Un bec hors de l’eau, mais pas hors-sol

Conteur patenté, C”Nabum n’est pas tenté de s’arrêter de compter parmi les empêcheurs de naviguer en rond sur sa Loire adorée. Preuve en est donnée dans un récent ouvrage qui sort un peu de la mêlée, sans jamais botter en touche. Le ton est caustique et le propos acerbe, un bec hors de l’eau ne manquant jamais de souffle.

Par Jean-Luc Bouland

Les romans autobiographiques abondent en librairie, mais ceux qui ressemblent à un autodafé sont beaucoup plus rares. Que d’aucuns se rassurent, il n’est point question ici d’un salmigondi de “cancel culture” arrosé d’un savant vinaigre orléanais fourni par un de ces bourgeois de barrique en mal de reconnaissance, pas plus que d’une intrigue de haut vol due à la plume d’un aigle royal. Ces majestueux volatiles sont bien rares en nos contrées, certainement effarés par le bruit intempestif de quelque jet-ski égaré sur les eaux ligériennes, propre à déclencher l’ire vengeresse d’un conteur aussi dithyrambique qu’omniprésent dans l’histoire. Impossible de le manquer. C”Nabum brûlait tant de se mettre en scène, pour titiller l’égo posthume de Jeanne la chevaleresque, qu’il l’annonce d’emblée sur la 4e de couverture de l’ouvrage, autopublié chez E-book, et le précise bien avant la 50e page, sur les 237 que compte l’ouvrage.

L’ouvrage ? Oui. Un ouvrage qui frise l’outrage au politiquement correct, la première des motivations étant toutefois d’amuser le bon peuple, à commencer par les gueux à la biaude bien jaune, et un peu moins, certes, les puissants de not’ monde, de ceux d’avant et de ceux d’après. Résumons. Un certain Gontrant de la Motte Sanguin a été assassiné avec la pointe d’un bec de héron, et son corps découvert le 8 mai 2022, jour des cérémonies de Jeanne d’Arc. Ce qui laisse pantois et sans voix l’édile orléanais, qui comptait parmi les proches du sus-nommé, et va motiver l’enquête rondement menée du commissaire Grillepain. Certes, là, l’auteur anticipe un peu, mais ce n’est pas la moindre des bizarreries.

Le pandore est intègre, et les suspects nombreux, même si un quatuor sort la tête de l’eau, quatre agités du bocal à tendance écolo, et peu avares de joyeuses ripailleries. Mais le cadavre repêché avait une réputation saumâtre, et pas vraiment l’amour du fleuve, sinon pour y provoquer quelques remous inopportuns. Ce ne peut donc être qu’en allant au contact des autochtones, en visitant leurs nids et et en effrayant quelques zoziaux innocents qu’il espère trouver le coupable, et le mobile du crime, accessoirement, et réciproquement. L’enquête durera 18 jours, soit 18 chapitres, osant les rencontres, les portraits à la louche, et les plaisanteries fines comme du gros sucre importé des colonies, autres richesses orléanaises d’outre-temps. 18 chapitres aux styles éclectiques, mêlant contes et poésies, histoires locales et délires verbaux, et toujours avec un clin d’oeil appuyé à tous les charmants êtres ailés gazouillant avec zèle.

La Loire à Combleux (Photo JL bouland)

Sans conteste, le propos est original, et peut en dérouter certains. D’aucuns y apprécieront les références appuyées à l’univers rugbystique, et suggéreront peut-être en souriant une propension de l’auteur à se prendre pour Jo Maso dans ses échappées littéraires frisant l’autodérision. Et quelques impertinents effleurant la remarque sexiste (si, si) oseront peut-être s’interroger sur l’utilisation à plaisir du G comme point d’orgue dans les prénoms employés. Alors que la gente féminine n’y prend pas une place époustouflante, tellement elle semble éclipsée par l’aura contestée de dame Jeanne.

Page 49 de cet opuscule jubilatoire autant que foutraque, un brin répétitif mais savamment construit, on y lit quelques lignes qui résument peut-être tout, comme un mot de passereau pour décrypter l’ensemble, là où l’auteur se décrit sans miroir, sinon un reflet dans le fleuve, pour nous embarquer dans ses délires. “Le commissaire se dirige vers son véhicule quand sur les quais, quelqu’un attire son attention. Non, il ne rêve pas, le fameux Gaston Leprince, fait un de ces numéros pitoyables qui font sa réputation dans le secteur. L’homme, habillé en berger, pieds nus, un béret vissé sur la tête, une bourriche accrochée à son épaule, un bâton de pèlerin à la main, raconte des sornettes à qui veut bien s’arrêter l’écouter. Sa dégaine ne leurre personne, il ratiocine à plaisir.”

L’enquête prouvera toutefois qu’il ne faut pas se fier aux apparences, qu’il ne faut jamais négliger l’esprit guêpin, et qu’en tout bonimenteur simulant la folie, comme aurait dit Erasme, il y a parfois un sage qui sommeille.

“Un bec hors de l’eau” – C”Nabum – E-Books – 15€ – Disponible sur internet et dans certaines librairies de la région.

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