le poète Lamartine, l’avocat démocrate-socialiste Ledru-Rollin et le socialiste révolutionnaire Raspail, la droite monarchiste s’unit derrière le général Changarnier. Mais c’est le candidat « attrape-tout », le Prince Louis-Napoléon issu de la famille Bonaparte qui déboule en triomphateur imprévu dès le premier tour, avec plus de 74 % des suffrages. Ce dangereux précédent dissuade les deux républiques suivantes de confier l’élection du chef de l’Etat au peuple, de 1875 à 1958. Cela n’empêche pas certains scrutins d’être complexes dans leur issue et longs dans leur déroulement, telle l’élection de René Coty le 23 décembre 1953 au 13e de tour de scrutin et avec 13 candidats ayant successivement obtenu des suffrages, parfois sans être candidats.

Le compromis de 1958 : un monarque républicain porté par 80 000 notables locaux

Si ce spectacle parlementaire a forcément marqué le général de Gaulle, renforçant son sentiment tiré de la connaissance de l’histoire de la Troisième République que les plus fortes personnalités n’étaient jamais élues par les parlementaires (Ferry, Clemenceau), le fondateur de la Cinquième République ne peut, dans un premier temps, aller plus loin que le dispositif envisagé lors du discours de Bayeux, et s’arrête dans la Constitution élaborée par Michel Debré, à l’élection du Président par un collège élargi d’élus nationaux, départements et surtout, en nombre, municipaux. C’est ce collège de notables élus d’un effectif (80 000 grands électeurs) proche du « pays légal » capacitaire de la Restauration (90 000 contribuables de plus de trente ans payant plus de 300 francs d’impôts), qui le porte à l’Élysée le 21 décembre 1958. Charles de Gaulle obtient un score digne de Louis-Napoléon (78,5%) face à seulement deux candidats rivaux : celui du PCF Georges Maranne (13%), et Albert Châtelet pour l’Union des forces démocratiques (8,5%).

Le tournant de 1962 : éviter « radio-crochet » et fractionnement de la nation 

La révision constitutionnelle de 1962, liée aux circonstances dramatiques de la Guerre d’Algérie et à l’attentat du Petit-Clamart qui visait à tuer le général de Gaulle, n’a donc pas pour principal objectif de limiter le nombre de postulants. Pourtant, les conditions requises pour être candidat à l’élection présidentielle, fixées par l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962 relative à l’élection du président de la République au suffrage universel, introduisent un système de filtrage à travers la nécessité d’obtenir le parrainage de cent élus. Chaque élu peut user de son pouvoir de « présentation » en faveur d’un seul candidat – sans forcément partager ses idées, mais de manière irrévocable, même s’il ne peut en définitive se présenter. 42 000 élus, habilités de par leur mandat, sont chargés de présélectionner, depuis soixante ans, les candidats à la magistrature suprême : les parlementaires nationaux et français au Parlement européen, les maires, les présidents des intercommunalités, les conseillers de Paris et de la métropole de Lyon, les conseillers départementaux et régionaux ainsi que les présidents d’exécutifs et les conseillers territoriaux de Corse et d’Outre-mer. De fait, le tiers des élus, surtout municipaux, accorde un parrainage à un candidat.

Au surplus, une clause de représentativité nationale oblige chaque candidat à obtenir des parrainages émanant d’élus d’au moins 30 départements ou collectivités d’outre-mer différents, sans dépasser 50 (le 1/10e) issus d’un même département ou une même collectivité. On retrouve ici, en plus du désir d’éviter les candidatures fantaisistes ou de simple témoignage, l’exigence jacobine et le souci de préservation de l’unité nationale de Michel Debré.

La barre élevée par Giscard en 1976 n’évite pas la pulvérisation de 2002

Ce filtre a correctement remplit son office en 1965 (6 candidats), en 1969 (7), mais les 12 candidats de 1974 ont conduit le nouveau Président élu, Giscard, à élever la barre à 500 parrainages par la loi organique du 18 juin 1976. Le Conseil Constitutionnel, qui valide les candidatures, avait d’ailleurs préconisé en 1974 la publicité intégrale des « parrains ». Toutefois, le durcissement des exigences n’a pas empêché l’inflation des candidatures et leur effet perturbateur du scrutin : les 16 de 2002 ont contribué, du fait de l’éparpillement de la gauche gouvernementale, à l’érosion et à l’élimination précoce du premier ministre Lionel Jospin, avec pour conséquence le « coup de tonnerre » de la présence au second tour de l’extrême-droite.

La moins mauvaise des solutions ? Une publicité et des délais contraignants

La solution actuelle du « parrainage » par les élus a été régulièrement critiquée comme un obstacle à l’émergence de nouveaux courants politiques qui, par définition, ne disposent pas encore d’un tissu territorial d’élus. Toutefois, des trotskystes à l’extrême-droite, les candidats hors-système ont généralement trouvé, certes au prix d’une course épuisante pour leurs équipes de militants, des maires de villages non-encartés et soucieux de pluralisme pour leur accorder le précieux sésame de leur signature. Pourtant, les délais sont serrés : depuis la loi du 29 mars 2021, le décret de convocation des électeurs doit être publié « au moins dix semaines avant la date du premier tour » (cette année le dimanche 10 avril). 2022. De ce fait, la période de recueil des parrainages s’achève au plus tard le sixième vendredi avant le premier tour de l’élection. Toute la procédure de parrainage des candidats est placée sous le contrôle du Conseil constitutionnel, qui, à la fin des opérations, s’assure du consentement des candidats ayant franchi le seuil des 500 signatures validées.

