Les nazis et la “solution finale”

Pour la reprise de ses conférences du mardi, le Cercil Musée-Mémorial des enfants du Vel d’Hiv a invité ce mardi 18 janvier 2022 l’historien Florent Brayard, spécialiste de la Shoah. Ce dernier a expliqué pourquoi selon lui la conférence de Wannsee n’est pas le point de départ de la mise en oeuvre de la « solution finale » voulue par Hitler. 

Par Sophie Deschamps et Antoine Lebrault

Florent Brayard, historien spécialiste de la Shoah a donné une conférence le 18 janvier au Cercil à Orléans sur la conférence de Wannsee. Photo Sophie Deschamps

Ce qui est passionnant avec l’Histoire, c’est qu’il s’agit d’une matière vivante que les historiens interrogent et remettent parfois en cause, notamment l’interprétation des faits. C’est le cas de la conférence de Wannsee. Certains manuels d’histoire la présentent comme le point de départ de la mise en œuvre de l’extermination des juifs, autrement dit “La solution finale” imaginée par Hitler dans son livre Mein Kampf.

Une légende 

Or, pour l’historien Florent Brayard, spécialiste de la Shoah qui a codirigé Historiciser le mal, édition critique de Mein Kampf (Fayard 2021), cette théorie ne résiste pas à l’épreuve des faits justement. Pour lui, il s’agit purement et simplement d’une légende comme il s’est attelé à le démontrer pendant plus d’une heure le 18 janvier dernier devant un auditoire captivé, qui comptait des élèves de terminale. D’ailleurs la modératrice de cette rencontre était Agathe Laurent, professeure agrégée d’histoire au lycée Benjamin Franklin d’Orléans.

Une légende donc. Car comme l’a utilement rappelé Florent Brayard cette « conférence » était en fait une réunion des secrétaires d’État, l’équivalent de directeurs administratifs en France. Autrement dit, des hauts fonctionnaires certes, mais chargés d’exécuter la politique des nazis et non de prendre des décisions. Comme l’a expliqué l’historien, il y avait trois groupes parmi les quinze dignitaires présents : des hauts gradés de la SS dont Adolf Eichmann alors à la tête de la Gestapo et des Affaires Juives, des représentants des ministères civils (Intérieur, Affaires étrangères, Justice…), de la chancellerie du Reich et enfin des membres des autorités d’occupation dans les territoires conquis à l’Est (ministère des Territoires occupés de l’Est, Gouvernement général de la Pologne).

En outre, la connaissance de ce qui s’est dit durant cette réunion est parcellaire car elle repose principalement sur le compte-rendu d’une quinzaine de pages rédigées par Eichmann. Un compte-rendu revu et corrigé par le tout-puissant Heydrich, responsable de la sécurité du Reich qui a commandité cette réunion. Un exemplaire a été miraculeusement retrouvé en 1947. Plus tard, certains  participants ont pu témoigner lors de leur procès mais on peut imaginer sans peine qu’ils ont alors tout fait pour minimiser leur rôle.

Une Allemagne sans juifs

S’il est clair pour tous les historiens qu’Hitler voulait se débarrasser des juifs d’Europe, les moyens d’y parvenir ont évolué au fil des années. Car il ne faut pas oublier que le Führer est en guerre contre la France puis contre l’URSS lorsque le pacte germano-soviétique signé en août 1939 prend fin le 22 juin 1941 lorsque Hitler déclenche l’opération Barbarossa. Ce pacte devait également permettre aux nazis de pouvoir expulser les juifs d’Allemagne dans les goulags russes. Ainsi en février 1940 Heydrich adresse un courrier dans ce sens à Staline qui refuse tout net. Le meurtre de masse des Juifs est donc bien prévu mais jusqu’en juillet 1941 plutôt après la guerre que les nazis sont à cette époque sûrs de gagner. 

Ainsi, en août 1940, Eichmann propose alors son plan Madagascar. Celui-ci prévoit la déportation de l’ensemble de la population juive d’Europe occidentale, soit 4 millions de personnes dans la colonie française, qui a l’avantage d’être une île, loin de l’Europe. Mais le projet capote lorsque Hitler renonçant à faire la guerre contre l’Angleterre perd la maîtrise des voies maritimes. L’option d’une déportation vers l’Est est à nouveau privilégiée. 

Des massacres de juifs avant la conférence de Wannsee

Malheureusement les nazis n’ont pas attendus Wannsee pour commencer les massacres de juifs. Ceux-ci commencent en 1941 en URSS avec une estimation qui varie entre 500 à 900 000 juifs polonais et soviétiques éliminés pour cette seule année.

Par ailleurs, en octobre 1941, la répression s’accentue sur les juifs allemands puisque les nazis leur interdisent désormais d’immigrer. Le 29 novembre 1941 Heydrich qui est en charge donc de la politique anti-juive commandite cette réunion de Wannsee, prévue initialement le 9 décembre 1941 mais que la guerre va retarder (voir encadré).

 Florent Brayard a conclu son exposé en estimant que « cette conférence de Wannsee est un moment fondamental dans le processus de “La solution finale” mais ce n’est pas le moment ultime de ce processus décisionnel”. 

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30 Janvier 1933 : Adolf Hitler accède au pouvoir et devient chancelier. Il instaure une dictature totalitaire et impérialiste prônant l’antisémitisme, le racisme et la xénophobie, désignée sous le nom de Troisième Reich. 

15 Septembre 1935 : Les lois de Nuremberg sont adoptées. Les juifs ou les demi-juifs sont privés de citoyenneté et déchus de la plupart de leurs droits. 

1er Décembre 1939 : Après l’invasion de Varsovie qui marque le début de la Seconde Guerre Mondiale, un vaste mouvement de déportation et de ghettoïsation s’opère pour les populations juives incorporées au Reich. Ces milliers de familles sont déportées vers le Gouvernement général de Pologne. 

Le 22 Juin 1941 : Rupture du pacte germano-soviétique. Hitler décide d’attaquer l’URSS en déclenchant l’opération Barbarossa, laquelle entraîne une alliance immédiate entre l’URSS avec l’Angleterre. 

16 Juillet 1941 : Réunion de l’état major du troisième Reich. Hitler présente l’annexion et l’administration des territoires soviétiques occupés. Les territoires situés à l’Ouest de l’Oural doivent devenir «  un jardin d’Eden germanique ». Heydrich, adjoint direct de Himmler, participe à  la mise en place de l’assasinat de masse de la population juive des territoires récemment conquis au sein de l’Union Soviétique. 

29 Novembre 1941 : Heydrich donne l’ordre à Eichamnn de prévoir une réunion au sommet pour traiter la solution finale à la question juive à la date du 9 décembre 1941. 

5 Décembre 1941 : contre-offensive à Moscou de l’Armée rouge mettant fin à la volonté de conquête de l’URSS par l’Allemagne Nazie. 

7 Décembre 1941 : les Japonais attaquent les États-Unis à Pearl Harbor, donnant une tournure mondiale au conflit. 

20 Janvier 1942 : conférence de Wannsee au sein de la villa Marlier de Berlin, réunissant quinze hauts responsables du Troisième Reich.

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