[Psychiatrie] Folie et société

Le fou fait peur et inquiète. La société cherche à l’exclure pour s’en protéger mais on constate que cette réaction laisse aussi place à une interrogation sur la folie et ce qu’elle signifie. La folie est déraison et aussi maladie. Elle oblige à définir ce qu’est la rationalité comme condition de la sagesse, chère aux philosophes grecs, et à rechercher une thérapeutique pour celui qu’on appelait au XIXe un aliéné. Quel est cet autre ? Son expérience nous est-elle si étrangère ? Peut-il nous apprendre quelque chose sur nous-mêmes ?

Par Yves Prouet (Professeur agrégé de philosophie)

Peinture de William Blake (1757 – 1827)

Qui est fou ?

La folie est désordre et écart par rapport à une norme. Cette norme est celle d’une culture particulière. Elle est relative à cette culture et peut donc évoluer dans le temps. Elle concerne les usages sociaux, les hiérarchies sociales, le langage, la sexualité.

On a considéré les sacrifices humains comme partie du rituel religieux puis ils ont été abandonnés et considérés comme barbares. La folie, présente dans toute société, ne peut se comprendre que dans un contexte culturel donné.

Dans l’antiquité grecque, la folie (mania, hubris) est pensée sous le double aspect du magico-religieux et de la maladie. Elle interroge le philosophe et le thérapeute. Bien avant la psychiatrie moderne, les médecins anciens et leurs successeurs essaient d’expliquer les causes physiques de la maladie. Hippocrate et Galien verront dans la folie un déséquilibre des humeurs. Le Problème xxx, attribué à Aristote, explique la mélancolie de l’homme de génie par une action de la bile noire et décrit les aspects psychiques et physiques de cette maladie, maladie de l’âme et maladie du corps.

Pour Platon, la folie est une altération de la raison et du langage mais elle peut aussi ouvrir sur le surnaturel. Il y a un délire divin. Dans le Phèdre, Platon distingue le délire (mania) ordinaire et le délire inspiré par les dieux. Socrate énumère quatre sortes de délires divins : divinatoire, mystique, poétique et érotique.

Dans les sociétés archaïques, les hallucinations du chaman, loin d’être considéré comme fou, sont le signe de son excellence et il occupe une place centrale dans le groupe.

Ainsi pourrions-nous dire, à la manière de Montaigne, chacun appelle fou ce qui n’est pas de son usage et considérer que la différence folie/raison est plus une différence de degré que de nature.

Trouver un sens à la folie et guérir une maladie vont de pair dans toutes les sociétés. Réflexion philosophique et action thérapeutique ont permis de prendre en charge le fou au lieu de le rejeter purement et simplement.

Que faire du fou ? 

Dans les sociétés traditionnelles, le traitement de la maladie mentale est l’affaire des institutions de charité et les religieux prennent en charge les malades. Dans l’Occident médiéval des fondations hospitalières sont créées pour s’occuper des indigents, des malades et parmi ceux-là des insensés.

A la fin du XIIe siècle, les statuts de l’hôpital du Saint-Esprit de Montpellier spécifient que « s’il y a des fous dans la ville, vous les accueillerez et vous rechercherez l’origine de leur folie pour y porter remède. Vous les mettrez seuls, de peur qu’ils se fassent mal les uns les autres. ». Il existe toute une pharmacopée, inspirée de la médecine hippocratique. Calmants (opium, mandragore, belladone), toniques (absinthe, ortie, menthe, coriandre) purgatifs, sangsues, saignées sont d’un usage fréquent. On pratique aussi la contention et l’hydrothérapie.

A l’âge classique aura lieu le « grand enfermement » dont parle Michel Foucault dans son Histoire de la folie avec l’édification en 1656 de l’Hôpital Général de Paris. Dans celui-ci, on interne différentes catégories de marginaux (mendiants, vagabonds, libertins, fous), pour les exclure de la vie sociale et les contraindre au travail. Ce sera même le point de départ d’un mouvement européen qui signe le partage strict entre raison et folie et l’exclusion de celle-ci.

En réalité, on va continuer à tenter de soigner le fou dans des institutions spécifiques avec des traitements appropriés. Des « maisons de force » (500 au XVIII), dont deux tiers sont des communautés religieuses, reçoivent des insensés payant et non payants. 

Ces internements ne sont pas arbitraires. Ils sont faits à la demande de la famille, de l’autorité judiciaire et même du pouvoir royal avec les fameuses lettres de cachet. 

Les révolutionnaires de 1789, influencés par le courant philanthropique des Lumières, vont s’efforcer d’améliorer les conditions d’internements à Bicêtre, à la Salpêtrière, à Charenton.