C’est surtout l’extension de la publicité des parrainages qui est un facteur dissuasif pour des maires qui craignent l’incompréhension d’une partie de leurs administrés, en particulier s’ils attribuent leur signature à un candidat sulfureux. En effet, la loi du 25 avril 2016 a mis en place, dès l’élection présidentielle de 2017, la publicité intégrale des noms et de la qualité des élus qui ont présenté un candidat à l’issue du recueil des parrainages, au lieu du tirage au sort pratiqué auparavant. Cette publicité a lieu en continu, la liste est actualisée en temps réel sur le site internet du Conseil constitutionnel.

Critique récurrente et alternatives

Cette transparence n’a pas éteint le débat récurrent sur ce système de filtrage des candidatures présidentielles. Il est dénoncé comme une rente pour les candidats des partis traditionnels et un archaïsme antidémocratique hérité des régimes de notables. Le risque de pression sur les élus locaux et, en sens inverse, de marchandage de faveurs est également souligné. Mais les préconisations apparaissent contradictoires, du relèvement du seuil à 1 000 signatures pour un filtrage plus efficace au remplacement par un collège d’élus désignant à bulletin secret un candidat qu’ils souhaitaient voir concourir. Significativement, c’est la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique présidée par Lionel Jospin en 2012 qui a préconisé un parrainage citoyen de 150 000 signatures.

Une pré-sélection déterminante en 2022 : les hypothèques Mélenchon et Zemmour, dénis de démocratie ?

En 2022, le débat risque de prendre un tour moins théorique. En effet, plusieurs candidats majeurs ne sont pas assurés d’obtenir ces 500 signatures, du fait de l’implosion des familles politiques depuis 2017. Ainsi à gauche, la troisième candidature présidentielle de Jean-Luc Mélenchon, arrivé 4e avec près de 20% des voix en 2017, n’est pas garantie, tant les partis de gauche les mieux représentés dans les conseils territoriaux n’ont aucun intérêt à lui faire ce cadeau, non seulement le PS qu’il a participé à faire éclater que le PCF qui a cette fois son propre candidat, Fabien Roussel. Si ces deux partis verrouillent le système par des consignes à tous leurs élus, la tâche va s’avérer très ardue, au risque de mesures de rétorsion mortifères pour l’ensemble de la gauche aux législatives de juin. La situation est encore plus tendue pour le polémiste Eric Zemmour qui ne dispose d’aucun réseau et qui se heurte à la double crainte du Rassemblement national et de LR d’une fuite d’électeurs radicalisés vers l’orateur populiste du fumeux « Grand Remplacement », qu’ils traduisent avant tout comme la volonté de les remplacer. Si l’un ou les deux de ces candidats, aujourd’hui crédités de 9 à 12% chacun, ne parvenait pas à se présenter, une réelle interrogation démocratique assombrirait, non le scrutin lui-même, mais le système des parrainages qui, probablement, n’y survivrait pas. Les conséquences potentielles sur l’issue de l’élection seraient considérables, car c’est bien la qualification pour le second tour qui en serait profondément altérée, et donc le résultat final, tant le Président sortant ne peut réellement être mis en danger par une confrontation avec l’un des deux candidats d’extrême-droite.

Le Solognot migrant, d’un parti, l’autre, et Labiche

Le marathon de l’obtention des 500 signatures va continuer à donner lieu à un spectacle médiatique parfois grotesque. Notre région a ainsi connu une actualité singulière, des fourberies de Bonneval, dignes d’une entrevue de Montoire, à la nouvelle conversion de Guillaume Peltier, le relaps de l’extrême-droite qui renoue avec ses obsessions frontistes de jeunesse, en cohérence avec son passé de dauphin de Philippe de Villiers.

Comment ne pas penser au dernier chapitre du plus célèbre manuel scolaire de lecture publié en 1877, le Tour de la France par deux enfants, qui a nourri l’imaginaire de générations patriotiques ? Les deux petits Alsaciens terminent leur périple au cœur de la France meurtrie par la guerre de 1870, dans la ferme du… « Père Guillaume dans l’Orléanais » (sic), entendez près de Châteaudun. Mais le triste spectacle des ruines de la guerre récente conduit les enfants à admirer savants et ingénieurs, grands écrivains et artistes de génie, en un patriotisme que tout oppose au nationalisme de haine.

Pour sortir par le haut du vaudeville ambiant – Émile Labiche, parent d’Eugène, n’a-t-il pas été préfet d’Eure-et-Loir en 1870 ? – comment ne pas puiser aujourd’hui dans les riches heures des lieux de mémoire ligériens ? Après sa déconvenue auprès de l’ex-sénateur Billard de Bonneval, le Torquemada de la « Reconquête » a été se consoler auprès d’un maire rural du Dunois, héritier d’une vieille famille eurélienne riche d’un ancien sénateur qui fut même Garde des sceaux il y a cent ans sous la Troisième République, Gustave Lhôpiteau.

Oui, le consternant début de campagne présidentielle se résume bien souvent à l’hôpital qui se moque de la charité. Et pourtant, nous avons en ce moment tant besoin des deux, l’accès aux soins et la solidarité !

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Commentaires

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  1. excellent article, bien écrit , instructif, et malicieux!
    d’une justesse réconfortante
    merci ! on attends la suite, dans ces conditions la campagne deviendrait intéressante

  2. Un ton léger pour cette excellente mise en perspective historique, documentée et claire.
    Merci M. Allorant.

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