Voici* comment le comité révolutionnaire, qui inspecte le quartier des folles à la Salpêtrière, en 1791, décrit les conditions d’internement :

« L’air des vieilles loges est infect, elles sont petites, les cours étroites, tout y est dans un état d’abandon aussi affligeant qu’inconcevable ; tous les genres de folie sont confondus : les folles enchaînées sont réunies avec les folles tranquilles ; celles qui sont dans les accès de rage sont sous les yeux de celles qui sont dans le calme ; le spectacle de contorsion, de fureur, les cris, les hurlements perpétuels ôtent tous moyens de repos à celles qui en auraient besoin et rendent les accès de cette horrible maladie plus fréquents, plus cruels et plus incurables. »

Le docteur Philippe Pinel est nommé médecin-chef à Bicêtre en septembre 1793 puis à la Salpêtrière. Il va se rendre célèbre comme celui qui va délivrer les fous de leurs chaines. En fait, on a déjà assoupli les conditions d’internement en s’inspirant des hôpitaux anglais qui à l’époque font figure de novateurs. C’est le fils de Pinel, Scipion, qui va rapporter le geste mythique de son père délivrant les fous mais cela symbolise bien l’intention novatrice de la psychiatrie, qui se pose en savoir de la folie.

Cet effort d’humanisation de l’« aliéné », la reconnaissance de son humanité, l’effort pour améliorer son quotidien, va caractériser la psychiatrie naissante du XIXe siècle.

Esquirol, Falret, prônent un « traitement moral » de la folie en isolant le patient dans un asile spécialisé où il sera soumis à l’ascendant de son thérapeute mais aussi à des traitements plus radicaux comme les douches froides et les bains prolongés.

La loi du 30 juin 1838, votée à une forte majorité à la Chambre des députés, commande que chaque département se dote d’un asile d’aliénés contrôlé par les autorités préfectorales et judiciaires. Elles devront valider les internements. On distingue déjà l’internement volontaire de celui demandé par la famille ou un tiers et le placement d’office ordonné par le préfet. Dans tous les cas un certificat médical est exigé et transmis au préfet. Le directeur et le médecin-chef sont nommés par le ministre.

Transformation de locaux existants ou construction de nouveaux établissements vont donner lieu à un réflexion approfondie sur l’architecture des lieux. Les internements iront croissant : de 10 000 en 1830, on passera à 50 000 en 1880, pour culminer à 118 000 en 1969.

Les débuts de l’asile donnent lieu à des rapports enthousiastes mais, sur un siècle, on va se rendre compte de sa piètre efficacité thérapeutique et de sa tendance à transformer le patient entrant en malade chronique. 

En 1937, les asiles deviennent des « hôpitaux psychiatriques » et aujourd’hui des Etablissements publics de santé mentale (E.P.S.M.).

De la folie à la maladie mentale

La psychiatrie en France a fortement évolué depuis ses origines, notamment avec la révolution des médicaments psychotropes (invention du premier neuroleptique en 1952).  De nombreux courants théoriques (psychiatrie, psychanalyse, comportementalisme) coexistent. Le courant antipsychiatrique des années soixante (Laing, Cooper, Basaglia) a mené une critique radicale de l’asile. La politique de sectorisation a permis de maintenir le malade dans la cité en évitant les internements. Le nombre de lits d’hospitalisations a baissé de moitié en trente ans.

La loi du 5 juillet 2011, puis la loi du 27 septembre 2013 la modifiant, ont précisé les droits des patients et promu un contrôle du juge des libertés sur les décisions d’hospitalisation. Tous ces progrès dans l’approche de la folie ne doivent pas faire oublier la crise actuelle de la psychiatrie par manque de moyens et de personnels.

* Les citations proviennent du livre de Claude Quétel : « Histoire de la folie » (Tallandier 2009)

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Commentaires

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  1. Attention à ne pas abuser du mot internement!
    La plupart des personnes hospitalisées en psychiatrie sont en hospitalisation libre. Même l’hospitalisation à la demande d’un tiers n’est pas un internement qui est réalisé par arrêté du maire. La sortie alors dépendra du préfet sur avis médical.
    Certes depuis plusieurs années, les gouvernements de droite comme de gauche ont privilégié la répression et saccagé les réalisations de la psychiatrie de secteur. Ainsi les hospitalisations sous contrainte sont devenues trop fréquentes car bien des malades sont laissés dans la nature sans soins de post ou pré cure.
    Dommage que cet exposé sérieux ne doit que « documenté », donc abstrait, sans corps sans apporter de connaissance vivante sur ce sujet si douloureux. A aucun moment il n’est question de la souffrance psychique.

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